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Choisir sa mort ? 4 questions pour éclairer le débat

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Le 13 septembre, l’Élysée annonçait par communiqué le lancement d’un grand débat national sur la fin de vie, appelant à traiter ce sujet « délicat avec beaucoup de respect et de précaution ». La décision d’Emmanuel Macron de rouvrir ce dossier six ans à peine après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti n’est pas vraiment une surprise.

Le 17 mars, présentant son programme, le président candidat avait pris un engagement clair : « Je soumettrai la fin de vie à une convention citoyenne et, sur la base des conclusions de celle-ci, je soumettrai ou à la représentation du peuple ou au peuple le choix d’aller au bout du chemin qui sera proposé. »

Quelques jours plus tard, interpellé par un homme atteint de la maladie de Charcot – une affection neurodégénérative incurable et particulièrement invalidante – lors d’un déplacement de campagne à Fouras (Charente-Maritime), le chef de l’État était encore plus explicite. « Je vous donne mon avis personnel, je suis favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge », confiait-il, en référence à ce pays voisin qui a légalisé l’euthanasie dès 2002.

Dans son avis no 139, rendu public le même 13 septembre, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), instance chargée d’éclairer les enjeux éthiques soulevés par les progrès de la science, ne va pas si loin. Mais sa prise de position n’en marque pas moins un tournant majeur.

Pour la première fois, le CCNE envisage, même si c’est sous conditions strictes et pour autant que le législateur en décide, la possibilité « d’un accès légal à une assistance au suicide » pour les malades atteints « de maladies graves et incurables provoquant des souffrances réfractaires et dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ». Autrement dit une « aide active à mourir » qui reste jusqu’ici considérée comme un crime en France.

Le cadre actuel d’accompagnement de la fin de vie est-il satisfaisant ou faut-il l’adapter ? C’est la question centrale à laquelle devront répondre les 150 citoyennes et citoyens tirés au sort pour participer à une Convention sur la fin de vie organisée sous les auspices du Conseil économique, social et environnemental. Pour y réfléchir, ils auront près de vingt-sept jours pleins de travaux, depuis leur installation, le vendredi 9 décembre, jusqu’à la remise de leurs recommandations à l’exécutif, le 19 mars 2023. En parallèle, les deux ministres chargés d’animer le débat national, Olivier Véran et Agnès Firmin-Le Bodo, multiplient les consultations auprès des politiques et des parlementaires, des personnels soignants, des associations militantes, des représentants des grandes religions, des personnalités du monde intellectuel ou artistique.

Dans le même temps, des rencontres citoyennes vont être organisées, partout en France, par les espaces éthiques régionaux du CCNE, tandis que s’engage déjà un intense débat, par médias et réseaux sociaux interposés, où chacun, pro ou anti-euthanasie, fourbit ses arguments.

Alors qu’une majorité de Français semble acquise à une évolution de la loi, certains estimeront que ce grand débat est du temps perdu. On peut aussi espérer qu’il soit l’occasion d’une réflexion sans tabou sur les réalités complexes de la fin de vie et les enjeux, à la rencontre de l’intime et du collectif, que suscite la revendication d’un droit à une « mort digne ».

Choisir sa mort ? 4 questions pour éclairer le débat

« Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » C’est la question qui sera débattue par la Convention citoyenne sur la fin de vie entre son installation, prévue le 9 décembre, et le moment où elle remettra ses recommandations au gouvernement, le 19 mars 2023. Pour y répondre, les quelque 150 citoyennes et citoyens tirés au sort devront, au préalable, mettre à niveau leur connaissance des enjeux et celle de la législation qui règle la manière dont on accompagne, jusqu’ici, les personnes très âgées ou souffrant de maladies incurables.

« Ce cadre est relativement récent puisque le premier texte est la loi Neuwirth de 1995, et le dernier en date, la loi Claeys-Leonetti de 2016, en passant par la loi du 9 juin 1999, la loi Kouchner de 2002 et la loi Leonetti de 2005 », précise Giovanna Marsico, directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) et membre du comité de gouvernance chargé de veiller au bon déroulement de la Convention des 150.

Ce corpus législatif reconnaît aux patients une longue liste de droits. « Notamment celui d’être soulagé de la douleur et de bénéficier de soins palliatifs ; de consentir ou, au contraire, de pouvoir refuser un traitement ; de faire valoir des directives anticipées, sorte de testament clinique réglant sa fin de vie au moment où ne peut plus exprimer sa volonté ; de ne pas subir d’obstination déraisonnable – l’ancien “acharnement thérapeutique” – de la part des soignants ; enfin, de bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès en cas de souffrances réfractaires et de pronostic à court terme », détaille Giovanna Marsico.

Est-ce à dire que le système français est parfait et ne laisse personne de côté ? « Je mentirais en affirmant que tout va bien », reconnaît l’ancien député Alain Claeys, coauteur de la dernière loi sur le sujet et actuel membre du CCNE. « Mais je soutiens que la très grande majorité des fins de vie pénibles et inacceptables résultent d’une mise en œuvre défaillante ou insuffisante des dispositions réglementaires en vigueur », plaide-t-il.

Les failles, sinon les béances, du dispositif de soins palliatifs en sont le meilleur exemple. « Normalement, la loi garantit à tous un accès égal à ces soins qui permettent de soulager jusqu’au bout les douleurs physiques et les souffrances psychologiques. Et l’on sait que, plus ils sont mis en place tôt, meilleure est la qualité de vie du patient dans la durée », souligne Claire Fourcade, médecin et présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).

Pourtant, bien que l’on manque de données actualisées, les études existantes et nombre de témoignages de soignants et de familles montrent que, malgré des progrès indéniables, il reste beaucoup à faire pour développer l’offre de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, y compris en permettant qu’ils puissent être dispensés à domicile pour s’accorder au vœu de beaucoup de Français de pouvoir mourir à domicile.

« Et ce n’est pas qu’une question de moyens. Il faut aussi promouvoir une véritable culture des soins d’accompagnement de la personne, ajoute Alain Claeys. Cela passe par la reconnaissance universitaire de cette discipline médicale, l’information et la formation continue des soignants, le développement de la recherche pluridisciplinaire, sans oublier de renforcer la place des aidants. »

Il n’empêche : même lorsqu’ils sont correctement pris en charge, des patients continuent de réclamer une aide médicale à mourir, demande relayée par des associations militantes comme l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD).

« C’est le cas de malades incurables – ceux atteints de la maladie de Charcot, par exemple –, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme mais qui savent que leur condition va se dégrader rapidement et qui estiment que cette vie diminuée ne mérite pas d’être vécue. À ceux-là, la loi n’offre d’autre choix que de supporter des souffrances réfractaires à tout soin jusqu’à l’agonie ou d’aller à l’étranger, en Belgique ou en Suisse, pour les abréger », plaide Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD.

« Ces situations complexes sont, paradoxalement, le résultat des progrès de la médecine, explique le professeur Régis Aubry, chef du pôle autonomie au CHU de Besançon et coordinateur du CCNE. On parvient désormais à maintenir en vie des gens très âgés souffrant de multiples maladies graves ou des personnes atteintes de cancer dont ils ne guériront pas, sans parler de ceux atteints de maladies neuro- dégénératives. La très grande majorité veut vivre, mais certains vont juger que leur vie n’a plus de sens. C’est rare, voire exceptionnel, mais c’est à prendre en compte. »

C’est pour ces patients qui réclament qu’on les aide à mourir que le CCNE a envisagé, dans son avis 139 rendu public le 13 septembre, l’ouverture, sous conditions strictes, « d’un accès légal à une assistance au suicide », tout en rappelant la nécessité de faire des soins palliatifs une « priorité de la politique de santé publique ».

Choisir sa mort ? 4 questions pour éclairer le débat

Quelques rares pays dans le monde ont adopté une législation autorisant une « aide active à mourir », formule qui cache des réalités très diverses. Celle-ci peut prendre la forme exclusive d’une assistance au suicide, comme en Suisse et dans une dizaine d’États américains, ou d’une euthanasie, comme les Pays-Bas l’ont décidé dès 2001, suivis par la Belgique en 2002, le Luxembourg en 2009, le Canada en 2016, cinq États australiens entre 2017 et 2021, la Nouvelle-Zélande en 2019 et l’Espagne en 2021, la plupart de ces pays admettant également le suicide assisté.

En France, ces pratiques sont illégales et, à ce titre, passibles de poursuites pénales. Provoquer la mort d’un malade, quand bien même celui-ci serait consentant, reste un crime punissable d’une peine pouvant aller de trente ans de prison à la perpétuité et l’interdiction à vie d’exercer pour le médecin qui s’en rendrait coupable.

Mais le débat sur la fin de vie qui s’engage pourrait balayer cette digue. Surtout depuis que le CCNE, dans son avis 139, publié le 13 septembre, a considéré qu’il existait « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir », entrouvrant la porte à un « accès légal à une assistance médicale au suicide », pour peu que l’exécutif le décide.

« Euthanasie, assistance au suicide : pour le grand public, ces notions restent floues quand bien même une très large majorité des Français plébisciterait, comme l’indiquent divers sondages, une évolution de la loi au nom de la liberté et du droit de chacun à choisir le moment de sa mort », souligne Giovanna Marsico, directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) et membre du comité de gouvernance de la future Convention citoyenne. Pour clarifier les choses, il faut rappeler la distinction entre le refus de l’obstination déraisonnable et l’euthanasie active. Dans le premier cas, il s’agit d’arrêter les traitements d’un patient atteint d’une maladie grave, à sa demande ou sur décision collégiale des médecins si ces derniers estiment qu’ils sont devenus « inutiles, disproportionnés » et n’ont plus pour objet que de « maintenir artificiellement la vie ».

La loi Claeys-Leonetti autorise alors l’administration « d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour les malades dont le pronostic vital est engagé à « court terme », c’est-à-dire entre quelques heures et quelques jours.

L’euthanasie active consiste, elle, à mettre volontairement fin à la vie d’une personne qui le demande en lui injectant un produit létal, geste généralement accompli par un médecin dans les pays qui l’autorisent. Cette procédure se distingue du suicide médicalement assisté, où c’est le patient qui s’autoadministre le produit létal prescrit par un médecin après que ce dernier s’est assuré que le cadre légal a bien été respecté.

« La principale différence, qui n’est pas mince, tient donc au degré d’implication des soignants, insiste Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). Un sondage que nous avons publié fin septembre montre que plus de 80 % des acteurs de soins, soignants ou bénévoles, sont défavorables à l’idée de donner intentionnellement la mort et que ce type de geste ne peut être considéré comme un soin. »

Mais peut-on légaliser le suicide assisté sans légaliser l’euthanasie ? « Cela créerait de facto une inégalité entre les patients qui peuvent accomplir le geste final et ceux qui en seraient empêchés par leur état physique ou psychique. Pour être cohérent, il faut avoir les deux », plaide Philippe Lohéac, délégué général de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).

Cette difficulté n’a pas échappé aux membres du CCNE, qui ne l’a pas tranchée. « Certains membres étaient favorables à une exception d’euthanasie pour ces situations limites où des personnes n’ont plus la capacité physique de se suicider même s’ils en expriment le souhait. D’autres estimaient au contraire que l’interdit de donner la mort ne pouvait souffrir d’exception. Faute d’accord, nous avons renvoyé ces questions complexes à des réflexions ultérieures ou au législateur, s’il décide de s’en emparer », admet l’ex-député Alain Claeys, corapporteur de l’avis139.

Si le suicide médicalement assisté devait être légalisé, il resterait encore à en fixer les modalités pratiques, souvent lourdes de conséquences. En Suisse, la procédure est validée par un médecin qui délivre l’ordonnance, mais l’assistance du candidat au suicide est généralement assurée par des associations qui fixent leurs propres règles d’accompagnement et leur prix, ce qui paraît éthiquement discutable.

En Oregon, le système semble mieux respecter le principe d’autonomie puisque c’est le patient et lui seul qui décide des conditions et du moment où il prendra le produit létal. Une différence qui n’est pas mince : dans cet État, sur les 370 personnes qui se sont vu accorder une assistance au suicide en 2020, 40 % y ont finalement renoncé.

Choisir sa mort ? 4 questions pour éclairer le débat

C’est une inquiétude qui hante les opposants à l’euthanasie. Légaliser une aide à mourir, quelle qu’elle soit, implique-t-il forcément d’en élargir sans cesse les critères d’éligibilité, jusqu’à banaliser un acte qui devait, au départ, rester exceptionnel ?

Pour répondre, il faut se pencher sur les chiffres. En Belgique, où l’euthanasie a été dépénalisée en 2002, le nombre d’actes a été multiplié par dix, en vingt ans. 259 déclarations entre 2002 et 2003, contre 2 699 en 2021. Un chiffre en augmentation de 10,39 % par rapport à l’année précédente.

Au Canada, la dynamique est encore plus spectaculaire. L’aide médicale à mourir (AMM), qui fait, elle aussi, l’objet d’un rapport annuel, y est entrée en vigueur en 2016. « À l’époque du premier rapport sur le sujet, en 2019, 5 631 actes d’AMM avaient été enregistrés », note le philosophe Louis-André Richard, spécialiste de la fin de vie. Depuis, en seulement deux ans, la barre symbolique des 10 000 cas a été franchie, avec 10 064 cas déclarés en 2021. Toutes les provinces du pays ont connu une augmentation constante, sur douze mois. « Je me doutais qu’il y aurait des demandes, mais pas de la vitesse à laquelle elles se multiplieraient », commente le philosophe. C’était compter sans une appropriation rapide de la loi par la population… et sans les évolutions du texte. « En mars 2021, l’AMM a, par exemple, été élargie aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible », précise Christiane Martel, présidente sortante de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs. La même année, la période de réflexion de dix jours était également abrogée.

Ces mouvements à la hausse n’étonnent pas Catherine Dopchie, ancienne médecin belge en soins palliatifs. Si, en Belgique, les chiffres augmentent eux aussi chaque année (à l’exception de 2020), ce n’est pas tant que la loi ait modifié ses critères d’accès depuis 2002, à l’exception, notable, d’un élargissement aux mineurs en 2014 (1) ; c’est surtout que, mieux connue qu’à ses débuts, « l’euthanasie est rentrée dans les mœurs et est interprétée de façon plus large. Au départ, elle ne devait être dépénalisée que dans certaines situations, assure-t-elle. Des cas de souffrances physiques ou psychiques inapaisables, face auxquelles la médecine ne trouvait pas d’issue. Ce sont ces cas-là qui avaient été mis en avant lors du vote de la loi. Mais au nom du principe d’autonomie, on est peu à peu passé d’un désir de soulager les souffrances à une volonté de respecter avant tout la liberté du patient et son pouvoir de décision ».

La loi belge n’a jamais stipulé que le pronostic vital du patient devait être engagé à court terme pour bénéficier d’une mort « assistée ». Résultat, les polypathologies, incurables – mais pas forcément mortelles pour certaines (la polyarthrose ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge, par exemple) – sont devenues, au fil des ans, la deuxième cause de demandes d’euthanasie, après les cancers. Les troubles mentaux (la dépression) ou cognitifs (Alzheimer) sont de même venus grossir la liste des maladies éligibles.

Face aux craintes de trop grande banalisation, la Commission fédérale de contrôle des euthanasies n’a cessé de vouloir apaiser les inquiétudes en rappelant que ces derniers cas de figure restent « stables », « minoritaires » et « respectent les conditions légales ». À savoir : avoir fait l’objet d’une demande écrite et répétée, relever d’une situation médicale sans issue ; consulter plusieurs médecins lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à brève échéance. Qu’importent les accusations de dérives ou les remises en cause de la fiabilité du travail de contrôle, les membres de la Commission restent droits dans leurs bottes. Même si, en octobre, un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par le fils d’une patiente euthanasiée, reconnaissait bien des « défaillances dans le contrôle a posteriori », le médecin ayant pratiqué l’euthanasie en question étant également membre de l’instance, donc chargé d’évaluer l’un de ses propres dossiers.

Des euthanasies en hausse, des élargissements progressifs… Peut-on parler de raz-de-marée ? « C’est bien une inquiétude de Français, grince le directeur d’une maison de soins palliatifs à Bruxelles. En réalité, les euthanasies, en Belgique, ne représentent qu’un peu plus de 2 % des décès totaux du pays. Une proportion faible et stable depuis cinq ans. On n’euthanasie pas à tour de bras. » Et, contrairement aux craintes, « la fatigue de vivre » ou le sentiment « de vie accomplie » ne rentrent toujours pas dans les critères d’éligibilité, martèle la Commission.

Quid des autres pays offrant l’aide active à mourir ? Les chiffres y restent également bas : en Suisse, 1,76 % des décès totaux du pays sont imputables à la mort assistée ; 0,59 % en Oregon ; 4,5 % aux Pays-Bas. Force est de constater, toutefois, qu’ils progressent, lentement mais inexorablement… Or « 4,5 % de la population, est-ce vraiment faible ? » cingle Erwan Le Morhedec, avocat, opposant à toute légalisation de l’euthanasie (2). « La question est de savoir à partir de quel pourcentage on trouvera que c’est trop… » Au Québec, de nouveaux élargissements sont sur la table, indique la docteure Christiane Martel : « les troubles mentaux, les enfants prématurés… Difficile de refuser l’AMM sans faire de discrimination ».

Choisir sa mort ? 4 questions pour éclairer le débat

La liberté des uns peut-elle réduire celle des autres ? Non, répondent les partisans de la mort assistée, pour qui une évolution législative, si elle devait avoir lieu en France, créerait un nouveau droit sans rien retirer à quiconque. « Cette affirmation s’inscrit dans le libéralisme moral et la philosophie libertarienne, qui posent pour principe que tant qu’une liberté ne nuit pas aux autres, elle est acceptable, décrypte le philosophe québécois Louis-André Richard. C’est, à mon sens, ignorer que nous sommes un tout, en tant que communauté politique. »

Des revendications individuelles auraient donc une incidence sur le collectif ? En septembre, certains membres du Comité consultatif national d’éthique, au moment de voter l’avis sur la fin de vie publié par l’instance, ne disaient pas autre chose. Huit d’entre eux ont porté une « réserve ». Leurs arguments ? « Nous nous inquiétons d’une revendication d’autonomie du sujet qui tendrait à dénier que cette évolution, à la jonction de l’intime et du collectif, ne nous concerne pas seulement en tant qu’individu mais en tant que parties d’un corps social », alertaient-ils. Avant de poursuivre : « De ce fait, quel message une telle évolution législative enverrait-elle aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées ? Ne risque-t-elle pas d’être perçue comme le signe que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ? Nous nous inquiétons que cette loi suscite une forme de culpabilité, voire un complexe de vivre, chez des personnes souffrant déjà d’une exclusion sociale. »

Vrai risque ou chiffon rouge, destiné à jouer avec les peurs ? Christiane Martel, médecin en soins palliatifs au Québec, où l’aide à mourir est en vigueur depuis 2016, a recueilli le témoignage d’une quinzaine de collègues lorsqu’elle était présidente de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs. Et elle confirme : « Des médecins pratiquant dans les régions éloignées des centres urbains, notamment, racontent avoir des patients âgés qui, dès qu’ils commencent à perdre leur autonomie, se sentent des fardeaux pour leur famille et en arrivent à réclamer l’aide médicale à mourir (AMM). »

À titre personnel, la praticienne n’est « ni pour ni contre » l’aide médicale à mourir, mais pour « donner le meilleur soin au patient, en fonction de son souhait ». Soins palliatifs ? Mort assistée ? Au Québec, après des débuts compliqués, les professionnels de la santé ont appris à « parler ce double langage », poursuit la médecin. Mais encore faut-il que le patient ait réellement le choix.

Or, au Québec, l’accès à des soins palliatifs de qualité « n’est pas équitable selon le territoire », indique Christiane Martel. L’inquiétude ? Que l’aide médicale à mourir devienne alors un choix par défaut. Car l’euthanasie éteindrait-elle, justement, les soins palliatifs ? « Cette critique, souvent répétée, n’a pas lieu d’être au vu des expériences étrangères », remarque la juriste Martine Lombard dans son livre L’Ultime Demande. « Les législations sur l’aide à mourir subordonnent en réalité la recevabilité d’une telle demande à la condition que le patient ait pu accéder à des soins palliatifs. » Au Canada toujours, en 2021, plus de 80 % des bénéficiaires de l’AMM avaient ainsi reçu des soins palliatifs. Mais « quel type de soins ? En ce qui concerne le Québec, les chiffres ne sont pas précis, nuance Christiane Martel. Un simple entretien avec une infirmière en soins palliatifs suffit parfois pour entrer dans les statistiques. Peut-on vraiment parler d’accompagnement dans ces cas-là ? »

La cohabitation entre soins palliatifs et euthanasie prend alors des formes variées en fonction des pays : coopérative, ambivalente… « En Belgique, l’euthanasie est intégrée aux soins palliatifs, en synergie », décrypte Perrine Galmiche, chargée de mission au Centre national sur les soins palliatifs et la fin de vie (CNSPFV). La loi belge de 2002, qui dépénalisait l’euthanasie, s’accompagnait d’ailleurs d’un second texte visant au développement de tels soins. Malgré les engagements, les moyens restent néanmoins insuffisants, constatait dans son dernier rapport la Cellule fédérale d’évaluation chargée de faire le point sur le sujet. S’ils précisent que, de manière générale, « la charge de travail des équipes spécialisées de soins palliatifs s’est fortement accrue ces dernières années », les membres de la cellule enjoignent néanmoins les pouvoirs publics à « renforcer les équipes », à « améliorer la formation » et à « développer une politique de recherche ».

Plus que concurrents, soins palliatifs et euthanasie pourraient-ils donc être complémentaires ? Catherine Dopchie, ancienne médecin en soins palliatifs en Belgique, n’est pas tout à fait d’accord. Selon elle, la culture palliative a été « dénaturée par l’euthanasie ». Elle raconte la pression morale exercée par certains soignants sur leurs collègues récalcitrants, malgré l’existence d’un droit de retrait, et l’euthanasie évoquée de plus en plus tôt par les malades. Au Québec, Christiane Martel, témoigne, elle, de deux patients qui ont quitté l’hôpital où ils étaient pris en charge, car des médecins leur parlaient de l’aide à mourir « tous les jours ». « Ce qui me met mal à l’aise », regrette-t-elle, est « que cette mort programmée pourrait devenir la norme, la bonne façon de mourir ».

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(1) Quatre euthanasies de mineurs ont été pratiquées depuis.

(2) Auteur de Fin de vie en République. Avant d’éteindre la lumière, Cerf, 216 p., 18 €