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Cinema. Le retour des hirondelles empêché par la censure chinoise 

Depuis plus d’une quinzaine d’années, Li Ruijun, la quarantaine, natif du Gansu, situé au sud de la Mongolie, réalise des films à propos de ce qu’il connaît le mieux, la vie des paysans de sa région, humble et en symbiose avec la nature, mise en péril par une politique de développement local, détruisant la culture ancestrale en chassant les habitants de leurs terres.

Les titres de ses films sont évocateurs : « le Solstice d’été » en 2007 puis « le Vieil âne » montré à Rotterdam en 2010, « Dites-leur que je suis parti sur le dos de la grue blanche » à Venise en 2012, « la Route de la rivière » à la fois à Tokyo et à Berlin en 2015 et « Passage par le futur », sélectionné à Un Certain Regard à Cannes en 2017. En février dernier, « le Retour des hirondelles » était en compétition à la Berlinale. Ce film admirable est dans la lignée d’une œuvre initiée de longue date.

« Mon travail est comme celui du paysan qui confie ses cultures à la terre et au temps. Le cinéma est l’art du temps, le cinéaste lui confie ses films »

Revenant toujours filmer dans sa région d’origine, particulièrement préoccupé par l’abandon des personnes âgées, la pauvreté absolue et la désertification forcée des campagnes au profit de la ville, Li Ruijun s’intéresse à ceux qui ne peuvent pas partir, en un style de permanente empathie vis à vis de ses acteurs, pour la plupart « familiaux », créant d’office une profonde intimité entre eux, leurs personnages et le spectateur. Comment ne pas se prendre d’une immédiate « affection » pour le couple, devenant emblématique, que forment Ma Youtie, paysan réduit à l’état de quasi esclavage et Cao Guiying, jeune femme malingre, tellement battue par sa famille qu’elle en est devenue incontinente ? Comment oublier les séquences de peines, souvent drôles et touchantes, que « vivent » Youtie et Guiying devant la caméra ? Bien qu’unis de manière « arrangée » par deux familles qui veulent se débarrasser du poids qu’ils représentent à leurs yeux, les deux êtres s’apprivoisent et finissent par s’aimer. D’un amour tendre. Ils travaillent ensemble aux travaux des « saisons et des jours », aux semailles du blé et du maïs, à l’entretien de la pousse puis à la moisson, à l’élevage de poussins éclos dans une boîte en carton trouée dans laquelle Youtie avait bricolé un éclairage remplaçant la chaleur de la poule qu’ils n’avaient pas, à la construction de leur maison fabriquant les briques eux-mêmes et sur le toit de laquelle il attache Guiying à sa ceinture pour ne pas la perdre. Leur vie, faite d’échanges de sacs de blé contre un manteau ou une veste pour vêtir Guiying, de petites choses, est remplie par d’estime et d’amour de l’un pour l’autre. Mais de temps en temps, un homme en veste de cuir noir fait irruption en BMW dans leur « paradis » pour quasiment les « rançonner ». Finalement, c’est la machine de mort, qui rôde et détruit les maisons pour récupérer les terres, sans tenir compte des nids d’hirondelles et des petits qui sont dedans sans pouvoir voler, qui finit par avoir raison de la belle histoire de Youtie et Guiying.

Li Ruijun  « bâillonné »

Mais une autre machine de mort s’est abattue cette fois sur Li Ruijun et « le Retour des hirondelles » : le film devait sortir en Chine, après sa présentation à la Berlinale le 25 février 2022, et n’a reçu un visa d’exploitation que des mois plus tard. Finalement, il est sorti en salles le 8 juillet dernier, avec une fin modifiée en un happy end insensé au comble du ridicule. « Le Retour des hirondelles » est un succès public rapportant une centaine de millions de yuans, soit cinquante fois le budget initial, et le 26 septembre, le film a été retiré des écrans chinois et des plateformes.

Il faut rappeler qu’en 2021, la Chine s’était félicitée d’avoir éliminé la pauvreté absolue et que le 20ème congrès avait lieu en octobre. Li Ruijun se retrouve « bâillonné ». Selon ce que nous a déclaré Michèle Halberstadt, la distributrice du film en France, représentant ARP sélection : « Li Ruijun a reçu des menaces lui, sa famille ainsi que la famille du producteur, lui intimant de ne plus jamais parler du film. Il a même demandé aux sélectionneurs de la Berlinale de ne plus mentionner son film alors qu’il y était en compétition l’année dernière. Et c’est à tel point que lorsque le film a reçu des prix au festival international du film d’Histoire de Pessac (1) en novembre dernier, il a répondu qu’il ne pouvait pas réagir même à la réception d’un prix. Il n’a plus le droit de parler de son film. Il a même été tenté de nous empêcher de sortir le film en France nous disant : »il vaut mieux le faire plus tard !« . Ce à quoi nous avons répondu : »Nous avons des contrats signés, du matériel, et nous avons payé« . Tout avait été finalisé avant le festival de Berlin, qui a eu lieu en février 2022, donc personne ne pouvait nous empêcher de sortir le film. La situation reste très tendue. Li Ruijun est en Chine et se voit, d’une certaine manière, totalement déshérité de son propre film. »

Le titre original du film en chinois pourrait se traduire par « Caché dans le pays des cendres et de la fumée », en référence à la tradition du feu allumé près des tombes afin de communiquer avec les morts et de ne jamais les oublier. Et Li Ruijun a déclaré : « Mon travail est comme celui du paysan qui confie ses cultures à la terre et au temps. Le cinéma est l’art du temps, le cinéaste lui confie ses films. Et nos lointains souvenirs, comme des graines, se transforment en plans de cinéma. »

Youtie, interprété par Wu Renlin, l’oncle de Li Ruijun, et Guiying incarnée magistralement par Hai Qing, une des actrices les plus populaires de Chine, sont déjà un couple inoubliable du cinéma chinois.