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Club de l’économie du « Monde » : « Préserver l’Europe passe par une forme de protectionnisme »

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Benoit Bazin, patron de Saint-Gobain, un fabricant de matériaux de construction présent dans 76 pays, se montre assez sévère avec l’Union européenne, dont il dénonce la « naïveté » au moment d’aborder les questions de compétitivité.

Le directeur général de Saint-Gobain, Benoit Bazin, livre un plaidoyer en faveur de l’industrie européenne, menacée par la crise énergétique et sa trop grande naïveté à l’égard de la concurrence américaine et chinoise.

L’inflation a progressé à 6 % en France en décembre 2022. Avez-vous le sentiment, dans votre domaine, que la hausse des prix va bientôt se stabiliser ?

L’année 2023 nous rapproche de l’asymptote. Depuis l’été 2021, nous avons subi 5 milliards d’euros de surcoûts liés à la hausse des coûts des matières premières et à l’augmentation des prix de l’énergie. Cette augmentation va se poursuivre, mais de manière plus faible.

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Pourtant, le chiffre d’affaires de Saint-Gobain a augmenté de 16 % à volume constant sur les neuf premiers mois de 2022…

Oui, 2022 a été une excellente année pour Saint-Gobain, malgré ce surcoût. Tout d’abord, cela résulte d’un choix stratégique de positionnement : nous nous sommes penchés volontairement sur les « chantiers du siècle » plutôt que de subir les crises climatique et énergétique.

Ensuite, nous avons effectué de profondes modifications pour sortir de la globalisation. Le groupe a été réorganisé par pays afin que les achats de matières premières se fassent localement et ne soient pas dépendants du transport ou de l’approvisionnement. Aujourd’hui, moins de 1 % de nos matières premières sont chinoises. Au total, nos prix de vente ont augmenté de l’ordre de 12 % à 13 %, soit bien moins que l’augmentation du prix de l’énergie.

Est-ce une bonne chose que l’Etat soit intervenu pour modérer l’inflation en France ?

En partie oui, mais je pense que ce bouclier tarifaire aurait pu être beaucoup plus différencié pour davantage de justice sociale, entre ceux qui sont en capacité de payer leur énergie au prix fort et ceux qui auraient eu besoin d’une aide sur d’autres produits essentiels. Cela aurait aussi permis de faire des économies pour procéder à des investissements, notamment dans la rénovation énergétique. C’est un facteur de justice sociale.

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La crise énergétique a révélé la faiblesse de l’Europe en termes de compétitivité et de dépendance, notamment au gaz. Certains industriels affirment vouloir développer leurs activités aux Etats-Unis, au détriment de l’Europe. Allez-vous faire de même ?

La majorité de nos fabrications sont des produits locaux, qui ne voyagent pas. Nous avons cent sites de production en France et cent vingt-cinq en Amérique du Nord, chacun fabriquant pour sa zone géographique. Il ne serait pas intéressant pour nous d’ajouter le coût du transport. Cependant, il y a évidemment des produits qui voyagent : les matières premières. Sur ce point, l’Europe fait preuve de naïveté. Elle est en écart de compétitivité sur l’énergie, qui coûte cinq fois moins cher aux Etats-Unis et quatre fois moins en Chine.

Ce sont également des pays dans lesquels la visibilité est meilleure, ce dont nous manquons en France, en particulier sur l’énergie « verte ». Nous avons de l’énergie nucléaire décarbonée, mais EDF ne sait pas tracer la partie hydroélectrique ou nucléaire de son électricité. Nous avons investi dans de nouvelles usines de plaques de plâtre en Norvège étant donné que l’électricité y provient de l’hydroélectricité, qui est « verte » et que nous pouvons tracer.

Il y a un besoin de visibilité sur le cadre énergétique, et l’Europe accuse un déficit de compétitivité sur ce point, ainsi que sur la taxe carbone. Celle-ci n’a pas de sens si elle ne porte que sur les produits bruts tels que l’acier, et non sur les produits transformés comme l’automobile, car cela revient à financer des voitures électriques qui viennent de Chine. Il y a également un sujet de compétences et d’innovation : des mesures urgentes sont à prendre en Europe. Elle est à la traîne comparée à la Chine ou aux Etats-Unis, car tout va plus lentement.

Faut-il instaurer un système équivalent à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain pour protéger et subventionner les produits made in Europe ?

Le monde évolue à grande vitesse. Si l’on met cinq ans à discuter de la modification marginale de l’IRA américain, 10 % à 30 % de l’industrie européenne auront disparu. C’est là toute la difficulté en Europe : il faut que les industriels prouvent durant plusieurs années les dommages causés à l’industrie par l’importation des produits étrangers pour obtenir une réaction de la Commission européenne.

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Actez-vous la fin du libre-échange et de la mondialisation telle qu’on l’a connue ces vingt dernières années ?

Oui, car cette mondialisation à marche forcée n’a pas que des avantages. L’industrie est source d’emplois, d’innovation, mais aussi de justice sociale. Elle est même le principal ascenseur social de notre pays. Si on le perd, on tue l’aspiration de la classe moyenne qui fait l’équilibre de la démocratie.

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Si l’on veut préserver l’Europe et la démocratie, il faut préserver l’industrie, qui en est le socle en termes d’emploi, d’innovation et de souveraineté. Cela passe nécessairement par une forme de protectionnisme, car les industriels doivent être en bonne santé pour faire face aux gigantesques investissements qui doivent répondre aux objectifs de décarbonation.

Philippe Escande et Emeline Cazi