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Comment la communauté gay s'est mobilisée face au Monkeypox

Temps de lecture: 7 min

Dès les premiers foyers de Monkeypox en zones non endémiques courant mai 2022, une réalité épidémiologique a émergé: le virus touchait spécifiquement la communauté LGBT+, tout particulièrement les hommes gays, relativement jeunes et ayant des partenaires multiples. Et cette réalité s'est par la suite confirmée.

Dans son point du 16 août 2022, Santé publique France détaille –ce détail n'est plus réalisé dans les points suivants: «Parmi les cas investigués, 74 sont immunodéprimés (5,1% des cas ayant répondu); 385 sont séropositifs au VIH (soit 25% des cas connaissant leur statut VIH). Chez les cas non porteurs du VIH, 701 sont sous prophylaxie pré-exposition ou PrEP (soit 64% des cas non porteurs du VIH ayant répondu à la question). À ce jour, en France, 95% des cas pour lesquels l'orientation sexuelle est renseignée sont survenus chez des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Parmi les cas pour lesquels l'information est disponible, 71% déclarent avoir eu au moins 2 partenaires sexuels dans les 3 semaines avant l'apparition des symptômes.»

Par ses pratiques sexuelles et ses modes de socialisation, une partie de la communauté gay s'est retrouvée particulièrement exposée à une épidémie qui a commencé à se développer en son sein lors de manifestations estivales et à un virus qui se comporte vraisemblablement comme une IST. En effet, s'il ne se transmet pas ou pas uniquement par le sperme, il se transmet lors de contacts très rapprochés en situation de peau à peau, et donc tout particulièrement lors de relations sexuelles.

Héritage des luttes passées

Aujourd'hui, si le nombre de personnes contaminées tend à se stabiliser et si l'épidémie ne s'est pas propagée largement à d'autres segments de la population, c'est vraisemblablement que la communauté gay a su réagir vite, en palliant l'attentisme du gouvernement et ses carences en termes de communication ainsi que les écueils de certains médias généralistes qui ont peu et/ou mal traité le sujet, tant par crainte de stigmatisation et de maladresse que part désintérêt en plein cœur de l'été.

Dès la fin mai, les associations communautaires et historiques de lutte contre le VIH, notamment, sont montées au créneau pour recueillir des informations sur ce virus et ses modes de transmission et communiquer. Fin juin, Act Up a ainsi publié un article d'explications et de recommandations autour du Monkeypox et n'a pas cessé de partager des articles auprès de ses adhérents abonnés à sa mailing list.

De son côté, AIDES a mis en place un fil Telegram d'information et d'autosupport. Et tous les militants et les militants ont participé au partage d'information sur les réseaux sociaux. Fred Lebreton, journaliste spécialisé à l'association AIDES raconte: «Je me suis beaucoup servi de mes réseaux sociaux pour communiquer, faire passer des informations et répondre aux questions que je pouvais recevoir.»

«Nous pouvons avoir un rôle de référence pour la presse non communautaire, rassurer sur la manière de traiter le sujet, sur les termes à employer.»
Thomas Vampouille, rédacteur en chef de Têtu·

Gabriel Girard, sociologue de la santé, commente: «Les réseaux issus de la lutte contre le VIH ont joué à plein leur rôle d'entraide et d'information mutuelle sur les risques, les symptômes, la vaccination… Ils ont un savoir-faire hérité de ces luttes et ont pu le mettre ici à profit.»

Dans le même temps, les médias queer, qui font eux-aussi partie de ce maillage communautaire, ont embrayé. Thomas Vampouille, rédacteur en chef de Têtu· revient sur la période entre mai et septembre 2022: «Nous avons publié un premier article très explicatif sur le Monkeypox le 20 mai, quand il y a eu le premier cas en France. Puis, nous avons continué à publier régulièrement sur le sujet. En juin, dès lors que l'épidémie s'est intensifiée, nous avons contacté le gouvernement et la direction générale de la Santé pour avoir des informations en direct sans avoir à passer par des dépêches et pour suivre le sujet de très près au moment où la vaccination n'était pas encore ouverte, puis lorsqu'elle a été enfin accessible. Je suis très fier de mon équipe et notamment des deux journalistes qui ont suivi le dossier durant tout l'été.»

Repère et porte-voix

En outre, Thomas Vampouille explique que, selon lui, la presse communautaire peut jouer un rôle de service public. C'est la raison pour laquelle il a été décidé de passer les articles en gratuit –la plupart des contenus de Têtu· étant réservée aux abonnés et une large majorité des articles ayant trait au Monkeypox: «Nous avons l'habitude de rendre accessibles gratuitement les articles de prévention portant sur le VIH, les IST ou la santé mentale. C'est donc tout naturellement que nous avons fait de même avec les articles sur le Monkeypox.»

À l'instar des associations, Têtu· a également pu endosser un rôle de plaidoyer pour pousser les autorités à ouvrir la vaccination aux personnes exposées. Thomas Vampouille explique enfin la fonction qu'a pu avoir la presse LGBT+ auprès de la presse généraliste dans un contexte de tâtonnement, de crainte de stigmatisation, et de parfois de maladresses à l'égard des personnes concernées: «Nous pouvons avoir un rôle de référence vis-à-vis de la presse non communautaire, la rassurer sur la manière de traiter le sujet, sur les termes à employer…»

Gabriel Girard abonde: «La presse communautaire a un rôle de porte-voix. Dès lors que la communauté affronte une situation difficile, elle endosse une fonction de repère. Elle sert aussi à rendre compte.»

Mettre des visages sur une épidémie

En dehors des réseaux formels, ce sont aussi des individus seuls qui ont œuvré pour informer et participer à la prévention en utilisant leurs comptes Twitter ou Instagram. Certains ont même, notamment s'ils avaient contracté le virus et respectaient les trois semaines d'isolement, converti leur compte Grindr en compte dédié aux Monkeypox. «Il s'est mis en place une vraie responsabilité individuelle et collective que l'on retrouve notamment autour du chemsex. Une responsabilité héritée de la lutte contre le VIH que les plus jeunes (re)découvrent et investissent», constate Gabriel Girard.

Le sociologue note un véritable tournant à partir du moment où des personnes touchées par le Monkeypox ont commencé à témoigner, d'abord sur les réseaux sociaux, puis dans les médias après avoir été sollicitées par des journalistes: «Elles ont permis de mettre des visages sur cette épidémie et les gens exposés se sont vraiment sentis concernés.»

«La communauté gay a déjà montré sa capacité à ajuster ses pratiques face à un risque. C'est quelque chose que nous avons retrouvé ici.»
Gabriel Girard, sociologue de la santé

Corentin Hennebert compte parmi ceux qui ont témoigné de leur infection. Il raconte: «J'ai décidé de témoigner sur Twitter parce que, fin juin, quand j'ai attrapé le Monkeypox, nous manquions cruellement d'informations et parce que j'ai mis du temps à être dépisté et à comprendre ce que j'avais.»

J’ai la variole du singe bien vénère et je suis cloîtré chez moi pour trois semaines. L’occasion pour moi de faire un peu de prévention les ami.e.s d’après ce que m’a dit l’hôpital 👇👇

— PINSON (@hennebert8) July 2, 2022

Son tweet lui vaut alors d'être ultra-sollicité par les médias et le jeune homme répond à une quarantaine d'interviews. Cela lui vaut aussi de recevoir de très nombreux messages de la part d'autres malades et un réseau d'entraide et d'auto-support s'est rapidement constitué, permettant à chacun d'échanger sur ses symptômes et sur sa prise en charge. Très naturellement, celui-ci s'est constitué en collectif, signant une tribune dans le Journal du dimanche le 27 août 2022.

«Nous avons jugé utile de porter ainsi la voix des malades et être entendus de manière plus formelle», explique Corentin Hennebert. «Être en collectif nous permet également d'être dans la boucle des institutions comme la Direction générale de la santé pour disposer d'informations de première main et pouvoir les transmettre ensuite.»

Prise de conscience

De ces efforts de communication et d'information de la part des associations, des médias et des individus est née une véritable prise de conscience autour de la réduction des risques, suivie par des changements de comportements. Et s'il ne faut pas verser dans l'angélisme et que la communauté gay compte aussi ses Monkeypox-sceptiques, ses conspirationnistes et ses antivax, nombreux sont ceux qui ont réduit le nombre de leurs partenaires, évité ou limité leurs fréquentations des sex parties ou des saunas.

D'autres ont également opté pour l'abstinence, au moins le temps d'être vaccinés. Il y a d'ailleurs eu un vif engouement pour la vaccination dès lors que des créneaux ont été ouverts. «La communauté gay a déjà montré sa capacité à ajuster ses pratiques face à un risque. C'est quelque chose que nous avons retrouvé ici», explique Gabriel Girard.

Si nous ne disposons pas en France de chiffres précis, nous pouvons regarder ce qu'il s'est passé de l'autre côté de l'Atlantique cet été. Selon l'American Men's Internet Survey, 2022 Monkeypox Supplemental Survey, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ayant répondu au questionnaire en ligne du 5 au 15 août (soit bien après le lancement de la campagne de vaccination) étaient 48% à avoir réduit le nombre de leurs partenaires sexuels, 50% à avoir réduit le nombre de leurs partenaires d'un soir et 50% à avoir réduit le nombre de leurs rencontres sur les applications dédiées ou lors de sex parties.

De plus, en France, au 26 septembre, 107.461 doses de vaccins avaient été administrées –sans que l'on ait le détail des premières ou secondes doses, puisque le schéma vaccinal assurant la couverture optimale est à deux doses.

Dans un communiqué du mercredi 28 septembre, Camille Spire, présidente de AIDES, explique: «[Nos] actions furent bénéfiques puisque l'épidémie de la variole du singe est en baisse depuis quelques semaines. Néanmoins, la prévention et la vaccination doivent être maintenues pour éviter toute reprise de l'épidémie. Au rythme actuel, la totalité des publics éligibles ne sera vaccinée qu'à la fin de l'année et avec une seule dose. L'épidémie pourrait donc repartir!»

La mobilisation communautaire n'est ainsi pas terminée.