France
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Conflit autour de la réforme des retraites : le dernier clou dans le cercueil des « raisonnables » auto-proclamés ?

Les dirigeants français mettent souvent en avant la nécessité de faire des réformes, évoquant le fait qu’ils sont « raisonnables » quand les autres feraient le jeu du populisme.

© Michel Euler / POOL / AFP

Echec du cercle de la raison

Les réformes des dernières années se sont révélées largement inefficaces. Avec celle des retraites, la méfiance des Français envers les politiques s'aggrave, au risque de décrédibiliser toute idée de réforme à l'avenir.

Atlantico : Les dirigeants français mettent souvent en avant la nécessité de faire des réformes, évoquant le fait qu’ils sont « raisonnables » quand les autres feraient le jeu du populisme. Mais le problème est que les réformes des dernières années se sont révélées largement insuffisantes. Avec cette nouvelle réforme des retraites, très impopulaire et faisant abstraction des enjeux principaux (vieillissement, perte de productivité, etc.), n’est-ce pas le risque de décrédibiliser toute idée de réforme à l’avenir ?

Christophe Boutin : Quels sont les rapports entre les réformes et le populisme ? On remarquera que, dans un sens ou dans l’autre, le populisme est toujours présenté de manière négative. En effet, il se peut qu’il y ait une demande populaire de réformes - sur l’immigration, sur les sanctions des criminels, sur la défense d’une culture nationale. Taxées de populistes, ces demandes sont immédiatement déconsidérées.  Dans d’autres cas, une partie du peuple semble cette fois non plus demander des réformes, mais s’opposer à celles qui lui sont proposées – nous le vivons avec la réforme des retraites. Las, cette opposition sera elle aussi taxée de populiste et donc elle aussi dénigrée.

On retrouve en fait ici la même méfiance envers le peuple que celle qui soulève les inquiétudes de l’oligarchie au pouvoir lorsque l’on évoque la question du référendum. Au mieux irrationnel et incompétent, au pire animé de passions tristes et de pulsions mauvaises, le peuple est toujours suspect lorsqu’il s’exprime. Incapable de dépasser le sens de ses intérêts immédiats pour saisir l’intérêt général, conservateur dans le plus mauvais sens du terme – toujours en train de défendre ses « avantages acquis » ou son « mode de vie » sans être capable de « voir grand » - le peuple doit finalement laisser la place aux « sachants ».

La thèse n’est d’ailleurs pas nouvelle : c’est celle des pères de notre Révolution. De Montesquieu écrivant que « le peuple a toujours trop d’action, ou trop peu. Quelquefois avec cent mille bras il renverse tout ; quelquefois avec cent mille pieds il ne va que comme les insectes ». De Sieyès déclarant en 1789 dans un discours à l’assemblée Constituante : « La très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisirs pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ».

À cause de cela, seule une petite élite doit avoir la tâche de diriger la nation, car elle seule serait à même de savoir quelles réformes sont possibles, souhaitables et, surtout, nécessaires. Cette doxa par laquelle l’oligarchie au pouvoir s’arroge le monopole de la raison n’est pas sans poser des problèmes en démocratie. D’une part, parce que la du pouvoir légitimité repose in fine sur un choix populaire, qui, cette fois, est supposé bon – mais Montesquieu estime que l’élection est à la portée des plus incultes : « Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité. [Mais] la plupart des citoyens, qui ont assez de suffisance pour élire, n’en ont pas assez pour être élus ». Mais, surtout, parce qu’il peut y avoir désaccord entre les vœux de l’oligarchie et ceux d’un peuple censé être souverain… mais à qui on impose cependant des choix. 

Et c’est sans doute là que se situe la question de la crédibilité du pouvoir et des réformes. Que les pouvoirs politiques puissent manifester des hésitations, qu’il puisse y avoir des erreurs dans les réformes envisagées et mises en oeuvre n’a en soi rien de choquant. Après tout, personne ne peut tout prévoir, et même si on a multiplié les précautions - en obligeant par exemple le législateur à envisager les impacts de ses textes, ou à utiliser les avis de corps de contrôle étatiques de qualité – il se peut que la réforme ne soit pas satisfaisante. Par ailleurs, et le pouvoir a raison en ce sens, une minorité agissante disposant de suffisamment de capacités de gêne peut arriver à empêcher une réforme nécessaire par les troubles qu’elle génère. 

Mais dans les deux cas, la solution réside dans l’accord entre les vœux de la majorité du peuple et les choix des autorités élues. Ce qui décrédibilise le pouvoir, c’est son incapacité à aller puiser dans le soutien populaire la force de faire passer ses réformes… tant il sait que ce soutien populaire n’existe pas et que la réforme qu’il met en oeuvre n’a pas le soutien de la majorité de la population.

En ce sens, les réformes des dernières années se sont révélées insuffisantes parce qu’elles n’ont été que cautères sur une jambe de bois. Demander aux Français de travailler plus pour sauver un système de retraite sans se poser la question de son obsolescence au regard des évolutions démographiques, ni celle du pillage de nos comptes publics, entre dépenses incontrôlées et rentrées manquantes, ne saurait être satisfaisant pour ce « bons sens » dont le très Français Descartes disait qu’elle était « la chose du monde la mieux partagée ». C’est cela qui conduit à ce doute, à ce manque de crédibilité, et sur bien des points les Français, qui en sont pas figés, seraient prêts, demain, à accepter bien des réformes - qu’a cause de cela on ne leur proposera pas !

La France se trouve dans un état critique, avec des services publics en déshérence, une dette abyssale, une insécurité grandissante, etc. À quel point ceux qui se disent appartenir au « cercle de la raison » en sont-ils responsables ?

Ils sont a priori tous pleinement responsables et ne pourraient que très difficilement s’en exonérer. Les partis qui se targuent si volontiers d’appartenir à ce club qu’ils veulent fermé des « partis de gouvernement » rappellent par cette formule même dont ils se gargarisent qu’ils ont gouverné la France depuis des décennies - si ce n’est des siècles. Ils ont donc fait les choix et mené les politiques qui nous ont conduit à la situation actuelle, et ce quel qu’ait été leur bord politique : dès 1983 l’alternance entre la « gauche » et la « droite » au pouvoir cachait mal leur identité de vue sur nombre de points, la seule différence subsistant entre les deux n’étant jamais que sur certains points de la politique sociétale, occupant médias et opinion publique pour mieux permettre de faire des choix communs.

La doxa de l’oligarchie au pouvoir, c’est par exemple de considérer que la fusion de la France dans l’Union européenne est une ardente obligation, que le retour dans l’OTAN est une nécessité, que les politiques libérales visant à dépecer ce service public mis en place par l’impôt des Français des générations précédentes au profit de groupes financiers étrangers ne pouvaient être contestées. Jamais de remise en cause, car le noyau de la doxa des sachants peut toujours être résumée dans la célèbre formule de Margaret Thatcher : TINA, « There Is No Alternative »…

Bien sûr, il y eut la crise financière, la crise sanitaire, la crise sécuritaire… Mais « gouverner c’est prévoir », or le « cercle de la raison » a considéré que la mondialisation ne saurait être qu’heureuse et que les lois du marché auraient un effet bénéfique en matière sociale et environnementale - que l’on relise la Déclaration de Rio 1992 dont le principe 12 demande « un système économique international ouvert et favorable, propre à engendrer une croissance économique et un développement durable dans tous les pays », ou le programme Action 21, toujours à Rio en 1992, expliquant que « les approches économiques et les mécanismes de marché peuvent dans de nombreux cas permettre de mieux traiter les questions d'environnement et de développement ». 

Alors, c’est vrai, la responsabilité n’est pas la culpabilité, la responsabilité politique ne saurait entraîner qu’une sanction politique, et on peut à raison s’inquiéter de la pénalisation que l’on constate de plus en plus souvent. Qu’un juge qui n’a jamais eu à affronter les difficultés du choix politique donne avec suffisance des leçons à ceux qui tentent de faire au mieux face à une crise peut légitimement inquiéter. Mais la sanction politique est-elle encore possible dans nos systèmes démocratiques ? Trafiquant les chiffres de l’immigration, occultant les réalités de l’insécurité, mentant ouvertement lors de la crise sanitaire, le fameux « cercle de la raison » est totalement démonétisé et sa parole n’est plus que flatus vocispour nombre de nos concitoyens. Il n’en reste pas moins que nombre ses représentants, y compris les plus pitoyables chevaux de retour, continuent de profiter de tribunes médiatiques et de places de choix dans les institutions de la « République exemplaire » et, bien loin des contraintes subies au quotidien par ces Français dont ils ont contribué au déclin, se partagent rhubarbe et séné.

En quoi le macronisme obéit-il avant tout au réformisme du système technocratique français et européen ?

Dire que le macronisme obéit à un « réformisme du système technocratiques français » conduit à s’interroger sur ce qu’est aujourd’hui ce dernier. On peut estimer que le système technocratique français a été mis en place, après quelques essais avant-guerre ou sous Vichy, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il visait alors à promouvoir, notamment par la planification, la souveraineté de l’État dans la plupart des grands domaines. De fait, c’est ce système technocratique français, profondément national, duquel participa pleinement la haute administration réformée, qui mit en place les grands projets qui, en matière énergétique, d’éducation, de protection sociale, de production agricole, de développement scientifique, ont conduit au succès des « trente glorieuses ». 

Le système technocratique actuel, quand bien même est-il « en France », n’a plus rien de « français ». Totalement inféodé à une doxa supranationale, ii vise d’abord à faire disparaître la souveraineté de la nation dans un ensemble où une administration supranationale régit les peuples pour le plus grand avantage d’une finance internationalisée. Intellectuellement assujetti aux méthodes de management anglo-saxonne ensuite, il applique des méthodes incompatibles avec le bon fonctionnement de nos services publics - l’application des méthodes comptables dans le domaine de la santé publique, qui a conduit la dégradation de notre système de santé et le mettant sous la coupe de petits gestionnaires incompétents mais brassant des milliards sans que les personnels de santé soient réellement consultés, en étant un des exemples les plus pertinents. 

En ce sens, le macronisme, ce réformisme au profit d’intérêts supranationaux, est parfaitement intégré dans cette nouvelle logique technocratique, et en sert les intérêts avec un zèle sans pareil. De sa volonté de promouvoir la souveraineté européenne en lieu et place de la souveraineté française, à celle de remplacer une haute administration de grands commis de l’État par des affidés se partageant entre public et privé mais, conseillers ministériels ou siégeant dans un board, servant toujours les intérêts du second, les exemples seraient trop nombreux de ce qui est un choix clairement assumé.

Quelles sont les priorités en matière de réformes que pourraient accepter les Français ?

Pour le savoir, le plus simple, ne serait-il pas de le leur demander ? De leur demander leur avis sur telle ou telle réforme, bien sûr, le référendum étant ici un « juge de paix ». On définit le cadre de la question, on montre les différentes options, on en débat pendant la campagne, et ils font leur choix. Le sujet est complexe ? Rappelons que l’on envoya aux Français en 2005 le texte complet du traité constitutionnel en expliquant alors – mais on pensait le résultat favorable acquis – que rien n’était trop complexe pour eux…

En dehors de ce choix sur une question posée, l’autre possibilité, qui manque cruellement en France, et qui fait l’objet d’une revendication constante, serait la possibilité pour les Français de se poser à eux-mêmes la question, sans attendre que le pouvoir veuille bien leur demander leur avis. Autrement dit qu’existe un référendum d’initiative « citoyenne » ou « populaire », en tout cas tout autre chose que l’actuel référendum d’initiative « partagée » - en fait sous contrôle parlementaire - mis en place par Nicolas Sarkozy.

Au vu des sondages, il est en tout cas permis de penser que les Français accepteraient sans guère de problèmes une réforme aboutissant à cette politique de réduction drastique de l’immigration qu’ils appellent de leurs vœux, ou celle visant à un changement de paradigme en termes de lutte contre l’insécurité, et qui, au lieu d’imposer à tous une société de surveillance attentatoire aux libertés, traiterait comme ils le méritent les responsables de l’ensauvagement du territoire. Et pour en terminer avec l’actualité, ils accepteraient sans doute une réforme des retraites, à laquelle ils pourraient souscrire si, comme nous le disions, les comptes publics étaient préalablement remis d’équerre, permettant une bonne visibilité des possibilités offertes.

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