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Controverses, blagues de mauvais goût… L’art subtil d’intégrer une dose d’humour dans une émission d’infos

Virée pour une mauvaise blague. C’est en quelques mots la façon dont on peut résumer le passage éclair de l’humoriste Alexandra Pizzagalli dans Télématin, sur France 2. Adepte d’humour noir, son apparition sur le petit écran n’aura été qu’éphémère après sa chronique maladroite sur l’attentat de Nice ayant contraint France Télévisions à présenter ses excuses.

Si la séquence, très commentée sur les réseaux sociaux, peut paraître anecdotique, elle interroge sur la façon dont les humoristes sont encadrés lorsqu’ils sont intégrés dans des émissions d’information. Officialisant son départ dans une interview au Parisien, la jeune femme a témoigné avoir envoyé sa chronique dans la nuit précédant son passage dans l’émission « à cinq personnes dont la productrice ». C’est cette dernière qui aurait validé le texte.

Alexandra Pizzagalli confie encore que le contexte n’était pas forcément favorable à son humour, parfois grinçant. « J’aurais dû m’adapter davantage au contexte », assure-t-elle, estimant que ses blagues n’étaient pas forcément adaptées au public et à l’horaire de l’émission, diffusée tous les matins entre 6h30 et 9h30. Tout ceci fait réfléchir aux méthodes de casting et d’encadrement des chroniques humoristiques, parachutées dans les émissions d’actualité. Alors comment les chaînes et les producteurs organisent-ils la venue d’humoristes dans leurs programmes ? 20 Minutes tente de répondre.

Un exercice « périlleux »

Mixer information et humour est un cocktail qu’il faut savoir doser avec minutie. Si de nombreux humoristes s’y sont essayés, de nombreux loupés sont déjà survenus, tant à la télévision qu’à la radio. Si la mauvaise blague d’Alexandra Pizzagalli est l’exemple le plus récent, on se souvient aussi des propos de Nicolas Canteloup sur Europe 1 en 2017. L’imitateur avait été accusé d’homophobie après une blague du plus mauvais goût sur la violente interpellation de Théo à Aulnay-sous-Bois. Jean-Marc Dumontet, son producteur, avait ensuite présenté ses excuses au nom de l’humoriste et de son équipe. « C’était un très gros dérapage ce matin, évidemment involontaire. […] On pensait que c’était trash, c’était juste pas drôle et vulgaire. Très sincèrement désolé », déclarait-il alors sur l’antenne d’Europe 1.

Même chose sur France Inter le 10 janvier 2020 lorsque l’humoriste et chanteur Frédéric Fromet dans une chanson intitulée « Jésus est pédé », sur l’air de Jésus revient, en direct dans l’émission Par Jupiter. Public comme personnalités publiques s’indigneront à la fois du caractère homophobe de sa prestation et de l’atteinte aux chrétiens. Une semaine plus tard, c’est via le service de la médiation de la radio publique qu’il présentera ses excuses. « Je constate que ma chronique est ratée. Elle n’avait pour but que de dénoncer l’homophobie. J’ai été si mal compris que j’ai même heurté une association LGBT », écrit-il assumant sa responsabilité et présentant ses excuses. « tout en revendiquant mon droit à l’erreur dans un exercice qui reste très périlleux ».

Ces exemples comme celui d’Alexandra Pizzagalli sont autant d’exemples de l’exercice d’équilibriste qui compose le métier d’humoriste. Encore plus lorsqu’il s’agit de chroniques, souvent à fréquence régulière, et reposant sur l’actualité. Mais cette liste non exhaustive de dérapages ne remet pas en cause l’intérêt d’une dose d’humour dans les émissions d’information.

« À flux tendu »

Dans une interview à 20 Minutes en 2021, l’animateur Yann Barthès aux manettes de Quotidien sur TMC justifiait le nombre de chroniques humoristiques de son émission par un contexte tendu, entre le Covid et les années post-attentats. « On a toujours essayé de ne jamais perdre l’humour malgré ce que l’on a pu vivre ces dix dernières années, même dans les moments les plus compliqués. Cette saison, je pense qu’on en a encore plus besoin, donc on en a rajouté un peu. »

Avec près de 25 humoristes sur ses ondes, France Inter peut se targuer d’être la chaîne d’information qui laisse le plus de place à l’humour. Et chaque année apporte son lot de nouveaux chroniqueurs humoristiques. Alexandra Pizzagalli fait d’ailleurs partie des nouvelles recrues de la saison dévoilée en septembre 2022. « On cherchait des gens qui critiquent l’actu pour conclure l’émission de Matthieu Noël et son humour correspondait parfaitement au programme », commente Yann Chouquet, directeur des programmes de France Inter. Il confirme que la jeune femme restera sur les ondes de la radio du service public, assurant qu’aucun humoriste n’est « interchangeable ». Le ton de chacun correspond à une place dans la grille et au public ciblé par le programme. Yann Chouquet raconte qu’à chaque fois qu’un humoriste met les pieds dans une émission, c’est « potentiellement un terrain miné ».

Car l’exercice de la chronique est loin d’être évident pour les humoristes qui s’y collent. Faire ses armes dans une émission d’actualité impose qu’on se réfère… à l’actualité. Le rythme d’écriture est donc soutenu et le travail ne peut pas être largement anticipé. « Ces chroniques, elles sont écrites en flux tendu. […] Par moments on manque de lucidité. […] Dans la fabrication de sa revue de presse, où il faut être en permanence à l’écoute de l’actu », avait expliqué Jean-Marc Dumontet.

Liberté d’expression

À ce rythme soutenu s’ajoute la méconnaissance des humoristes des publics qui écoutent les émissions dans lesquelles leurs blagues seront diffusées. Pour cette raison, France Inter encadre l’arrivée de nouveaux venus. « Quand on accueille un nouveau chroniqueur, on lui explique qu’il parlera majoritairement à tel type de public, telle tranche d’âge, etc. Si des enfants peuvent être derrière leur poste de radio au moment où la chronique est diffusée, on lui dit aussi », explique Yann Chouquet.

Il explique que les textes sont relus avant les premiers passages à l’antenne mais une fois que la chronique est sur les rails, il n’y a plus du tout de relecture, au nom de la liberté d’expression. « On ne relit pas les chroniques de chacun de nos journalistes et ce serait intenable si on le faisait, donc je ne vois pas pourquoi on devrait le faire pour les humoristes. »

Après le bad buzz de Nicolas Canteloup en direct sur Europe 1, son producteur avait aussi exprimé sa reconnaissance à la chaîne offrant à l’humoriste « une grande liberté de ton ». « C’est une grande chance qu’on a et cette grande liberté, elle va dans les deux sens. » Jean-Marc Dumontet avait raconté le processus d’écriture, précisant que la chaîne n’opérait plus de droit de regard a priori. L’équipe de l’humoriste était donc en charge du regard final sur la chronique. « On n’a pas le temps systématiquement de repasser sur les textes, de bien les voir. »

Des sanctions variables

Le directeur des programmes de France Inter précise toutefois que des débordements se sont « de nombreuses fois » produits lors de chroniques menées par des humoristes. Il ajoute que lorsqu’un dérapage se produit lors d’une chronique, « un petit recadrage » peut s’ensuivre. « Si l’auteur maintenait bec et ongles, sans regard critique, son avis contraire à celui des auditeurs choqués, ce serait une rupture du contrat de confiance avec nous mais ça n’est jamais arrivé. » Après avoir présenté à plusieurs reprises ses excuses aux auditeurs de France Inter, Frédéric Fromet a toujours pu reprendre le cours de sa chronique hebdomadaire.

Même constat pour Europe 1 où Canteloup avait directement fait référence à sa chronique de la veille, s’excusant brièvement auprès des auditeurs avant d’entamer une nouvelle salve de blague au micro de la radio où il restera jusqu’en juillet 2021.

Si France Télévisions n’a pas répondu à nos sollicitations dans les délais impartis par la rédaction de cet article, Alexandra Pizzagali témoigne toutefois auprès du média francilien que « tout s’est fait très vite ». Elle raconte encore avoir émis quelques réserves quant à la temporalité de son texte et le ton de ses blagues tandis que l’ouverture du procès de l’attentat de Nice était traité avec des témoignages poignants de victimes. « La productrice m’a répondu : "On ne va pas te demander de la réécrire maintenant, donc on y va comme ça". » Elle y est allée… mais ne reviendra plus.