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Crise en Israël : «Le gouvernement nous a pris notre pays»

Rues désertes, balayées par un froid glacial – Jérusalem, ce dimanche soir, semble vide. Mais le vrombissement d’un drone dans l’obscurité, la rumeur des sirènes au loin, laissent percevoir de l’agitation à Rehavia, quartier huppé de Jérusalem, là où se trouve le logement personnel de Benyamin Nétanyahou, rue de Gaza. Des manifestants ont bousculé le léger barrage policier qui fermait la rue depuis quelques jours. Ils sont sortis spontanément, suite au limogeage, par Benyamin Nétanyahou, de Yoav Gallant, le ministre de la Défense.

Celui-ci avait réclamé, dans un discours grave, l’annulation du projet de réforme judiciaire, qui doit considérablement limiter les compétences de la Cour suprême, rare organe de contre-pouvoir dans un pays sans constitution écrite, et où le législatif est inféodé à l’exécutif. Le barrage policier s’est reformé en contrebas, là où la route se rétrécit. La chaussée est encore mouillée, comme les cheveux noirs et bouclés de Gali, étudiante en science politique à l’Université hébraïque : «Ils ont fait venir le canon à eau, nous ont aspergés, poussés, tous les manifestants, hommes, femmes, vieux, jeunes.» La confrontation s’est calmée – l’eau lancée sur la foule était légèrement savonnée, contrairement à celle pulvérisée sur les militants palestiniens, putride, dont l’odeur met des jours à partir.

Gali, 26 ans, et sa camarade, Tamar, sont de toutes les manifestations depuis deux mois. Elles avaient l’espoir, suite au discours de Yoav Gallant, que d’autres députés s’engouffrent dans la brèche. Mais seuls deux ont suivi – pas assez, pour faire empêcher le vote de la réforme. «La façon dont Nétanyahou a viré Gallant, sans ménagement, ça montre qu’il est prêt à tout pour aller au bout de la réforme et éviter la prison», commente Gali, qui fait allusion au procès de Nétanyahou, accusé de corruption, de fraude et d’abus de confiance. Avant d’ajouter : «Maintenant, on est très inquiets, parce qu’une fois que la réforme est votée, ce sera trop tard. Il faudra voir la réaction de l’armée.»

Changement de forme

Dans la rue de Gaza, la manifestation s’est reformée. Les éclairages élégants des cafés branchés se reflètent sur le bitume. Aux cris de «Israël n’est pas une dictature», d’autres répondent «démocratie». Dans la Jérusalem couche-tôt, on a l’impression que la nuit ne fait que commencer. Les forces antiémeutes, sans casques ni protections, sourire aux lèvres, patientent, l’air badin, devant la barrière. D’autres vont et viennent en tenue, dans la foule, en veillant à ne pas trop heurter les protestataires. «Les policiers sont nos frères !» résonne un slogan. Ce ne sont pas eux, les ennemis. «Ils ne font que leur travail. Nous aussi, on a fait notre service militaire. Contrairement à la moitié du gouvernement. En plus, ils sont contre les femmes. Ils nous ont pris notre pays», tranche Tamar, la camarade de Gali. Itamar Ben Gvir a été réformé, jugé trop radical. Bezalel Smotrich n’a pas servi en uniforme. Quant à la plupart des ultraorthodoxes, ils sont dispensés de conscription.

La contestation a changé de forme. La mobilisation anti-réforme change. Elle sort des chemins bien balisés des modes de contestation du centre gauche en Israël. Comme lorsque les manifestants ont bloqué le principal axe de Tel-Aviv, l’avenue Ayalon, le 9 mars créant un précédent, ceux-ci tiennent le terrain à Jérusalem, ne veulent pas la violence, mais tiennent à se faire entendre. A Tel-Aviv, Ayalon est à nouveau bloqué, ainsi que l’aéroport Ben-Gourion à l’arrêt en raison de la grève. Des feux sont allumés en pleine rue. Un parfum de révolution se répand. Nétanyahou n’est pas un dictateur, mais c’est le premier d’une génération de leaders populistes. Il est au pouvoir, à part une interruption de dix-huit mois, depuis plus d’une décennie.

Union des syndicats

Soudain, un mouvement hostile, dans la foule. Un militant pro-Nétanyahou, taillé comme un colosse, portable filmant main gauche, pancarte «les gauchistes sont des traîtres» main droite, bouscule tout le monde sur son passage, râle à pleins poumons. On tente de le contenir, il charge tête baissée. Soudain, il recule. Une vieille femme, en fauteuil roulant électrique, pousse, tourmente l’importun. Celui-ci ne sait que faire. Il était venu chercher une confrontation virile, le voilà harcelé par une dame en fauteuil. Le regard un peu perdu, il s’écarte, essaie de revenir, mais prend des coups de fauteuil. La foule est galvanisée. Elle accable le militant de «Démocratie, démocratie», lui hurle «Honte ! Honte !», tandis que la police antiémeute arrive et contrôle le colosse. Une certaine image d’une vieille génération qui se bat contre la brutalité installée au sommet du pouvoir.

Ce matin, les manifestants ont repris espoir. Le président Isaac Herzog, au rôle honorifique, a appelé à stopper la réforme séance tenante. Trois autres députés du Likoud réclament la suspension du processus législatif. Pour la première fois dans l’histoire du pays, les syndicats de travailleurs – la puissante Histadrout –, mais aussi patronaux, appellent ensemble à une grève générale. Nétanyahou n’a que des mauvais choix : s’il continue, il pousse le pays dans l’ornière. S’il suspend sa réforme, il risque de perdre la coalition.