France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Daniel Defert, philosophe, sociologue et figure de la lutte contre le sida, est mort

L’universitaire a été à l’origine de la création de l’association Aides en 1984, après la disparition de son compagnon, Michel Foucault.

Il fut l’une des figures majeures de la lutte contre le sida en France. Philosophe, sociologue, compagnon et éditeur de Michel Foucault (1926-1984), fondateur de l’association Aides (en 1984), Daniel Defert est mort à Paris le mardi 7 février, à l’âge de 85 ans, selon les informations du Monde.

Il a eu plusieurs vies. Né le 10 septembre 1937, il fut élève à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) avant de devenir agrégé de philosophie, en 1964. Il aurait très bien pu n’être « que » sociologue, assistant de sociologie (1969-1972), puis maître assistant et enfin maître de conférences (1985-2001) à l’université de Paris-VIII-Vincennes, déménagée à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en 1980. D’autant qu’il fut l’élève de Raymond Aron et l’un des théoriciens de la notion d’ethno-iconographie.

C’était sans compter la rencontre qui allait marquer sa vie, au début des années 1960, avec Michel Foucault. Cette relation, décrite comme « un état de passion », les amena tous les deux à militer à la Gauche prolétarienne (GP), un mouvement clandestin maoïste. De son passé de militant maoïste, Daniel Defert aimait se souvenir de certaines phrases – « L’œil du paysan voit juste », « Il faut marcher sur ses deux jambes » – qui plus tard, disait-il, l’aideraient en particulier à structurer son action en faveur des personnes séropositives et des patients atteints de sida.

« Au départ, c’était une toux »

Maoïste, il participa à une grève de la faim destinée à obtenir un statut de prisonnier politique pour les militants de la GP (groupe interdit à l’époque) incarcérés. Dans le droit fil de cette action, avec Michel Foucault et d’autres grands intellectuels comme Pierre Vidal-Naquet, il participe à la création du Groupe d’information sur les prisons (GIP). L’idée était non seulement de donner la parole aux détenus, de les faire apparaître en tant que tels dans l’espace public, mais aussi de réfléchir à la notion même d’incarcération – en 1975, Michel Foucault publiera sur le même sujet l’un de ses maître-livres, Surveiller et punir : Naissance de la prison (Gallimard).

Pour Daniel Defert, la mort de Michel Foucault, dans des circonstances qu’il mit plus de vingt ans à décrire, allait tout changer. « Du deuil à la lutte » : ainsi s’intitulait le bel entretien qu’il accorda à Eric Favereau, journaliste à Libération, pour son ouvrage Nos années sida – 25 ans de guerres intimes (La Découverte, 2006). Dans cet entretien, ainsi que dans un autre ouvrage, Une vie politique : entretiens avec Philippe Artières et Eric Favereau (Seuil, 2014), il revient longuement sur les circonstances, longtemps incomprises, de la mort de l’auteur d’Histoire de la sexualité (le premier volume, paru en 1976 chez Gallimard, s’intitulait La Volonté de savoir).

« Au départ, disait-il, c’était une toux. » En janvier 1984, un traitement antibiotique à base de Bactrim s’était montré très efficace. « A l’époque, disait Daniel Defert, la représentation du sida était celle d’une maladie brutale, très vite mortelle. Or, ce n’était pas le cas à nos yeux. Et donc l’hypothèse du sida, que l’on avait bien sûr évoquée l’un et l’autre en décembre 1983, a disparu devant l’efficacité du traitement. Puisqu’il guérissait, cela voulait dire que ce n’était pas le sida. »

La vie reprend. Foucault poursuit ses cours au Collège de France. Termine deux livres. Juin 1984 : rechute. Hospitalisation de trois semaines qui se terminera par son décès. « Les médecins prétendaient ne pas savoir ce qu’il avait, poursuivait Daniel Defert. (…) Ils avaient des réticences légitimes à se précipiter sur l’hypothèse sida. C’était trop simple, homosexualité = sida. Ils se sont interdit d’y penser trop tôt, ou trop exclusivement. » Le souci majeur de l’équipe médicale était de maintenir un certain silence pour laisser Foucault tout à son travail, « dans la relation secrète à sa propre mort », qu’il avait décrite quelques mois auparavant dans la nécrologie de son ami Philippe Ariès.

« Peur sociale »

Après le décès de Foucault, on demande à Daniel Defert de se rendre à l’état civil de l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris. Sur un papier qui traîne sur le bureau – le bulletin d’admission de Foucault – il voit ceci : « Cause du décès : sida. » « Qu’est-ce que cela veut dire ? », demande-t-il au médecin qui était à côté de lui. « Rassurez-vous, cela disparaîtra, il n’y en aura pas de traces. »

« Là, violemment, je découvre la réalité du sida, dira Defert : faire semblant dans l’impensable social. Je découvre cette espèce de peur sociale qui avait occulté tout rapport de vérité. Il poursuit : à partir du moment où il était mort sans le dire, sans pouvoir ou sans savoir le dire, j’avais l’impression que je ne pouvais pas le dire à sa place, que c’était contraire à l’éthique médicale à laquelle j’adhère. Et ne rien dire du tout, c’était entrer dans la peur du scandale. J’avais à résoudre un problème : ne pas parler pour lui, mais pas ne rien faire. Il y avait l’obligation de créer quelque chose qui ne soit pas une parole sur sa mort, mais une lutte. »

Et c’est ainsi que naquit Aides. Rassuré quant à son statut sérologique – il était négatif, ce qui, à l’époque, ne signifiait pas grand-chose dans la mesure où l’on ne savait pas très bien ce qu’impliquait cette présence d’anticorps –, Daniel Defert décida de fédérer autour de lui des « volontaires », ainsi se dénommaient les membres d’Aides, bien décidés à faire triompher les impératifs de santé publique.

Le combat que mena Daniel Defert fut long, obstiné, essentiel, parfois incompris (pourquoi ne voulait-il pas faire d’Aides une association de défense des homosexuels ?). D’autant plus difficile que les responsables politiques ne s’intéressaient pas aux enjeux de société liés à l’émergence du sida. C’était l’époque, rappelons-le, où le poids politique de l’église faisait qu’il était impossible de faire des publicités en faveur de l’utilisation des préservatifs.

Très vite, Defert comprit que le plus important était de sortir les patients – quels qu’ils soient, homosexuels, toxicomanes, hémophiles, hétérosexuels, etc. – de leur isolement. De mettre fin à la stigmatisation dont ils étaient l’objet. Objectif d’autant plus complexe que certains interlocuteurs – à commencer par la presse gay – se dérobaient.

Trouver des interlocuteurs à l’écoute

Il fallut attendre la nomination de Michèle Barzach au ministère de la santé du gouvernement Chirac, en 1986, pour qu’enfin les choses changent. Pour que Daniel Defert trouve enfin, au plus haut niveau de l’Etat, des interlocuteurs à l’écoute.

En 1987, Aides connut une scission (qui donna naissance à Arcat-sida, l’association de Jean-Florian Mettetal (1952-1992) et Frédéric Edelmann, alors journaliste au Monde, financée par Pierre Bergé. Deux ans plus tard, ce fut la création d’Act Up-Paris. Plus que jamais, la figure et l’œuvre de Michel Foucault étaient au cœur des débats qui agitaient ce milieu militant.

S’agissant de Foucault, Daniel Defert a co-édité avec François Ewald les quatre volumes, aujourd’hui réédités en deux, de Dits et Ecrits (Gallimard, 1994) – un recueil posthume de conférences, entretiens et articles. Daniel Defert a également participé, sous la direction de Frédéric Gros, à la publication des Œuvres de Michel Foucault dans « La Pléiade », en 2015.

Daniel Defert apparaît sous le prénom de Stéphane dans le magnifique roman d’Hervé Guibert A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (Gallimard, 1990). Sur le mode de l’autofiction, Guibert racontait la maladie (le sida) de son ami Muzil (Michel Foucault). Daniel Defert apparaît également dans un autre très beau livre, Ce qu’aimer veut dire, de Mathieu Lindon (POL, 2011).

Tous ceux qui eurent le privilège de connaître Daniel Defert n’oublieront jamais son élégance, sa retenue, son esprit de nuances, cette intelligence lucide et éclairée qui faisait que, lorsqu’il s’exprimait, on l’écoutait. Mieux : on apprenait.

Franck Nouchi

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

Découvrir les offres multicomptes
  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.