« Entre le pont et l’eau, il y a la miséricorde » disait le Curé d’Ars. Certes, mais avant cela, il est souhaitable, possible, nécessaire même de prévenir le suicide en France en l’attaquant frontalement. J’ai 28 ans et j’ai fait une tentative de suicide il y a désormais sept ans. J’ai eu la chance d’en sortir vivant, puis j’ai eu l’entourage pour me relever, la foi pour cesser de fuir.
Le Pape François, dans l’avion qui le ramenait des JMJ de Lisbonne énonçait que : « Le suicide des jeunes est un fait important aujourd’hui [...] les médias n’en parlent pas tellement parce qu’ils ne sont pas informés [...] il y a tellement de jeunes angoissés, déprimés ». Oui, alors même que le fait suicidaire est en réalité encore plus important chez les quinquagénaires, d’après le programme Papageno.
Un tabou
Paysans, personnes LGBT+, enfants victimes de harcèlement scolaire, personnes se sentant exclues, personnes dans la misère, personnes âgées, sans emploi ou au contraire au sein de familles bourgeoises : le suicide touche toutes les catégories de la population. Chaque personne dont cette idée effleure l’esprit ou dont l’acte enlève la vie en est victime : si on le fait, c’est qu’on ne croit pas avoir d’autre choix pour se libérer de cette rage de dents dévorant tout le corps.
Partout, le même point commun : son tabou. Des victimes elles-mêmes à leurs enfants qui parfois décrochent leurs parents ; ceux qui n’ont pas vu, ceux qui n’ont pas su, ceux qui n’ont pas cru. Pour l’entourage, des sentiments logiques comme le désarroi, la culpabilité et même la colère parfois, resteront présents tant de temps. Le suicidé est celui qui « se regarde comme un pur néant, [pensant que] le monde le méprise, mais il est chéri de Dieu et précieux devant Lui » esquissait pourtant Thomas a Kempis dans L’Imitation de Jésus-Christ.
Sauver de vies
Attaquer le suicide frontalement. Pourquoi ? Parce que lorsqu'on agit en prévention, on sauve des vies. L’effet « Papageno », scientifiquement prouvé démontre, à l’inverse de l’effet Werther, que plus nous parlerons preuves à l’appui que le suicide n’est pas une fatalité et que l’on peut s’en sortir autrement que par lui, plus cela peut prévenir les comportements suicidaires. De plus, plus nous nous mobiliserons collectivement, plus le nombre de victimes de suicide chutera : de 33,5% entre 2010 et 2017 en France. Si ce chiffre prouve qu'il est possible d'agir, il n'en demeure pas moins préoccupant.
Et l’Eglise catholique ? En 2019 au Vatican, dans le cadre d’une rencontre internationale à la suite du synode des jeunes, j’ai questionné d’éminents théologiens : Comment parler de la joie en abondance promise par l’Evangile, de cette eau qui épanche toute soif, à une personne qui se croit incapable d’être aimée ? Étreint par un ami des îles Saipan, remercié par un autre de la Slovaquie, cité ensuite par plusieurs délégués dont un hondurien, discutant avec d’autres du Sénégal ou de la Nouvelle-Calédonie, j’ai pu expérimenter qu’à des degrés divers, tous les continents sont concernés.
Deux boussoles prophétiques
Il m’a été répondu avec gravité qu’il est complexe d’aborder le sujet, que les autres textes ecclésiaux donnent une vision à suivre, des forces, et que la fraternité et le lien social sont des remparts au fait suicidaire. Certes, les encycliques Laudato Siet Fratelli Tutti constituent deux boussoles prophétiques pour notre temps et pour ma génération face à un capitalisme qui broie les personnes et qui pourrait nous emmener au suicide collectif. Mais aucun texte romain n’attaque frontalement le suicide. Comment prévenir un fait dont il n’est presque nul part fait mention ? Si, comme l’écrivait Camus, « mal nommer un objet c’est ajouter du malheur au monde » qu’en est-il lorsque l’énoncé n’est même pas prononcé ? Comment peut-il alors exister à nos esprits et être prévenu ?
En effet, le synode sur les jeunes a permis la publication de Christus Vivit où le Saint Père évoque notamment le paradigme des personnes migrantes, à raison. Mais pourquoi n’y a-t-il rien sur le suicide? Concrètement, alors qu’elle se veut être un hôpital de campagne : Aujourd’hui dans notre Église de France, où va un jeune, ou moins jeune d’ailleurs, qui voudrait appeler à l’aide? Il y a des espaces et tant de gens mobilisés… mais la question reste taboue même si l’Eglise ne condamne plus les personnes suicidées. Depuis que je me suis converti au catholicisme il y a huit ans où lorsque j’accompagnais des jeunes, je n’ai guère entendu la moindre homélie évoquer cela. Aux abords des conversations pourtant se dévoilent les peurs et les malheurs.
Réponse spirituelle insuffisante
La réponse spirituelle est insuffisante : rien ne se fera sans attaquer frontalement ce fléau. L’attaquer en brisant son tabou, l’attaquer en détruisant la honte qui l’entoure, l’attaquer en (re)donnant goût à la vie par une culture du soin, grâce à la miséricorde l’attaquer en tuant cette moraline nauséabonde tant servie, l’attaquer en annihilant la misère, l’attaquer en multipliant l’accompagnement psychologique, l’attaquer en révélant l’aube qui vient après le crépuscule. L’attaquer de front car chaque suicide personnel constitue un échec collectif.
Si le Christ vient rendre l’espérance et révéler l’Amour, alors les personnes suicidaires et les personnes endeuillées par le suicide d’un proche constituent, elles-aussi, les périphéries existentielles de l’Eglise et nous oblige.