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Darwin, l’éco quartier dans le quartier

Né du pari un peu fou de réhabiliter écologiquement une vaste friche militaire sur la rive droite bordelaise pour la transformer en un lieu alternatif et convivial, Darwin Eco-système était un ovni lors de sa création en 2007. Presque vingt ans plus tard, le tiers-lieu qui revendique plus de 1,3 million de visiteurs chaque année, est devenu l’un des trois sites les plus visités de la capitale girondine. Au point d’inspirer d’autres modèles, au-delà des frontières de la Nouvelle-Aquitaine.

Quand on retrouve Philippe Barre, son créateur, après la pause déjeuner, l’ancienne caserne Niel est encore en ébullition. Les visiteurs raclent les dernières assiettes du midi, les coworkers avalent leur café d’une traite avant de retourner dans leur espace de travail quelques mètres plus loin, tandis que des grappes humaines se pressent vers le bar pour commander des bières à siroter sous le soleil hivernal ou poussent la porte de l’épicerie en vrac. Au loin, le bruit des skates qui frottent le bitume se mêle au caquètement des poules dans un étonnant mélange. Un village dans la ville en bord de fleuve, où partout se dressent d’imposants bâtiments faits de pierre et d’acier ornés de graff multicolores.

«Notion de quartier tombée en désuétude»

En jean et en tongs malgré des températures qui frôlent le zéro, Philippe Barre se remémore les débuts, accoudé sur une petite table en bois. «Pourquoi ce lieu nous a-t-il semblé nécessaire ? Il fallait stopper cette folie anti-écologique. Celle qui consiste à tout raser pour reconstruire, pose-t-il d’emblée. Evidemment, on ne s’est pas fait des amis chez les promoteurs. Il a fallu se battre et on se bat encore aujourd’hui.» Car Darwin, jure-t-il, «c’est une autre vision de l’urbanisme», en opposition à l’étalement urbain prôné depuis les Trente Glorieuses. «Nous avons voulu réinventer la ville sur elle-même pour retrouver cette notion de quartier tombée en désuétude.»

Se nourrissant de ses nombreux voyages à l’étranger, l’ancien patron d’agence publicitaire, qui a tout lâché pour créer son incubateur, a imaginé un laboratoire hybride qui reprendrait les codes de quelques lieux emblématiques : la LX Factory à Lisbonne, la Skatehalle Berlin en Allemagne, Christiana à Copenhague… «Le choix de la rive droite bordelaise est un acte militant. A l’époque, ce quartier avait la réputation d’être le Bordeaux des pauvres, un endroit malfamé. On a voulu faire émerger une nouvelle centralité dans un lieu où il n’y avait rien. Montrer aussi qu’on pouvait créer un endroit accessible à tous où se mêle la culture, l’art urbain et la conscience sociale et écologique», détaille Philippe Barre qui organise régulièrement des concerts, des expositions ainsi qu’un festival annuel, Climax.

«On ne prétend pas être exemplaires»

Dans un bouillonnement qui semble sans fin, le tiers-lieu héberge désormais des centaines d’activités : une boulangerie, un restaurant bio, un club nautique, un dépôt d’Emmaüs, une épicerie, un torréfacteur, des jardins et des potagers en permaculture… 700 emplois directs, selon le dernier recensement. Avec le même mantra pour tous : «Une démarche permanente de réduction de l’empreinte écologique collective.» L’urine sert à produire du compost, l’eau pluviale est récoltée, 8 % des déchets sont recyclés, et le chauffage est relié à un système géothermique. «On ne prétend pas être exemplaires, mais le site vise le maximum de sobriété, la performance énergétique ainsi qu’un recours systématique aux énergies renouvelable», souligne le fondateur de Darwin.

Bientôt, une crèche devrait se rajouter à la liste, et début mars, Darwin accueillera sa première école de cuisine, baptisée La Source. «Le concept est né à Pantin. L’idée est de proposer une formation courte qui permet d’acquérir les bases d’une cuisine engagée et écoresponsable. La première promo se compose de huit personnes qui sont soit sans-papiers, en reconversion professionnelle ou qui viennent de finir leurs études. Le coût varie selon des critères sociaux», décrit Philippe Barre au côté du chef Olivier Valleau. Ces dernières années, Darwin a également renforcé son volet solidarité en développant un accueil d’urgence qui favorise la réinsertion professionnelle.

«Gentrification», «repaire de bobo», «green washing»… En même temps que la pépinière a gonflé, les critiques ont émergé. Un discours auquel Philippe Barre s’est habitué, non sans une pointe d’amertume : «Il y a beaucoup de produits qui sont créés sur place, comme le café. Nos prix sont équivalents à ceux des restaurants conventionnels et épiceries bio de même catégorie. Nous avons aussi une carte avec des prix d’appel à 10 euros. Quant au reste du site, allez voir à Emmaüs ou au skatepark où les abonnements à l’année sont jusqu’à 5 fois moins chers qu’ailleurs. Darwin est un lieu multiple, un entrelacement, à l’image de ses visiteurs, balaie Philippe Barre. Alors oui, je suis un bobo, mais je n’ai pas honte. Je préfère être un bourgeois bohème qu’un bourgeois bourrin.» Les bulldozers devront lui passer sur le corps avant qu’il n’abdique.