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De l'angoisse de vivre dans une zone sismique

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Ce n'est pas forcément connu mais la zone qui s'étend du nord de la Californie jusqu'à la Colombie-Britannique abrite une faille longue de 1.000 kilomètres, nommée «faille de Cascadia», pire que celle de San Andreas, et capable à elle toute seule de provoquer un tremblement de terre d'une intensité tellurique. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, le jour où elle cède, un tsunami géant déferlera sur les côtes et engloutira tout sur son passage.

Selon les chercheurs, dix millions de personnes seraient concernées, ce qui me ferait une belle jambe si parmi elles, il ne s'en trouvait une chère à mon cœur, à savoir moi-même. Car oui, moi l'homme le moins courageux au monde et probablement aussi le plus trouillard, a choisi d'élire domicile parmi ces vastes paysages qui un jour prochain –ce peut être demain comme dans dix siècles– seront comme rayés de la surface de la Terre.

Certes, il faut bien mourir un jour, mais de me retrouver enfoui sous un tas de décombres ne m'enchante guère, d'autant plus que parmi mes nombreuses phobies, la claustrophobie occupe une place de choix. Autant dire que si je survivais à l'effondrement de mon immeuble, par le simple fait de me retrouver coincé entre deux blocs de béton sans savoir quand j'en serais délivré, cela serait suffisant pour me déclencher une attaque de panique elle-même assez forte pour ordonner à mes poumons d'arrêter de fonctionner.

Ce qu'il y a d'infiniment comique avec les tremblements de terre, c'est leur caractère imprévisible, sans quoi ce ne serait pas drôle. Personne en ce bas monde, ni scientifiques ni radiesthésistes, n'a la moindre idée de l'heure où ils vont survenir. Ce serait comme une loterie géante où si vous êtes assuré de décrocher un jour ou l'autre le gros lot fût-ce à titre posthume, en revanche, la date de sa venue demeure un mystère complet, situation qui, il faut bien le reconnaître, ne manque pas de piquant.

La dernière fois où la faille de Cascadia a donné de ses nouvelles, c'était le 28 juin 1700. Depuis, elle s'est tenue plus ou moins à carreau mais quelques éminents scientifiques ont évalué la périodicité de sa divine colère comme possiblement de trois à cinq siècles, ce qui selon son degré d'optimisme, rend la destruction de son propre habitat comme une éventualité plus ou moins lointaine. On n'imagine pas l'excitation, disons même l'ivresse, de vivre dans une région où sans prévenir, d'une seconde à l'autre, on peut voir son appartement être transformé en une vaste piscine olympique; c'est grisant à souhait.

Évidemment, nous sommes préparés. De temps à autre, un fonctionnaire particulièrement zélé vérifie que nos téléphones portables, en cas d'alerte, répondraient avec la célérité requise. Pour ne point effrayer inutilement la population, on la prévient de l'imminence d'un essai, on donne le jour, l'heure, et quand il survient, après avoir consulté notre téléphone –un message d'alerte apparaît dans un glapissement sonore à réveiller les morts– vaillamment nous retournons à nos occupations.

Une fois, distrait comme je peux l'être parfois, j'avais totalement oublié sa tenue. Comment dire? Lorsque mon téléphone s'est mis à tressauter comme pris d'une soudaine et violente crise de tétanie, je n'ai pas attendu mon reste pour filer sous la table de la cuisine où deux, trois heures plus tard, ma femme m'a retrouvé en pleine conversation avec mon chat, si pâle que pour la première fois de notre vie commune, elle m'a demandé si je voulais bien un verre d'eau.

Nous avons aussi une trousse de secours mais j'ignore où elle peut bien se trouver. Probablement avec mon testament. Récemment, nous avons songé à nous acheter deux casques de chantier. Histoire d'être prêt. J'en ai cherché un pour le chat mais visiblement, il devra compter sur sa seule vélocité pour esquiver la chute programmée du plafond. Nous pourrions aussi acquérir un lit capable à la première secousse ressentie de se refermer sur nous-mêmes mais ce serait tout de même pousser le séisme un peu trop loin:

À part cela, tout va bien. Si jamais la terre devait trembler quand nous sommes séparés avec ma femme, nous savons où nous retrouver. Soit dans le parc proche de la maison, soit au cimetière, n'étant pas exclu que sous l'effet des circonstances ledit parc ne serve pas de cimetière de fortune, de dépotoir à cadavres. Le chat se débrouillera. Chaque soir avant de nous endormir, nous regardons notre plafond et à voix basse, le supplions de tenir bon en cas de malheur. J'ai aussi disposé une bouée au pied du lit. Quoi? Je nage comme une quiche, je pourrais me noyer sous ma douche. Si l'eau venait à nous submerger, je saurais quoi faire.

Pour être tout à fait honnête, la plupart du temps nous vivons comme si nous habitions en quelque plat pays où la terre n'a jamais tremblé depuis l'aube de la création. C'est seulement quand survient une catastrophe comme celle d'hier en Turquie que nous reprenons conscience de notre vulnérabilité. Oui, nous vivons dans une région à risques. Oui, il existe une réelle possibilité d'être un jour pris dans la tourmente d'un tremblement de terre d'une puissance dévastatrice.

Nous le savons.

Nous avons enlevé tout objet susceptible de nous tomber sur la tronche. Si nous sommes à la maison, nous irons sous le lit. Ou dans la baignoire. La caisse du chat est prête à l'emploi. Nous avons gardé une ligne fixe pour être joignable ou communiquer avec l'extérieur. Je connais le téléphone du consulat par cœur. La caserne des pompiers est quasi en face de la maison, l'hôpital à deux pâtés de maisons. Je garde dans mon sac à dos une boîte pleine de Valium ainsi que deux comprimés de cyanure.

Bref, il ne peut rien nous arriver.

Enfin, presque...