Comme le font remarquer dans leur communiqué les archéologues du Musée d’histoire culturelle d’Oslo, en charge des fouilles sur le site de Hov, il faut avoir l’œil pour ne pas passer à côté de ces minuscules feuilles d’or, surtout que l’une d’entre elles était repliée en une toute petite pépite. Mais il est vrai que l’or ne s’altère pas ; même après avoir été enseveli pendant plus de mille ans, il brille encore dans la terre. C’est en 1993 que ce site remarquable, coincé entre l’autoroute E6 et la route départementale, a été découvert en Norvège. Dès les premières prospections probatoires, il a livré deux petites pièces d’or, avant que d’autres fouilles réalisées au cours des années 2000 permettent d’en mettre au jour 28 autres. Mais ce n’est que cette année que le site a commencé à être excavé en bonne et due forme, en marge de travaux d’aménagement sur l’autoroute E6, entre Lillehammer et le pont qui traverse l’immense lac Mjøsa, dans le comté d’Innlandet.
Les cinq gullgubber découverts à Hov en 2023. Crédits : Musée d'histoire culturelle d'Oslo
Un temple païen de taille réduite
Au fur et à mesure des fouilles, le site n’a cessé de s’agrandir. Mais les feuilles d’or mises au jour se trouvent sur le premier emplacement repéré dès 1993, à l’endroit où dès la fin de l’âge du fer (vers 550 de notre ère) se dressait sans doute un temple païen. Les nombreux trous de poteaux encore détectables indiquent en effet que les dimensions du bâtiment étaient relativement réduites – de l’ordre de 15 à 16 mètres de long –, alors que les maisons longues mesuraient à l’époque entre 20 et 30 mètres. L’absence d’objets liés à la vie quotidienne permet également de présumer qu’il s’agissait plutôt d’un lieu de culte et non d’habitat, mais seules les analyses au carbone 14, qui seront menées à l’issue de la campagne de fouilles, pourront confirmer les datations pressenties : entre le 7e et le 11e siècle, incluant la période dite mérovingienne et la période viking qui lui succède.
Le temple était visible de loin
Si le bâtiment n’était pas grand, il était sans doute très haut, de manière à être visible de loin. C’est en tout cas ce que déduit l’archéologue Kathrine Stene, qui dirige les fouilles de Hov, en se basant sur la largeur et la profondeur des trous de poteau : "Il se détachait probablement du paysage, présume-t-elle. On devait bien le voir depuis le lac lorsqu'on arrivait en bateau." Sa fonction ne pouvait être que rituelle, mais d’après ses dimensions, il est certain que ce lieu de rassemblement ne pouvait être utilisé pour organiser des festins. Pour cela, il aurait non seulement fallu qu’il soit plus grand, mais surtout, il ne subsiste aucune trace indiquant que des aliments ont été consommés sur place. On peut donc penser que seules des cérémonies de libations y ont été célébrées, peut-être réservées à un cercle restreint de l’élite.
Lire aussiUne rarissime pièce d'or celte "tombée d'un arc-en-ciel" découverte dans un champ
Une épaisse couche de galets de cuisson
Une épaisse couche de galets interprétés comme des pierres de cuisson – pour faire bouillir de l’eau, on disposait alors les marmites sur des pierres incandescentes – pourrait témoigner de la préparation d’une grande quantité de bière. Cette couche épaisse de 40 cm se poursuit sur une surface de 300 m2 jusque vers un site d’habitation situé à l’ouest du temple, de l’autre côté de la départementale. Comme l’explique l’archéologue Nicolai Eckhoff, cette accumulation est un marqueur de la quantité de bière qui a pu être brassée sur place : "Les villages où l'on a trouvé des maisons de culte, comme à Hov, avaient une importance particulière à l'âge du fer : c'est là que vivait l'élite de la société. Pour maintenir leur pouvoir, des rassemblements de nature politique et religieuse étaient organisés. Les festins et les cérémonies de libations étaient essentiels à ces fêtes. Ces festins se déroulaient dans la ‘grande salle’, qui se situait soit dans un bâtiment séparé, soit dans une pièce plus grande de la maison du chef. Des cérémonies de libations spéciales avaient lieu dans des bâtiments de culte plus petits, peut-être exécutées par des spécialistes religieux. Les galets situés autour de la maison de culte sont probablement des vestiges de la préparation de ces repas spéciaux et du brassage de la bière en grande quantité."
Vue aérienne du site de Hov, au bord du lac Mjøsa. La plus grande portion de terrain correspond au site d'habitation. Le temple s'élevait sur la bande comprise entre l'autoroute (à droite) et la départementale (à gauche). Crédits : Musée d'histoire culturelle d'Oslo
Il est important d’avoir trouvé ces pièces dans leur contexte archéologique
Si les archéologues norvégiens se réjouissent particulièrement de la découverte de ces cinq minuscules gullgubber au cours de la campagne de fouilles de 2023, c’est également parce que les pièces ont été trouvées in situ, dans leur contexte archéologique d’origine. En l’occurrence, trois d’entre elles étaient placées sous un mur, et les deux autres dans des trous de poteaux. "Dans la mesure où nous ne savions pas exactement où les autres pièces découvertes sur le site étaient précisément situées – même si la plupart se trouvaient autour d’un autre trou de poteau du temple –, il est très important pour nous de pouvoir relier les feuilles d’or que nous venons de trouver à différents éléments de la construction du bâtiment, confirme Kathrine Stene. À présent, puisque nous venons d’en trouver trois sous la structure du mur, il est évident qu’elles ont été intentionnellement déposées à cet endroit avant la construction du mur."
Il faut avoir l'œil pour ne pas passer à côté des pièces sur le terrain. Crédits : Musée d'histoire culturelle d'Oslo
Des offrandes de fondation
Ce dépôt semble correspondre à une offrande de fondation, un acte religieux sacrificiel destiné à protéger le bâtiment, auquel on procède avant son édification. Mais d'autres fonctions ont été attribuées à ces mystérieuses feuilles d’or. Certains ont pensé qu’elles pouvaient servir de "monnaie" autorisant l’entrée dans un temple. Selon une autre interprétation, il pourrait s’agir d’un ornement porté par l’élite pour se distinguer. Une troisième théorie se rapporte plus précisément à leur iconographie, qui pourrait symboliser le mariage.
Les gullgubber sont extrêmement rares en Norvège
Malgré leur petite taille, les pièces d’or de Hov sont finement martelées du même motif, représentant deux personnages : un homme et une femme se faisant face, dont on peut distinguer les vêtements, les bijoux et la coiffure. Ce motif du couple, offrant des variations du point de vue du costume, des coiffures et des accessoires, se retrouve sur la grande majorité des gullgubber (dénommés guldgubber en danois et guldgubbar en suédois) retrouvés en Scandinavie. On en connaît en tout plus de 3000, mais c’est en Norvège qu’ils sont les plus rares. La plupart des pièces ont été trouvées sur l’île danoise de Bornholm, et ce, dès le 18e siècle. Cependant, elles sont rares à avoir été mises au jour par des archéologues, la plupart ayant été trouvées dans des champs et des dunes par hasard. Celles qui ont été découvertes récemment en contexte archéologique correspondent à des sites particulièrement importants de l'âge du fer, datant généralement des années 600-700 de notre ère, comme Sorte Muld, sur l’île danoise de Bornholm, et Uppåkra en Suède.
Lire aussiDécouverte de la plus ancienne pierre gravée de runes : "C'est un tout nouvel aperçu de l'histoire de l'écriture runique"
Ces pièces d’or ont peut-être servi de légitimation politique
Pour l’archéologue spécialiste de la période mérovingienne Ingunn Marit Røstad, du Musée d’histoire culturelle d’Oslo, les feuilles d’or ne sont ni des tickets d’entrée, ni des bijoux, car elles ne portent aucune trace indiquant qu’elles pouvaient être cousues ou attachées sur les vêtements. On peut les dater de la période mérovingienne, car les vêtements, les ornements et les objets représentés sont caractéristiques de cette époque : "Elles montrent une sorte d’image idéalisée de la manière dont l’élite s’habillait ou se coiffait avec des nœuds élaborés, décrit-elle. On peut aussi distinguer des perles, des broches, des gobelets et des cornes à boire qui permettent de les dater de la période mérovingienne."
Mais pour l’experte, les pièces d’or servaient essentiellement un but politique : les familles régnantes s’en servaient pour légitimer leur pouvoir en démontrant leur lignage divin. Les personnages représentés sur les pièces peuvent en effet être associés au couple formé par le dieu nordique Freyr (dieu de la fertilité) et la géante Gerd (associée à la terre) célébrant leur union sacrée, mais cette interprétation hiérogamique ne se suffit pas à elle-même. Pour Ingunn Marit Røstad, les pièces signifieraient plutôt l’ascendance divine : "Elles servaient à légitimer le pouvoir : on était une famille régnante parce qu'on descendait des dieux. Même si elles sont minuscules, les figurines en feuille d'or ont sans doute été très importantes. Non pas comme des bijoux portés de manière ostentatoire pour montrer son statut, mais peut-être faisaient-elles partie d'une sorte de placement rituel sur le trône où s'asseyait le roi ou le jarl (le seigneur, ndlr)."
Même si elle ne correspond pas exactement au contexte archéologique de Hov, cette interprétation s'en approche, avec le marquage d’un lieu de culte réservé à l’élite. La présence de 35 gullgubber confirme quoi qu'il en soit la valeur du site, qui abrite les vestiges de l’un des rares lieux de culte païens en Norvège et ce qui est désormais la plus grande collection de pièces d'or mérovingiennes de tout le pays. Il valait donc la peine de mener des fouilles minutieuses trente ans après les premières prospections.