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Dépénaliser des drogues dures permet « de déstigmatiser le consommateur et libérer la parole »

Après le Portugal et l’Oregon aux Etats-Unis, une province canadienne expérimente la dépénalisation de la possession de petites quantités de drogues dures telles que l’héroïne ou le fentanyl. Touché de plein fouet par la crise des opiacés qui a fait plus de 10.000 décès par surdose depuis 2016, soit six personnes par jour, le Canada tente une nouvelle approche, pour le moment limitée à la Colombie Britannique, épicentre de la crise.

En quoi ce changement de politique peut-il aider à combattre cette crise sanitaire ? Cette nouvelle législation peut-elle suffire ? Et peut-on imaginer la dépénalisation de la consommation de drogues dures en France ? L’approche canadienne est en tout cas jugée « intéressante » par Stéphanie Ladel, addictologue et préventologue contactée par 20 Minutes, dans le cadre de la déstigmatisation du consommateur.

A quoi peut servir cette dépénalisation des drogues dures ?

« C’est une approche qui fait partie de l’artillerie qui nous intéresse pour travailler sur la déstigmatisation des consommateurs », explique Stéphanie Ladel. Dépénaliser les drogues dures dans le contexte d’une crise sanitaire liée aux opiacés causée aux fondements par l’industrie pharmaceutique va en effet permettre aux consommateurs de sortir de leur silence. « Ce n’est pas parce qu’on est consommateur qu’on doit être jugé dans son environnement social et c’est une solution pour lever la honte et les sanctions financières, policières et judiciaires », poursuit-elle. Le fait que la police ne confisque plus leurs drogues va également réduire leur stress, explique à l’AFP Scott MacDonald, médecin dans une clinique de Vancouver. « Cela aide également à sortir de la marginalité et à retrouver un lien avec la société, à renouer le dialogue, ce qui ne peut être que positif », abonde Stéphanie Ladel.

Et lorsque le dialogue, la confidence, devient plus aisé, le consommateur va plus facilement pouvoir demander de l’aide, sortir de son isolement. « On va aider les gens à oser dire qu’ils ont besoin d’accompagnement, or pour les opiacés, il y a des soins possibles, notamment un accompagnement social et psychologique », souligne encore l’addictologue.

La dépénalisation peut-elle se suffire à elle-même ?

Toutefois, il faut prévoir cet accompagnement, cet environnement de soin. Si le système judiciaire est désengorgé et sans prise en charge du système de santé, les personnes qui consomment ne vont pas plus s’en sortir. C’est par exemple ce qu’il se passe dans l’Oregon, aux Etats-Unis, où peu de personnes ont accepté de suivre un traitement et les overdoses ont augmenté. « Il faut que cette dépénalisation s’accompagne d’un accès aux soins à la hauteur, calibré, cela s’inscrit dans un ensemble », confirme Stéphanie Ladel.

Ce système de prise en charge permet de diminuer les risques liés aux injections, par exemple, et les dommages consécutifs à une prise de produit. « C’est l’occasion de sortir de l’addiction, d’aider à diminuer la consommation », ajoute l’addictologue. Pour cela, il faut former des professionnels pour accueillir la parole de ces personnes prêtes à « avouer » leur consommation. « Car c’est là le gros problème au départ, c’est en parler, et il faut aider cette libération de la parole », développe-t-elle.

L’expérimentation peut-elle être transposée en France ?

Il n’y a pas qu’en Amérique du Nord que les drogues dures font des ravages. Si la consommation des opiacés n’a pas atteint ces niveaux en France, « il existe tout de même une population cachée qui consomme des drogues dures, un pourcentage non négligeable », selon Stéphanie Ladel. Opiacés, cocaïne, MDMA, méthamphétamine… La lise est longue et concernant la consommation de ces drogues en France, « il y a du monde », assure-t-elle. Mais dans ce pays où la moindre ouverture de salle de supervision de consommation de drogue supervisée, communément appelée « salle de shoot », provoque indignation et rejet des riverains, la possibilité d’introduire une telle politique de dépénalisation du consommateur semble particulièrement épineuse.

Pourtant, ces salles permettent de mieux sécuriser les quartiers concernés, ce sont « des endroits plus encadrés avec une équipe médicale, paramédicale, psychologique qui garde un œil sur le consommateur. Et une personne qui met un pied dans le soin peut mieux aborder le sujet de diminuer sa consommation », développe Stéphanie Ladel. « Ça ne fait pas consommer plus, ça les fait juste sortir du bois pour en parler », insiste-t-elle. L’addictologue regrette alors que la population ne soit pas mieux informée sur les bien faits de ces politiques d’aide aux consommateurs. Mais en France, contrairement au Canada ou aux Etats-Unis, le consommateur d’opiacés est souvent pointé du doigt, quand en Amérique il est davantage considéré comme une victime de l’industrie pharmaceutique. « La proportion de consommation est pourtant non négligeable en France et en Europe, mais le traitement médiatique est différent », souligne la praticienne. Et dans un pays où le débat sur une légalisation ou une dépénalisation du cannabis est déjà au point mort, pas sûr que celui sur les drogues dures arrive de sitôt dans l’agenda de l’exécutif.