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Depuis 68 ans, Châteauneuf-du-Pape « interdit l’atterrissage des soucoupes volantes »

A Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse),

Ce jeudi, E.T fêtait ses 40 ans en France. L’histoire ne dit pas si, dans l’espace, ils ont prévu une petite sauterie et assez de bougies pour l’événement. Mais une certitude : si l’extraterrestre le plus célèbre du globe est à la recherche d’exotisme, ou de bon vin, pour célébrer cet anniversaire, il ne sera pas le bienvenu à Châteauneuf-du-Pape. Depuis 1954, un arrêté interdit « le survol, l’atterrissage et le décollage d’aéronefs dits "soucoupes volantes", ou "cigares volants", de quelque naturalité qu’ils soient » sur le territoire de la petite commune du Vaucluse.

La feuille volante est soigneusement scotchée dans le registre des arrêtés municipaux de la mairie, dont les murs en pierre et la tour ronde donnent des airs de château fort. Responsable du service patrimoine au sein de la commune, Anthony Avon pointe du doigt l’écriture manuscrite du fameux arrêté, toujours en vigueur. « Tout aéronef dit soucoupe volante ou cigare volant qui atterrira sur le territoire de la commune sera immédiatement mis à la fourrière », prévient l’article 2 du texte. « Le garde champêtre et gardes particuliers sont chargés, chacun ce qui les concerne, de l’exécution du présent arrêté », ajoute l’article 3.

« Une idée géniale »

« Et j’ai demandé en 2018 à la préfecture s’il avait passé le contrôle de la légalité, poursuit Anthony Avon. Et c’est le cas ! » Aujourd’hui, il reviendrait aux policiers municipaux d’intervenir en cas d’atterrissage de soucoupe volante. « On fera face car on est agent de la paix avant tout, se marre Stéphanie, en poste à Châteauneuf-du-Pape depuis 2007. On est habitué à tout type de population. Il n’y a pas de problème. Il faudra peut-être par contre envisager de nous faire faire une formation spéciale en langue martienne. Enfin, avec la gestuelle, on devrait pouvoir se faire comprendre. »

Maire de Châteauneuf-du-Pape depuis 2020, Claude Avril est formel. « Il faut maintenir la guerre intergalactique avec le cosmos. Le précédent maire a eu un incroyable sens de l’anticipation sur une situation très actuelle aujourd’hui. Des récentes études démontrent l’existence de ce type de phénomènes. » L’édile laisse échapper un rire. « Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Moi, je n’y suis pour rien dans cette idée géniale, ce coup de bluff qui fait qu’encore aujourd’hui, les télévisions internationales défilent dans le village qui est connu partout dans le monde. Chaque année, on en parle. On est toujours dans une émission sur les choses les plus insolites ! »

Un coup de pub… pour le vin

Derrière cet arrêté se cache en effet un maire qui fut une figure de la commune : un certain Lucien Jeune, ancien résistant. « Certains pensent que mon grand-père était un hurluberlu mais ce n’était pas le cas, rectifie sa petite-fille Isabelle. Il avait surtout beaucoup d’humour. » Au beau milieu des années 1950, Lucien Jeune avait en effet décidé d’orchestrer un buzz, avant même que le mot buzz existe et fasse partie de notre quotidien. .

« Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, explique Anthony Avon. En 1954, le maire est élu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans les journaux télévisés, on commence beaucoup à parler des soucoupes volantes. Il y a un impact médiatique dingue autour de ces questions. Lucien Jeune s’en rend compte lors d’un salon du vin à Paris où il se rend pour des raisons professionnelles. Il a alors un coup de génie, dont il n’avait peut-être pas forcément conscience : c’est de prendre cet arrêté, pour faire un coup de pub pour Châteauneuf-du-Pape et son vignoble. »

Des lettres du monde entier

A l’époque, l’appellation d’origine contrôlée de Châteauneuf-du-Pape, la toute première de France, n’a même pas vingt ans. « Notre vin est connu depuis le Moyen-Âge, mais la mode déjà à la cour était de boire du Bourgogne », rappelle Anthony Avon. « Je me souviens quand mon père m’a annoncé ça, raconte le fils de Lucien Jeune, Pierre, aujourd’hui âgé de 82 ans. Je rentrais du collège. C’était une plaisanterie, une galéjade comme on dit en provençal. Mais c’est une galéjade faite avec amour pour son village, avec tellement d’ironie. Il a quand même été très visionnaire. »

Le coup de pub est d’une efficacité redoutable, au-delà des espérances du maire.  « Il a reçu des lettres du monde entier, rapporte Pierre Jeune. Des gens du Sénégal, du Brésil, de Madagascar lui ont écrit car ils croyaient aux extraterrestres. Quand j’ai visité des vignes aux Etats-Unis, il y a quelques années, il y avait une cuvée "Cigare volant", en référence à l’arrêté anti-ovni. Un homme du Nord de la France lui a envoyé un plan de soucoupe pour l’inviter à partir avec lui dans l’espace. J’ai tout gardé ! »

Autour de Pierre Jeune, dans son grand bureau, des centaines et des centaines d’archives retracent la vie de son père, et notamment l’incroyable tintamarre occasionné par la plaisanterie paternelle. L’octogénaire se lève, fouille dans ses papiers, aidée de sa fille Isabelle. « Mais où est le dossier ovni ? » Au bout d’une demi-heure de recherche, il faut se résoudre à l’impossible : le précieux classeur intergalactique a mystérieusement disparu… Une vengeance des extraterrestres, vexés par l’affront de son père ? Pierre Jeune tourne la tête, le regard malicieux. « Ne dites pas ça en riant. »