La cordillère des Andes est la chaîne de montagnes la plus longue du monde, s’étendant du nord au sud sur plus de 7000 km, soit la quasi-totalité du continent sud-américain, en traversant l'Argentine, le Chili, la Bolivie, le Pérou, l'Équateur, la Colombie ou encore le Venezuela. De nombreux sommets, notamment volcaniques, s’élèvent à plus de 6000 mètres d’altitude et les conditions y sont on ne peut plus inhospitalières puisque la température moyenne y est de -20°C (une fois passé les 6000 mètres).
Aussi, à cette hauteur, la pression atmosphérique et l’oxygène disponible baissent de moitié, comparé aux taux présents au niveau de la mer. La baisse de pression atmosphérique a une répercussion directe sur la quantité d'oxygène disponible pour le corps, obligeant celui-ci à s'adapter avec une hyperventilation et la production de globules rouges. Si survivre quelques heures dans ces conditions est déjà une prouesse, y passer sa vie semble illusoire ! Pourtant, de petits mammifères possédant, comme nous, deux petits poumons et certes, une fourrure plus efficace que la nôtre, semblent avoir conquis ce milieu : les rongeurs.
Phyllotis vaccarum, le rongeur qui bat tous les records
L’espèce détenant le record absolu d’altitude sur Terre est bien connue des scientifiques : il s’agit de Phyllotis vaccarum (en anglais "leaf-eared mouse", soit "souris à oreilles-feuilles" en français), un petit rongeur qui possède un corps arrondi et de longues oreilles. Il a pu être aperçu au sommet du volcan Llullaillaco, le deuxième plus haut volcan actif au monde situé à près de 6739 mètres d’altitude, lors de cette étude menée par des chercheurs chiliens, boliviens et américains et pré-publiée sur la plateforme BioRxiv (non revue par les pairs) fin août 2023.
Pour ces travaux, les chercheurs ont posé des pièges (sous forme de cages) sur 21 volcans, mais aussi sur 40 autres localisations, faisant varier l'altitude à laquelle les rongeurs sont capturés de 0 à 6800 mètres. Leur but étant non seulement d’observer la hauteur limite à laquelle ils peuvent s'installer, mais aussi à quel point l'aire de répartition de ces espèces peut varier.
Encore une fois, Phyllotis vaccarum étonne puisque des spécimens ont été piégés au niveau de la mer sur la côte ouest du Chili. Ce rongeur est donc non seulement le mammifère observé vivant aux altitudes les plus élevées de la planète, mais également celui dont l’aire de répartition est le plus varié et de très loin. Allant du désert aride d’Atacama au nord-ouest, au Llullaillaco, sixième plus haut sommet du continent.
(A) Les 60 lieux de collecte le long de la cordillère des Andes mais aussi le long de la côte chilienne. (B) Localisation des 21 volcans observés lors de l'étude. Crédits : bioRxiv
De nouvelles espèces de rongeurs à très hautes altitudes
Lors de leurs recherches, les scientifiques ont fait des découvertes plus inattendues. Si la présence de Phyllotis vaccarum ne laissait que peu de doute, d’autres espèces furent observées à des hauteurs dépassant leurs espérances.
Tout d’abord, il y a le casse-tête Phyllotis limatus. Cette espèce supposée vivre à une altitude limite de 3400 mètres environ, et principalement au nord du Chili, aurait été observée entre 5000 et 6000 mètres d’altitude et sous le 20ème parallèle sud (limite supposée), qui traverse le nord du Chili, la Bolivie et le Brésil. Toutefois, il est très difficile de différencier P.limatus de P.vaccarum à l’œil nu, leur morphologie étant très similaire. C’est grâce à des analyses d’ADN mitochondrial faites lors de cette étude que l’on a trouvé que les spécimens de P.limatus trouvés au sud seraient en fait liés à P.vaccarum, tandis que ceux trouvés au nord à des altitudes plus basses sont bien une espèce distincte.
Ensuite, les chercheurs ont observé d'autres espèces de rongeurs : ainsi, Punomys sp. a été piégée à 5461 mètres, Phyllotis chilensis et Phyllotis xanthopygus respectivement à 5221 et 6200 mètres et Abrothrix andina (souris andine de l'Altiplano) à 5837 mètres. Tous ces individus, dont la morphologie est souvent très proche de Phyllotis vaccarum, dépassent d’au moins 500 mètres l’altitude maximale à laquelle on les pensait capables de survivre. Ainsi les premiers et deuxièmes mammifères les plus perchés du monde sont des rongeurs !
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Ces résultats fournissent des informations précieuses quant à l'évaluation de l’impact des changements climatiques sur les mammifères et "ils soulèvent des questions sur les mécaniques adaptatives aux environnements extrêmes", précisent les chercheurs. De futurs travaux en très haute altitude pourraient apporter des informations supplémentaires sur la manière dont ces petits mammifères parviennent à s'adapter à des milieux si extrêmes.