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[Désertification médicale] Bien se soigner est devenu impossible en milieu rural

Pour former un médecin, il faut onze ans. Non seulement l’augmentation des besoins de santé avec le vieillissement de la population n’a pas été anticipée, mais le fait que les généralistes ne travaillent plus dans les mêmes conditions qu’il y a trente ans, a été négligé, voire nié.

« On fait semblant dans l’administration d’avoir des données, mais en fait, on n’a rien », déplore Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, membre du Haut conseil de la santé publique. Avec l’Association des maires ruraux de France (AMRF), il vient ainsi de mener plusieurs travaux en matière d’accès aux soins à partir de « cet indicateur simple du nombre de médecins manquants par bassin de vie ».

Si le géographe avait déjà démontré en 2021, que « dans le monde rural, on vit deux ans de moins ! », dans les nouvelles conclusions publiées par l’AMRF en novembre 2022, il confirme qu’il existe de très grandes disparités entre les mondes urbain et rural en matière de santé.

Privés de soins

Il manque plus de 6 000 médecins généralistes dans les bassins de vie ruraux par rapport à l'objectif « souhaitable » d'un praticien pour mille habitants. La possibilité d’accéder à un médecin généraliste est six fois plus faible en milieu rural qu’en ville. « La parole de l’administration ne peut pas se réduire aux discours fatalistes, corporatistes et misérabilistes que l’on nous répète, soutient Gilles Noël, maire de Varzy dans la Nièvre, en charge de la commission Santé de l’AMRF. La privation de soins et l’inégalité des chances pour accéder aux soins, n’est plus acceptable. » La pression subie en conséquence par les professionnels de santé est également à regretter, souligne-t-il : « Le combat pour une meilleure démocratie médicale est essentiel. »

Pénurie de spécialistes  

L’accès aux médecins spécialistes n’échappe pas non plus à ce « désastre sanitaire » dans les campagnes, selon l’AMRF.

Le déficit en gynécologues témoigne en particulier du phénomène dans des départements comme le Pas-de-Calais, la Seine-et-Marne, l’Ain, le Morbihan, la Vendée et la Loire, tandis que Paris, les Yvelines, le Rhône, la Gironde, la Haute-Garonne, l’Hérault, les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes affichent un excédent.

Le secteur de la pédiatrie apparaît aussi sinistré, avec un nombre très déficitaire de ces spécialistes dans le Pas-de-Calais, le Nord, le Bas-Rhin, la Vendée et l’Ain pour les plus touchés. Leur effectif dépasse en revanche les besoins à Paris, dans les Yvelines, Le Rhône, la Gironde, la Haute-Garonne, l’Hérault et les Bouches-du-Rhône.

Même constat pour les chirurgiens-dentistes : alors que leur nombre augmente depuis dix ans, des départements comme le Morbihan continuent à déplorer une pénurie de ces praticiens. La consultation d’un dermatologue implique aussi d’attendre des mois, voire de prendre la voiture ou le train durant plusieurs heures pour gagner les plus grandes villes.

Réguler les installations

Faut-il obliger les médecins à s’installer dans les zones sous dotées ? Face à la fracture sanitaire, une enquête de l’UFC-Que Choisir, parue le 15 novembre 2022, conclue au caractère « impératif » de mettre fin « au dogme » de la libre installation des médecins libéraux.

Lors d’un forum dédié à l’accès aux soins, organisé le 23 novembre 2022 à l’occasion du Salon des maires, à Paris, le député PCF-Nupes du Cher, Nicolas Sansu, ancien maire de Vierzon, a indiqué être cosignataire d’une prochaine proposition de loi « transpartisane », sur l’obligation d’installation. Le pharmacien Michel Gabas, maire d’Eauze, dans le Gers, a plaidé de son côté en faveur de « licences d’exercice » conditionnées aux besoins des territoires, à la manière des notaires.

À ce jour, six millions de Français n'ont toujours pas de médecin traitant

L’Assurance maladie a par ailleurs signalé que si les difficultés d’accès aux médecins généralistes s’étaient accrues, celles-ci s’étaient réduites pour les infirmières et les sage-femmes libérales, deux professions à avoir accepté une régulation des installations, tout comme les pharmaciens.

Le ministre se défausse

Mais à l’instar de ses prédécesseurs, le ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, rejette toutes « solutions radicales », estimant que « la coercition n’est pas une solution », a-t-il indiqué lors du Salon des maires. L’ancien médecin urgentiste mise sur « l’intelligence des territoires » et la « coopération entre les acteurs » au niveau local pour refonder le système de santé.

Et de renvoyer la balle au Conseil national de la refondation (CNR) dédié à la Santé… soit un énième « outil de concertation » initié par le président de la République Emmanuel Macron, faute de moyens et de forces vives supplémentaires. Sous l’égide des Agences régionales de santé, des réunions rassemblant des élus, des citoyens, des usagers, des associations, des professionnels hospitaliers et libéraux se tiennent ainsi depuis début octobre dans toute la France, à l’échelle départementale ou de bassins de vie, afin « de trouver ensemble des solutions aux grands défis de notre système de santé », commente François Braun. Le bilan national du CNR santé sera communiqué en janvier 2023.

Sur le dos du maire

En attendant, les maires ruraux, pressés par les citoyens, testent les contrats locaux de santé, proposent des facilités d’accueil et de logement à destination des futurs médecins, mettent en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ayant pour vocation de mieux combiner les praticiens d’un même territoire et ouvrent également « des maisons de santé ». Ils jouent désormais un rôle de coordination des acteurs du soin, avec plus ou moins de candidats et de succès, selon les territoires.

À ce jour, 6 millions de Français n’ont toujours pas de médecin traitant. Parmi eux, 650 000 présentent une affection longue durée. Le gouvernement s’est donné pour objectif d’un médecin traitant pour chaque Français d’ici à 2027. Sans contraintes, la situation peut-elle s’améliorer ? Peut-être qu’à la manière du climat, un "GIEC de la santé", un groupement d’experts pour la refondation du système de santé, aiderait déjà à faire prendre conscience de l’urgence sanitaire pour les territoires ruraux.