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Deuil des soignants : l’hôpital et ses fantômes

« On soigne avec ses fantômes. » Michèle Lévy-Soussan, responsable de l’unité mobile de soins palliatifs de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, l’a éprouvé à plusieurs reprises : certains patients décédés restent vivants dans la mémoire de leurs soignants. Pourquoi ceux-là marquent-ils plus que d’autres ? Avec quel impact ? Pour répondre à ces questions, la médecin a lancé un projet de résidence artistique au sein de son unité. En confiant à une autrice un travail de recueil et de mise en forme de la parole des soignants racontant « leurs » fantômes.

L’autrice en question, Joséphine Lebard, a déjà recueilli le témoignage d’une quinzaine de soignants de la Pitié. Parmi eux, celui d’une infirmière racontant l’accouchement, des années plus tôt, d’une jeune femme très isolée n’ayant bénéficié d’aucun suivi durant sa grossesse : l’enfant n’a pas survécu.

Des fantômes qui « guident et protègent »

Une autre infirmière, elle, a conservé dans son bureau la photo d’une patiente, morte d’une leucémie. « Cette femme est comme un fantôme qui la hante, mais au sens positif du terme. Elle la guide, la protège », explique Joséphine Lebard. Car en laissant les soignants les accompagner jusqu’au bout, ces disparus inoubliables ont parfois confirmé des vocations. « Ils leur ont donné la certitude d’être à leur juste place », résume l’autrice.

Un malade ayant le même âge ou dont les enfants ont le même âge, une prise en charge difficile… « Il y a plusieurs raisons pour qu’un malade vous marque », décrit Michèle Levy-Soussan. « Ces fantômes nourrissent la pratique médicale et peuvent aider à l’améliorer », comprend l’écrivain Mathieu Simonet, spécialiste des récits collectifs, qui porte le projet avec Michèle Lévy-Soussan.

Des espaces d’expression

La médecin confirme : « Il arrive que l’on croise un malade qui réactive le souvenir d’un autre. Replonger dans ce qui a été vécu peut alimenter la prise de décision et corriger un sentiment de n’avoir peut-être pas fait tout ce qu’il fallait à l’époque… » Les morts aident à réparer les vivants.

La résidence devrait se poursuivre jusqu’à la mi-octobre. Michèle Lévy-Soussan et Mathieu Simonet espèrent utiliser ces récits pour analyser s’il existe « des envies, des demandes, de la part des soignants, pour des espaces d’expression spécifiques où verbaliser cette expérience particulière du deuil. » Il n’y a pas, à la Salpêtrière, « de psychologues à disposition, pour ce type d’échanges, dans le cadre de la médecine du travail », regrette Michèle Lévy-Soussan.