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Deux livres pour comprendre les combats du Bund, mouvement révolutionnaire juif

Temps de lecture: 4 min

Dans le foisonnement des idées et des pratiques politiques nées à la fin du XIXe siècle, l'Union générale des ouvriers juifs a occupé une place originale. Ce parti a été marxiste sans être bolchevique, juif sans être sioniste, révolutionnaire sans participer d'un projet totalitaire, favorable à l'utilisation de la violence politique sans la systématiser.

Exterminés par Hitler ou emprisonnés par Lénine et Staline, les bundistes ont interrogé le judaïsme contemporain dans sa perception de la vie quotidienne, par leur détestation de la religion et dans une vision émancipatrice qui a voulu concilier révolution et démocratie.

La réédition de L'Histoire générale du Bund–un mouvement révolutionnaire juif de Henri Minczeles et la parution de Ghetto de Varsovie–Carnets retrouvés, texte inédit d'un de ses principaux dirigeants, Marek Edelman, viennent le rappeler. Les deux livres ont été remarquablement introduits par Constance Pâris de la Bollardière.

«L'Histoire générale du Bund»,
une action à dimensions multiples

Le parti, surtout connu sous le nom de Bund (l'Union), naît clandestinement en 1897 dans l'empire tsariste et s'installe très vite chez les ouvriers juifs, qu'ils travaillent en usines ou dans les ateliers de confection. Dans la tourmente de la clandestinité et de la lutte contre le tsarisme, le Bund rejoint le Parti ouvrier social-démocrate de Russie pour un temps.

En raison de sa particularité, le parti a développé une action à dimensions multiples, s'inscrivant à la fois dans l'action ouvrière classique –agitation sociale, syndicalisme, lutte pour les libertés, etc.–, mais aussi dans l'organisation des travailleurs juifs, répondant ainsi à une triple confrontation.

Il y a d'abord la lutte contre l'antisémitisme, qu'il soit officiel ou la conséquence des actions armées. Le Bund met notamment en place des groupes d'autodéfense pour affronter les Cent-Noirs, ces groupes qui répandaient la mort dans les shtetl, les bourgades juives.

Côté politique, le Bund répond à la concurrence des groupes sionistes par l'inscription locale et le développement de la culture et de l'identité juives selon les principes du fédéralisme. Enfin, il y a une confrontation religieuse, puisque le parti s'affirme comme résolument athée et dénonce le poids de la religion comme «cause d'aliénation» des masses.

La résistance juive

Après un développement spectaculaire, les bundistes entrent en concurrence, puis en conflit avec les bolcheviques, qui défendent une vision centralisée et unificatrice de la culture et de la vie politique. Henri Minczeles fait un résumé des positions avec brio.

Le Bund fait partie des rares organisations socialistes à ne pas rejoindre l'Union sacrée, sans pour autant rallier le défaitisme révolutionnaire des bolcheviques. La chute du tsarisme soulève un immense espoir quant à l'émancipation des juifs. Pour les bundistes, c'est un éclatement territorial et politique.

En Russie soviétique, le parti est interdit après la prise du pouvoir par les bolcheviques. En Pologne, territoire qui inclut alors une partie de la Lituanie, il se développe surtout à l'échelle locale et, contrairement à d'autres partis juifs, privilégie le développement municipal, plutôt que national.

Pendant tout l'entre-deux-guerres, le Bund poursuit une lutte sur deux fronts, à la fois contre l'antisémitisme et l'autoritarisme grandissant dans la Pologne de Józef Piłsudski, et contre les différents partis juifs concurrents dans les shtetl. Le Pacte germano-soviétique aura finalement raison du Bund. Ses militants polonais sont arrêtés dans la partie annexée par l'URSS et souvent assassinés dans celle conquise par les nazis.

Grâce à son maillage territorial, le Bund est l'un des principaux courants de la résistance juive, comme le montre Henri Minczeles. Les bundistes, à l'image de Samuel Zygelbojm –ouvrier syndicaliste devenu journaliste et responsable du gouvernement polonais en exil à Londres, qui a mis fin à ses jours en 1943 pour alerter l'opinion mondiale sur l'extermination des Juifs–, sont présents dans toutes les instances de résistance intérieure et extérieure.

L'un des apports principaux du livre est de faire émerger les figures et les biographies de ses militants: Aaron Liberman, le pionnier définissant la première version du fédéralisme juif; Vladimir Medem, l'un des principaux organisateurs de l'entre-deux-guerres; Henryk Erlich et Victor Alter, dirigeants bundistes polonais réfugiés en URSS, où ils ont été assassinés par la police politique sur ordre de Staline; et enfin Marek Edelman, l'un des leaders de l'insurrection du ghetto de Varsovie.

«Ghetto de Varsovie», la lutte depuis l'intérieur

Marek Edelman, né en 1919 et décédé en 2009, est le fils d'une militante bundiste. Lui-même membre de l'organisation socialiste depuis le milieu des années 1930, il rejoint la direction du Bund de Varsovie en 1939. Il se laisse volontairement enfermer dans le ghetto, d'abord pour organiser les distributions des tracts, puis pour organiser les sauvetages, et enfin pour préparer l'insurrection à laquelle il prend une part active en 1943. Deux ans après, il publie son rapport sur l'action de l'organisation dans le ghetto, document qui sert de base à son premier livre.

En dépit de l'antisémitisme latent, puis officiel de la Pologne de l'après-Seconde Guerre mondiale, il décide d'y rester. En 1968, il perd son emploi, parce que juif. Dans les années 1970, il s'engage dans le Solidarność et devient l'un des derniers survivants du ghetto. Son journal, publié en français en 1983, a suscité un vif intérêt en raison du caractère inédit du récit qu'il y faisait de l'histoire.

À sa mort en 2009, après un enterrement entouré par le drapeau et au son de l'hymne du Bund, ses enfants ont retrouvé, dans son appartement, trois cahiers inédits, apportant un complément important sur l'histoire du ghetto et sur l'organisation du Bund. Un témoignage d'autant plus important qu'il a été rédigé pendant les campagnes antisémites de l'État polonais, entre 1967 et 1968, et qu'il montre qu'il a toujours cherché à affirmer le particularisme culturel du Bund.

Ses notes s'avèrent passionnantes, même si elles peuvent être ardues pour un lecteur ne maîtrisant pas parfaitement l'histoire du ghetto de Varsovie. Elles apportent des éléments de connaissances importantes sur l'organisation clandestine et rendent hommage aux militants assassinés par les nazis avant la liquidation du ghetto en 1943. Fait plus rare, Marek Edelman revient également sur son action personnelle dans la fabrication des journaux, puis dans le sauvetage de Juifs.

Ces cahiers sont un complément indispensable à l'œuvre du mémorialiste du ghetto, Emanuel Ringelblum. L'ouvrage de Henri Minczeles permet de rendre compte de la diversité et de la complexité du mouvement révolutionnaire juif. Les deux ouvrages répondent aussi à des visions uniformisatrices de l'histoire juive, en montrant qu'il y eut des voix originales et fortes.