France
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Ecologie : les musées changent leurs desseins

Du 2 au 4 décembre, au centre Pompidou, trois jours de débats et d’échanges pour s’interroger sur les liens entre transition écologique et transition culturelle. Retrouvez tribunes et articles dans le dossier thématique dédié à l’événement.

«Un grand musée français émet environ 9 000 tonnes de CO2 par an, soit l’empreinte annuelle de 800 Français», voilà ce qu’on peut lire sur le site des Augures, collectif créé en plein Covid alors que les prédictions n’étaient pas vraiment au beau fixe et que la planète entière marquait un coup d’arrêt. Et, juste en dessous : «La culture attire les touristes français et étrangers et contribue pour 2,2 % au produit intérieur brut.» L’équation est simple en effet : hautement rémunératrice, la culture est aussi une importante source de pollution. Et elle doit ardemment travailler à sa «transition», terme malicieusement employé par les quatre consultantes des Augures qui depuis deux ans accompagnent centres d’art, écoles, musées, studios d’artistes et collectivités, du CentQuatre à l’Ecole supérieure d’art et de design (Esad) Grenoble-Valence, de la ville de Paris à l’orchestre national d’Ile-de-France. Ensemble, ils cherchent les moyens d’«innover dans la sobriété énergétique, optimiser les gestions des ressources et la réduction des déchets», ou encore à «s’allier entre organisations pour mutualiser les ressources».

Et de fait, la mue semble s’accélérer depuis quelques mois, encouragée ou précipitée par les alertes qui se multiplient, la crise énergétique en embuscade et les interpellations directes au monde de l’art qui, depuis cet été, essuie, littéralement, l’exaspération des activistes écologistes et leurs opérations drippings à grand renfort de purée de pomme de terre et autre sauce tomate.

Revaloriser les rebuts du secteur

En France, si on a en a vu certains manquer cruellement d’imagination (comme ce fut le cas de la mairie EE-LV de Strasbourg qui suscita l’indignation générale le 26 septembre en annonçant la fermeture de tous les musées municipaux une journée supplémentaire par semaine pour faire face à la crise énergétique), la plupart des institutions culturelles font preuve d’un sens certain des responsabilités, mais aussi d’inventivité, pour réduire l’empreinte écologique de la culture. Aidés en cela par les artistes, qui depuis plusieurs années ont mis ces questions à l’agenda et font de leurs œuvres des laboratoires pour penser le tournant de l’anthropocène, la relation au vivant, les relations interespèces ou les droits de la nature (de Pierre Huyghe à Tomás Saraceno), mais aussi échapper au trop-plein et à l’engorgement typique de notre société capitaliste, les musées pensent désormais sobriété, écoconception des expositions et cycle de vie des œuvres.

Ils s’adjoignent les services de structures comme les Augures, mais aussi Karbone Prod, agence spécialisée dans la production artistique écoconçue, Solinnen, cabinet expert en écoconception, ou Art of Change 21, créé en 2014 par Alice Audouin en marge de la COP 21. Et l’on a vu éclore, un peu partout sur le territoire, des associations qui collectent et revalorisent les rebuts du secteur culturels, à l’instar de la Réserve des arts, installée depuis 2014 à Pantin (Seine-Saint-Denis) et depuis 2021 à Marseille. Celle de Pantin enregistre à ce jour 9 000 adhérents, dont 50 % sont des étudiants en art. Le Conseil international des musées (Icom), lui, propose de plancher le 13 décembre sur la question suivante : «La réévaluation de nos normes de conservation à l’aune de la crise climatique et énergétique que nous traversons. Certaines normes de conservation préventive ont été établies il y a trente ans. Sont-elles toujours valides et opérantes dans le monde actuel ?»

Défi retors

Dans les musées, l’heure est aussi au grand déballage avec publication des bilans carbone et autoévaluations plus ou moins glorieuses. Passé une certaine taille, toutes les institutions comptent désormais parmi les équipes des responsables RSE-RSO (responsabilité sociétale des organisations, visant à intégrer les enjeux du développement durable), voire des départements entiers dédiés à ce virage écoresponsable que tous essaient de prendre, à vitesse variable et avec des objectifs à plus ou moins long terme, entre 2024 et 2050. Si le centre Pompidou rappelle qu’il est «la première institution culturelle à avoir reçu la certification HQE [haute qualité environnementale, ndlr] utilisation durable en 2021» et que «les grands travaux à venir vont améliorer cela à grande échelle», le Louvre, lui, a un long chemin à parcourir pour atteindre la sobriété énergétique tant son bilan carbone fait exploser tous les compteurs, avec «4 millions de tonnes de CO2 équivalent, dont 99 % sont attribuées à la venue des visiteurs». Soit les millions de touristes, notamment américains et asiatiques, qui après l’effondrement de la fréquentation en 2020 en raison du Covid, sont bel et bien de retour dans la capitale (en 2019, le Louvre enregistrait 9,6 millions de visiteurs est revient actuellement vers un niveau semblable). «A titre de comparaison, un Français émet en moyenne 11 tonnes de CO2 équivalent par an. Afin de respecter les objectifs de l’accord de Paris de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, il sera nécessaire que l’empreinte carbone moyenne par individu ne dépasse pas 1,4 tonne de CO2 équivalent d’ici 2050.»

Premier vecteur de pollution donc : la fréquentation, après laquelle courent pourtant tous les musées du monde. Face à ce défi un peu retors – comment revoir l’audience des lieux culturels qui est pourtant souvent sa principale manne financière et arrose par ricochets des territoires entiers –, l’Ademe, l’agence de la transition écologique, qui estime que le «transport représente trois quarts des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du tourisme en France», fait de la décarbonation du tourisme culturel l’une de ses priorités. Et propose de réfléchir à quelques solutions : «Créer des partenariats avec les organismes de transport pour créer des offres adaptées. Réduire les jauges de certains événements, le rendant ainsi moins attractif envers des clientèles éloignées et favorisant son ancrage local. Ou encore mutualiser les artistes ou expositions avec d’autres partenaires locaux ?»

«Artwashing»

Autre question centrale : celle du financement de la culture. Parmi les premières institutions en France à fonctionner sur le modèle public-privé, le Palais de Tokyo a aussi été l’un des premiers à faire les frais de cette politique avantageuse mais périlleuse et à composer avec des gros mécènes prêts à tout pour se racheter une réputation. Et l’on voit bien comment, petit à petit, le centre d’art parisien, et avec lui nombre d’institutions, festivals et autres biennales, cherchent à se passer des services et des deniers de ces gros pollueurs adeptes d’«artwashing». Mais il faut sortir du déni et arrêter de considérer que les lieux d’art sont au-dessus de la mêlée : «Nous faisons partie du problème et c’est une véritable révolution mentale qu’il faut engager», estimait Guillaume Désanges, le directeur du Palais de Tokyo, qui dans la foulée tenta de marquer les esprits en inventant un néologisme performatif, la «permaculture institutionnelle».

Fini les grands gestes, la surenchère de production, les one shots et autres «palais intégraux» qui en mettaient plein la vue, il s’agit désormais de penser «un usage raisonné du temps et de l’espace», d’installer une friche au sein du bâtiment, sorte de jachère qui permet à la structure de reprendre son souffle autant qu’elle irrigue en souterrain les programmes, de travailler en réseaux avec d’autres institutions voisines, et, lorsqu’on lorgne l’international, comme cela fait partie des missions du Palais de Tokyo, de le faire en conscience dans une logique de correspondance entre enjeux locaux et mondiaux. En clair, plus de panoramas hors sol mais des missions exploratoires qui se focalisent sur les relations complexes qui unissent la scène française avec son histoire postcoloniale par exemple. Pas question non plus de climatiser les salles du rez-de-chaussée du Palais de Tokyo, situées sous des verrières (fermées une partie de cet été pour cause de fortes chaleurs), le programme des expositions s’adapte et descend dans les sous-sols avec l’été prochain une grande exposition consacrée à Laura Lamiel.

Voix discordantes

Institution pilote en Allemagne, le musée Ludwig de Cologne joue lui aussi sur les deux tableaux : (re) formation des esprits et des imaginaires et actions à visées concrètes. Miriam Szwast fait partie de l’équipe qui travaille sur les questions de développement durable : «Avec nos visiteurs et nos partenaires, nous formons une communauté d’apprentissage et prenons des mesures pour devenir climatiquement neutres d’ici 2035. Ces mesures concernent le bâtiment, nos processus de travail, nos produits et, bien sûr, notre programme. Nous organisons aussi des ateliers sur le climat au sein desquels il s’agit de réfléchir, à travers les œuvres, à la relation de l’homme à la nature.» Commissaire de l’exposition «Green Modernism», visible jusqu’au 22 janvier, elle reconnaît pourtant quelques réticences au sein des équipes : «Ce n’est pas toujours facile, et il est même parfois douloureux d’abandonner certains standards de ce que nous considérions jusqu’alors comme un critère de réussite au sein d’une exposition. Mais nous avons compris que le white cube [les salles d’exposition entièrement blanches et sans ouverture] fait partie intégrante d’un écosystème et qu’il a besoin de tous nos efforts combinés pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris.»

Concernant les happenings des activistes écologistes dans les musées (actions qui se sont multipliées depuis l’action spectaculaire de deux militantes de Just Stop Oil à la National Gallery de Londres, le 14 octobre, visant les Tournesols de Van Gogh, jusqu’au recouvrement d’une sculpture de Charles Ray le 18 novembre sur le parvis de la Pinault Collection à Paris), Miriam Swarst est là encore l’une des rares voix discordantes dans le concert unanime des institutions qui, le 9 novembre, du Moma au Prado, en passant par le musée d’Orsay, s’inquiétaient de la mise en danger des œuvres d’art : «Pour moi, il est remarquable de constater le peu de solidarité exprimée par les institutions artistiques et les politiciens envers ces activistes qui se battent pour notre avenir, notre santé, l’accord de Paris. Permettez-moi de souligner que, jusqu’à présent, les activistes n’ont pas détruit d’œuvres d’art. Ils ont perturbé la jouissance de tableaux historiques lors de la visite d’un musée, oui. Mais il s’agit d’actes symboliques qui s’appuient sur le pouvoir des images et sur notre patrimoine culturel pour nous déstabiliser et nous inciter à mieux protéger la vie sur terre. Pourrait-il y avoir une meilleure raison ? Les activistes ne sont pas nos ennemis. Nous devons diriger nos efforts vers la neutralité climatique, vers la protection de la biodiversité, nous devons nous concentrer, avec ou sans ces activistes, sur les actions à mettre en place au sein de nos musées.»