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« Écran, pantoufles et canapé » l’horizon de l’homme contemporain ?

Dans un nouvel essai stimulant et plein d’humour, le philosophe et écrivain Pascal Bruckner dresse l’archéologie d’une forme inattendue de «grande démission»: la tentation de renoncer à affronter l’existence.

Votre livre s’ouvre sur un portrait d’Oblomov, le héros du roman de Gontcharov… En quoi ce personnage de la littérature russe est-il emblématique de notre époque?

Pascal BRUCKNER. – Oblomov est un petit hobereau des environs de Saint-Pétersbourg qui souffre d’une maladie étrange: il vit couché. Se lever, faire son courrier, sortir, voir des amis et, pire encore, fréquenter une femme lui coûte énormément. Il ne peut s’y résoudre: après le moindre effort, il doit s’allonger et dormir. À travers ce personnage qui est devenu un classique en Russie, Gontcharov a mis en lumière un trait caractéristique des Russes et qui irritait Lénine: la passivité. (…) Beaucoup d’entre nous sont devenus comme ces prisonniers qui soupirent, une fois libérés, sur les barreaux de leur cellule.

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La scène universelle de l’homme contemporain, c’est le sofa ou le canapé face à un écran, seul rempart contre l’horreur du monde qui nous arrive filtrée par les images et renforce notre appétit domiciliaire. D’autant que nous avons introduit dans nos appartements, nos maisons, un élément dont nos ancêtres étaient dépourvus: un confort extrême, les dernières commodités de la technique. D’où la tension entre l’appétit de découverte et la jouissance frileuse des pénates. Saurons-nous garder le goût des autres et du dehors ou allons-nous résister en pantoufles et robe de chambre à l’assaut du monde cruel?

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La critique du travail au sein de la gauche est ancienne et date du XIXe siècle et des premiers balbutiements du socialisme. N’oublions pas que Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, publia en I883 Le Droit à la paresse, où il dénonce les conditions particulièrement difficiles des ouvriers de l’époque. Mais la solution qu’il propose, ne travailler que quelques heures et se divertir dans des spectacles annonce curieusement la société de consommation. La diminution de la vie laborieuse, la généralisation du télétravail et d’un éventuel revenu pour tous de la naissance à la mort risquent de condamner une grande partie de la population aux simples loisirs. Avec ce renversement possible: l’activité deviendrait le luxe des privilégiés et l’oisiveté le fardeau des plus pauvres. Les classes populaires seraient abonnées au divertissement perpétuel et par là même dépossédées de toute maîtrise de leur destin, quand les classes dominantes afficheraient le surmenage comme symbole de leur supériorité. Bref, le travail, ancienne malédiction des esclaves, deviendrait le privilège des maîtres. Je ne suis pas certain que cette perspective soit particulièrement réjouissante.

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Le Figaro

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