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Embargo européen sur le pétrole russe : le grand saut dans l’inconnu du marché pétrolier

Attendre et voir. La prudence a prévalu ce dimanche à l'issue de la réunion de l'Opep+, à quelques heures de l'application de l'embargo des pays de l'Union européenne sur leurs importations de brut russe (certains pays comme la Hongrie en sont exemptés). Celle-ci est redoublée par l'imposition d'un prix plafond au baril de brut russe vendu sur le marché international, décidée par les pays du G7 auxquels s'est joint l'Australie.

Le partenariat formé par l'Opep et une dizaine d'autres pays exportateurs d'or noir, dont la Russie, préfère attendre de savoir comment va réagir et évoluer le marché pétrolier mondial. En effet, c'est une situation inédite, avec la possible imputation de la production de l'un des acteurs majeurs de la planète. En 2021, la Russie exportait 8,23 millions de barils par jour (mb/j), soit 12,3% du volume de pétrole vendu internationalement, selon le BP Statistical Review. Au mois d'octobre, ses exportations étaient tombées à 7,7 mb/j.

La demande atone de la Chine

Finalement, les rumeurs émanant du cartel suggérant une hausse de la production pour compenser la perte des volumes russes ou une baisse pour pallier une chute des prix en raison de la demande atone de la Chine ne se seront pas concrétisées. Les membres de l'organisation s'en tiennent à la décision prise en octobre de réduire à partir de novembre leur quota de 2 mb/j, mais sont prêts « à se rencontrer à tout moment et si nécessaire prendre des mesures immédiates pour faire face à l'évolution du marché et en assurer la stabilité », indique le communiqué.

De leur côté, les économies développées, Etats-Unis en tête, veulent réduire les revenus de Moscou mais aussi éviter de faire flamber les prix du baril, qui ont contribué à faire grimper l'inflation depuis des mois à travers le monde à des niveaux que l'on n'avait pas vu depuis les années 1970. En théorie, cela se tient. Déjà, les exportations de brut russe sont passées de 2,4 mb/j en janvier, à 1,5 mb/j en octobre. Pour le moment, la Russie a compensé ces pertes de parts de marché en Europe en vendant son brut avec une décote à la Chine et l'Inde. Cette dernière, qui n'en achetait que 100.000 b/j en janvier, en importait 10 fois plus en octobre, à 1,1 mb/j. Pour sa part, la Chine est passée de 1,6 mb/j à 1,9 mb/j en octobre. Il est peu probable que ces deux pays puissent absorber à partir de ce lundi l'achat d'un volume de 1,1 mb/j, estimé par l'AIE. D'autant que la reprise de l'économie en Chine, premier importateur mondial de pétrole, n'est pas attendue avant la fin du premier semestre de 2023, en raison de la pandémie du Covid-19 et de sa politique stricte de « zéro Covid » qui limite l'activité. La demande chinoise a déjà baissé de 4% en 2022 par rapport à 2021.

Les raffineurs européens doivent trouver de nouveaux fournisseurs

Néanmoins, si les Russes ont un problème de débouchés, les raffineurs européens, eux, doivent trouver une alternative. S'ils peuvent le faire auprès des pays du Golfe et des pays africains, ils courent le risque non négligeable de racheter du brut russe via des intermédiaires.

La Commission européenne en est consciente. Elle a d'ailleurs préparé des mesures visant à sanctionner les pays qui contournent l'embargo européen. Une menace à peine voilée à la Turquie, soupçonnée d'avoir mis en place une voie détournée pour acheminer du brut russe dans les pays européens. Mais des intermédiaires privés pourraient être tentés de le faire. Freightwaves, une agence d'informations spécialisée dans le transport maritime, cite un rapport du négociant maritime BRS, qui indique qu'« il y a aujourd'hui 1.027 tankers composant une « flotte fantôme » opérant pour le transport de pétrole du Venezuela, de l'Iran et de la Russie ». Plus de la moitié (503) sont des bateaux de fort tonnage, dont certains ont été vendus depuis l'invasion de l'Ukraine à de petites compagnies maritimes, « qui voient une opportunité financière de tirer profit de la situation dans laquelle se trouve la Russie ».

En attendant, ce qui va dicter la réaction des acteurs du marché pétrolier sera à nouveau le prix. C'est évident pour l'Opep+. Les prix du baril ont perdu quelque 8% depuis un mois, mais ils restent toutefois supérieurs de plus de 21% à leurs niveaux d'il y a un an. Vendredi, le baril de WTI évoluait autour des 80 dollars et celui du Brent autour de 85 dollars. Sans le dire formellement, le prix d'équilibre pour le cartel se situe autour de 90 dollars.

Mais le choix des Européens d'accepter un prix plafond de 60 dollars, et non de 30 dollars, comme le demandait notamment la Pologne, ne devrait avoir qu'un impact limité. Le prix de la qualité du brut russe le plus vendu, l'oural, s'élevait vendredi à 69,45 dollars, à peine 1% de moins que son prix d'il y un an. Mais la Russie négocie déjà ce brut à un prix décoté à ses clients extra-européens, entre 48 et 50 dollars, selon Argus Media, un cabinet spécialisé dans les prix des matières premières. L'acceptation  des Européens d'un plafond à 60 dollars a d'ailleurs provoqué la colère du président ukrainien Volodymyr Zelensky, pour qui, un tel prix « est tout à fait confortable pour le budget de l'État terroriste », a-t-il commenté, samedi, selon les services de la présidence.

Quelle réaction de la part de Moscou?

Reste désormais à connaître la réaction de Moscou. Le Kremlin a prévenu qu'il ne livrerait plus de pétrole aux pays qui soutenaient le mécanisme, une position réaffirmée dimanche par le vice-Premier ministre russe en charge de l'Energie, Alexandre Novak.

Cité par les agences de presse russes, celui-ci a même affirmé que la Russie travaillait « sur des mécanismes pour interdire l'utilisation de l'outil de plafonnement, quel que soit le niveau fixé », qui est assimilé d'ailleurs par plusieurs membres de l'Opep+ à une manipulation des prix du baril.

Moscou a également la possibilité de refuser de vendre des produits raffinés, (essence, diesel, gasoil...) aux pays européens, dont l'embargo ne s'appliquera officiellement que le 5 février, ce qui pourrait provoquer une flambée des prix de ces produits déjà sous tension.

Toutes ces incertitudes témoignent que le marché pétrolier est entré dans une zone inconnue.