France
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Emmanuel de Oliveira L’amiral aux mille vies

Nous avons surtout parlé de la vie. Celle des autres au travers des siennes qui se succèdent depuis un demi-siècle. L’une d’elles l’a amené en Charente dont est originaire sa femme. « Nous avions une maison à Barbezieux pendant vingt ans », explique celui qui a fait d’Angoulême et du quartier Saint-Martin son port d’attache depuis quatre ans. Là où il aimerait entamer sa nouvelle vie pour faire profiter « sa » Charente. « Je chercherai à apporter mes petites compétences, mon amour de la vie associative mais aussi ma connaissance du fonctionnement de l’État de la Nation au service de la Charente et d’Angoulême. » Une véritable déclaration d’amour et de candidature. En attendant, le président des 9.000 bénévoles sauveteurs en mer de la SNSM a accepté de plonger dans ses souvenirs pour se raconter aux travers des autres.

Quel est le moment qui résume peut-être le mieux votre carrière ?

Emmanuel de Oliveira. (Long silence) En 2015, en baie de Quiberon. Un père et son fils emportés alors qu’ils faisaient de la planche à voile. J’étais préfet maritime de l’Atlantique. Vers 1h du matin, mes équipes expliquent qu’on ne les retrouvera pas vivants. Je ne m’y résous pas, je dis de continuer une heure. À 1h35, un des hélicoptères voit quelque chose dans son phare. Un bout de planche et deux corps, dans une hypothermie très grave mais vivants. En tant qu’ancien pilote d’hélicoptère, je me suis peut-être dit que c’était encore possible.

Ce sauvetage de deux vies qui vous revient n’est-il pas une manière aussi de vous rappeler celles qui ont dû disparaître quand vous étiez leur chef ?

J’ai perdu des hommes assez vite, au tout début de ma carrière quand j’étais pilote d’hélicoptère. C’est plus que douloureux. Je ne fais pas beaucoup de cauchemars mais quand j’en fais, c’est la tête de ces hommes et de ces morts que je revois. (Très ému). Ça m’est arrivé fréquemment de perdre des hommes et à chaque fois, je l’ai vécu comme un échec personnel.

Après avoir commandé des équipages de 250 hommes sur des navires, vous voilà entre 2008 et 2014, au plus près des politiques, au cabinet du Premier ministre François Fillon puis à l’État-major des armées au côté de François Hollande. Vous avez aimé ?

Aimer, faut pas exagérer… La liberté et la solidarité que j’ai trouvées en mer dès mes 13 ans ; bon là, ce n’est pas vraiment ça ! Mais c’est très intéressant parce que ça permet de comprendre le pouvoir, ce qui les anime. On parle de microcosme et ce n’est pas faux ! Finalement, je ‘tiens’six ans avant de devenir Préfet maritime.

Vous étiez aussi l’adjoint du général Pierre de Villiers. Ça vous intéresserait de faire comme lui et d’intervenir publiquement pour donner votre avis sur la guerre en Ukraine ou l’armée française ?

Non, je ne me sentirai pas légitime. Quand je vois ces officiers en retraite, je me dis ‘est-ce qu’ils savent vraiment ce qu’il se passe ?’ À chaque fois que j’ai changé de mission, j’ai marqué une transition nette avec ce que j’ai fait avant. Aujourd’hui, il n’est pas question que je pilote un hélicoptère. Il n’est pas question que je commente la guerre. Ma vie aujourd’hui, c’est le sauvetage. Je vais de temps en temps sur les plateaux mais pour parler de sauvetage.

Justement, quelle est la mission qui vous tient à cœur parmi celles que vous menez à la tête de la SNSM ?

Le sauveteur prend des risques parfois trop grands pour sauver les autres. L’an dernier, 20 sauveteurs de la SNSM sont tombés à l’eau. Je fais mettre dans tous les gilets de sauvetage une balise automatique qui se déclenche quand ils tombent. Sauver les sauveteurs, c’est mon obsession. Nos équipements font aujourd’hui l’objet d’un partenariat avec Decathlon et sa marque Tribord. On développe avec eux à La Rochelle un gilet de sauvetage très innovant pour les coureurs au large.

Vous étiez au cœur de la décision politique au moment de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 ? A-t-on raté quelque chose avec Poutine ?

En 2008, il avait déjà envahi la Géorgie de la même manière. Pour nous, il fallait essayer de le comprendre parce que c’est comme ça qu’on peut ensuite éclairer les décideurs, ici le président Hollande. Le problème, c’est que nous essayions de comprendre quel sens politique Poutine voulait donner à tout ça. C’était très difficile. Aujourd’hui, les choses sont plus claires parce qu’en quelque sorte, Poutine a abattu ses cartes. Mais à l’époque, on ne comprenait pas où il voulait en venir précisément.

Ce n’était pas compliqué parfois d’être soumis aux choix politiques, guidés par d’autres raisons que la stratégie militaire ?

Il faut beaucoup réfléchir et se dire : les ordres que je reçois sont-ils bien légitimes ? Quand on me demande d’ouvrir le feu sur une foule est-ce que c’est légitime ou pas ?

Vous avez un exemple en tête d’un ordre difficile à mettre en œuvre ?

On est en octobre 2004, il y a un conflit en Côte d’Ivoire. La France est partie mais elle a des implantations et énormément de ressortissants. Et on me demande de débarquer des chars, des soldats sur la plage pour évacuer des ressortissants d’Abidjan. La question que je me pose : que faire si j’ai une hostilité des habitants, parce que c’est un peu sauvage de débarquer comme ça…

Face à cette pression et la responsabilité de la vie de vos hommes, vous avez un jardin secret surprenant : les ruches. On a du mal à vous imaginer en apiculteur…

Ça fait 25 ans que j’ai des ruches en Charente. J’y trouve le moment de rêver, le moment de ne penser à rien et donc de penser à tout. Les ruches, c’est prenant et en même temps c’est une évasion. C’est du temps mais du temps de liberté. Un peu comme la mer finalement…

Repères

9 septembre 1959. Naissance à Boulogne-sur-Mer.
1978 - 1981. Ingénieur de l’École navale.
1982 - 1984. École de l’aéronautique navale.
1983 - 1994. Pilote d’hélicoptères (Lynx - Panther - Dauphin - Alouette) de la Marine nationale. 3000 heures de vol, commandant de flottille.
1999 - 2005. Commandant des grands navires amphibies « Orage » (1999 - 2000) et « Foudre » (2000-2005).
2008 - 2010. Conseiller naval et maritime au Cabinet du Premier Ministre François Fillon.
2010 - 2014. Directeur stratégie et prospective à l’État-Major des Armées. Adjoint au major général des Armées.
25 juin 2014. Nommé préfet maritime de l’Atlantique.
8 juillet 2014. Commandeur de la Légion d’honneur.
Décembre 2019. Président bénévole des Sauveteurs en Mer - SNSM (Société nationale de sauvetage en mer).