Malgré une économie presque à l'arrêt et une récession désormais avérée dans la zone euro, la France s'en sort mieux que bien. Non seulement sa dette n'a pas été dégradée par S&P - en tout cas pas encore, la perspective restant négative-, mais l'emploi continue son embellie avec près de 90.000 créations nettes au premier trimestre, en hausse pour le neuvième trimestre consécutif. Quel meilleur accueil pour la loi plein emploi présentée cette semaine qui vise à amplifier la trajectoire actuelle en visant un taux de chômage de 5% en 2027 (contre 7,1% aujourd'hui), un pari qui nécessite de créer 700.000 à 800.000 emplois supplémentaires d'ici à la fin du quinquennat.
Tous les économistes qui, à l'image de Gilbert Cette, conseillent à Emmanuel Macron de ne pas dévier de sa ligne consistant à faire reposer sur la politique de l'offre et le travail le rétablissement du pays, sortent confortés d'une semaine qui montre que ce pari du plein emploi est le bon cap pour la France. Certes, 2023 pourrait connaître des accidents sur cette route, avec un ralentissement marqué dans le BTP, un secteur en crise que le plan présenté par Elisabeth Borne n'a pas vraiment rassuré.
Mais au vu des tensions persistantes sur le marché du travail, le paradoxe d'une croissance affaiblie mais toujours intensive en emplois pourrait bien se poursuivre. C'est curieusement l'une des conséquences de la crise du Covid. La productivité du travail a baissé et cela oblige les entreprises à recruter pour éviter de se retrouver en panne dans les métiers dits en tension. Cela ne suffira cependant pas et plusieurs inconnues sont encore devant nous. Quel sera l'impact de l'application de la réforme des retraites sur l'emploi des seniors, après ce qui a sans doute été la dernière journée de manifestation, dixit Laurent Berger ?
A très court terme, on craint que cela se traduise par une montée du chômage, le temps que le marché du travail des plus de 55 ans trouve un nouvel équilibre avec l'horizon de 64 ans en vue pour 2030. Deuxième levier à actionner, la formation et l'orientation des jeunes vers les nouveaux métiers de la transition écologique. Sans oublier le nucléaire, une filière qui va chercher à recruter 100.000 personnes. Nathalie Jourdan, notre correspondante en Normandie, a suivi l'annonce du « plan Marshall des compétences » lancé vendredi matin à Caen par le gouvernement. Le but, attirer les jeunes vers cette filière qui va construire les 6/8/14 nouveaux EPR2 dans les 20 années qui viennent. L'énergie sera à l'évidence un des grands secteurs pourvoyeurs d'emplois avec des opportunités dans le nucléaire, y compris pour les startups du nouveau nucléaire, mais aussi les énergies renouvelables.
Sur son chemin, le gouvernement a aussi plusieurs réformes difficiles à accomplir, comme celle controversée du RSA. Elisabeth Borne, qui travaille sur la feuille de route des 100 jours qui sera annoncée le 14 juillet, veut revenir à « l'esprit du RMI », le revenu minimum d'Insertion, créé par Michel Rocard. A l'époque le I de Insertion devrait être financé par le I de ISF.
C'est le trou dans la raquette du projet actuel du gouvernement. Pour accompagner vers l'emploi les personnes actuellement au RSA, il faudra mettre en face des financements. Le prochain budget devra apporter à France Travail, le nouveau Pôle Emploi, les moyens de cette politique de réinsertion. L'objectif est clair : remettre la France au travail, jeunes et seniors, afin de retrouver le même taux d'emploi que l'Allemagne, ce qui apporterait selon les estimations de 120 à 170 milliards d'euros de plus aux finances publiques. Largement de quoi financer la transition écologique sans avoir besoin de créer d'impôts, notamment cet « ISF vert » qualifié par Emmanuel Macron lui-même d' « idée à la con ».
En gros, les réformes qui vont occuper la fin du quinquennat Macron ressembleront furieusement à celles qui ont incarné les années Schröder en Allemagne. Avant de partir pantoufler chez Gazprom, le Chancelier social démocrate qui a précédé Angela Merkel a mis en oeuvre outre Rhin une série de réformes du marché du travail, pilotées par son ministre Peter Hartz, auteur des très impopulaires lois du même nom, en partie à l'origine du succès industrie de l'Allemagne depuis le début des années 2000.
Cela ne fera pas plaisir à la gauche option LFI, mais celle-ci a bien compris en réalité que c'est le sens de la politique menée par Emmanuel Macron, avec de moins en moins d'état d'âme. Comme Gerhard Schröder, qui dû affronter entre 2003 et 2005 de fortes résistances de la part des syndicats allemands, le chef de l'Etat qui a gagné son bras de fer contre les syndicats français à l'occasion du conflit sur les retraites veut désormais aller au bout de la logique.
Après les retraites, on n'en a pas fini donc avec les réformes : celle de l'assurance-chômage, suspendue cet hiver, pourrait donc reprendre pour renforcer les incitations à reprendre un emploi ; la réforme du RSA ira dans le même sens. Bref, Macron laisserait à la nouvelle France industrielle un héritage de réformes que n'aurait pas renié Denis Kessler, disparu cette semaine. Le très libéral patron de SCOR, figure du patronat, n'avait pas eu de mots assez durs pour dénoncer l'erreur du gouvernement Jospin qui avait imposé aux entreprises les 35 heures de travail hebdomadaires au moment où l'Allemagne, notre principal concurrent, mettait en œuvre une stratégie économique strictement inverse. L'histoire a jugé l'efficacité des 35 heures au regard de celle des lois Hartz en tout cas en termes de créations d'emplois et de maintien d'une industrie puissante.
Voir Emmanuel Macron s'inspirer 20 ans plus tard des lois Hartz, toujours très impopulaires en Allemagne car elles ont aussi été le symbole d'une paupérisation d'une partie des travailleurs, ne manque en tout cas pas de piquant... Il suffit de traverser la rue, proposait-il à un jeune chômeur, pour trouver du boulot. Et si la formule devenait réalité, pour le meilleur, comme pour le pire !
Philippe Mabille
Directeur de la rédaction
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