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En chine, la tolérance zéro des manifestants pour le "zéro Covid"

Des milliers de Chinois sont descendus dans les rues de plusieurs métropoles du pays depuis samedi pour protester contre la sévérité de la politique du “zéro Covid”. Une colère tournée directement vers le pouvoir central, ce qui en fait un phénomène rare en Chine,  politiquement dangereux pour le pouvoir.

Pékin, Shanghai, Urumqi, Wuhan, Chengdu ou encore Xi’an... Des milliers des manifestants protestent, depuis samedi 26 novembre, dans plusieurs grandes métropoles chinoises de plus de 10 millions d’habitants, contre le maintien des mesures draconiennes de lutte contre le Covid.

Les dizaines de vidéos sur les réseaux sociaux montrant la foule en colère brandissant des feuilles blanches pour dénoncer la censure de toute critique de la politique “zéro Covid” et réclamant un retour à la vie normale ont fait le tour du monde. Sur certaines d’entre elles, quelques rares manifestants ont même osé appeler à la démission du président chinois, Xi Jinping, en personne.

L’ombre des manifestations de 1989

De très inhabituels signes de défiance envers l’autorité suprême du dirigeant communiste, qui ont poussé certains commentateurs à comparer ces manifestations à celles de Tienanmen en 1989, réprimées à l’époque dans le sang par le régime.

“Un parallèle qui peut se comprendre car, ici aussi, il y a des étudiants de plusieurs grandes universités qui participent aux manifestations comme à la fin des années 1980”, souligne Marc Lanteigne, sinologue à l'Université Arctique de Norvège. Des centaines d’entre eux se sont même rassemblés devant la Tsinghua University de Pékin, où Xi Jinping a étudié et qui est “pourtant connu pour être conservatrice et loyaliste envers le régime”, précise cet expert. Pour autant, au-delà de ce point commun “la comparaison a de sérieuses limites”, assure Marc Lanteigne.

“Le contexte de l’époque - marqué par la surchauffe économique et une certaine libéralisation de l’économie - n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui, emprunt de ralentissement économique et d’un raidissement idéologique du régime. À la fin des années 1980, la Chine a connu un mouvement de revendication, alors qu’aujourd’hui ce sont des manifestations d’exaspération”, résume Laurent Malvezin, spécialiste de la politique chinoise et cofondateur de Sinopole, un centre de ressources sur la Chine.   

Ce mouvement n’en demeure pas moins d’un autre acabit que “les dizaines d’autres manifestations ces dernières années contre les conditions de travail et de vie à travers la Chine”, soutient Marc Lanteigne. En effet, malgré l’image que la Chine a sur la scène internationale d’un pays où l’ordre public est assuré sur tout le territoire d’une main de fer, “c’est loin d’être nouveau que des Chinois descendent dans la rue pour manifester”, ajoute Laurent Malvezin.

En revanche, ces manifestations se déroulaient jusqu’à présent exclusivement “dans des régions plus rurales ou des villes de taille moindre que Shanghai ou Pékin”, note Marc Lanteigne. 

Les rassemblements de ce week-end sortent aussi du lot par “l’emploi de slogans qui visent directement le régime central et non pas les autorités locales comme c’est traditionnellement le cas lors de ce type de rassemblement”, précise Laurent Malvezin. 

Autrement dit, le pouvoir n’a pas la possibilité de faire sauter un fusible local pour calmer la rue. 

Les carottes traditionnelles n’ont pas suffi

C’est donc une nouvelle sorte de créature sociale qui a pris possession des rues. Et pour l’instant, les outils traditionnels du pouvoir pour s’acheter la paix sociale n’ont pas suffi à l’apprivoiser. Des primes ont ainsi été offertes aux ouvriers d’une giga-usine de Foxconn qui protestent depuis plus d’un mois contre des conditions de travail très détériorées à cause des restrictions liées à la politique “zéro Covid”. Cela n’a pas empêché ces petites mains qui assemblent les iPhone du monde entier de continuer à manifester.

Dans la région du Xinjiang (nord-ouest de la Chine), les autorités ont promis en vain une levée “par phase” du confinement dans la capitale régionale d’Urumqi. Une décision prise en urgence après qu’un incendie dans un bloc d’immeuble a entraîné, jeudi 24 novembre, la mort d’une dizaine de personnes. Dans la foulée de la tragédie, des manifestations ont éclaté pour dénoncer l’application aveugle des règles de confinement qui auraient empêché les secours d’intervenir à temps. L’annonce de la fin progressive des restrictions n’a pas calmé la colère.

>> À lire aussi sur France 24 : la politique "zéro Covid" en Chine, grain de sable dans les rouages de la méga-usine de Foxconn

C’est d’ailleurs ce drame qui semble “avoir été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres” dans le reste du pays, estime Marc Lanteigne. Mais la marmite sociale était en effet sur le point de déborder depuis un certain temps.

Il y a eu d’autres tragédies liées aux confinements à répétition imposés depuis près de trois ans dans les villes chinoises pour stopper la propagation du Covid, raconte le chaîne américaine CNN. “La frustration n’a fait que s’accumuler au sein de la population”, constate Marc Lanteigne.

Lors du 20e Congrès du Parti communiste chinois - qui s’est déroulé du 16 au 22 octobre - et juste après, il a ensuite été question de desserrer un peu les vis de la politique “zéro Covid”, mais “la population n’a rien vu venir, ce qui a nourri un peu plus la colère”, abonde le sinologue de l’université Arctique de Norvège.

Enfin, les Chinois ont vu à l’occasion de la retransmission du mondial au Qatar que le reste du monde avait commencé à coexister avec le virus, sans masque et sans confinement. “Soudain, le discours du Parti communiste affirmant que la politique du ‘zéro Covid’ permettait à la Chine de s’en sortir mieux que dans d’autres pays prenait l’eau”, résume Marc Lanteigne. 

Dans ces conditions, le pouvoir pourra difficilement éteindre la contestation en distribuant quelques carottes à des ouvriers et citadins au bout du rouleau. 

La fin du “zéro Covid” ?

Les experts interrogés par France 24 jugent que c’est la politique du “zéro Covid” qui risque de devoir être sacrifiée. “Le gouvernement central voulait lever les restrictions progressivement d’ici le printemps 2023, mais là, les autorités vont devoir accélérer les choses”, estime Marc Lanteigne.  

Pour Laurent Malvezin, ces manifestations semblent même “tolérées” par le pouvoir "tant qu'elles restent sous contrôle" afin d'accompagner et justifier les "ajustements" à venir de la politique sanitaire controversée. Il en veut pour preuve la retenue des policiers sur la plupart des vidéos qui circulent, alors que les manifestants s’en prennent quand même à une politique revendiquée et assumée depuis trois ans par Xi Jinping.

“La plupart des manifestations ont débuté après la première réunion du nouveau Bureau politique, le 11 novembre, qui a permis d’évoquer la nécessité d’aménagement de la politique du ‘zéro Covid’”, souligne Laurent Malvezin. En ouvrant officiellement cette porte, le pouvoir central savait que la population allait comprendre qu’il est désormais possible de critiquer (jusqu’à un certain point) le redouté “zéro Covid”. En ce sens, la contestation aurait “été anticipée” par le régime, estime cet expert de la politique chinoise.

Reste à savoir si ce mouvement échappera au contrôle de Pékin. Pour Laurent Malvezin le risque est réduit. Pas si sûr, d’après Marc Lanteigne, qui estime que si les manifestants des diverses grandes villes arrivent à se coordonner et que le mouvement ne faiblit pas, le risque d’un dérapage policier augmentera. Auquel cas, la contestation pourrait devenir beaucoup plus politique. Et peut-être qu’il n’y aurait alors pas seulement quelques rares manifestants qui appelleraient à la démission de Xi Jinping.