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En Gambie, la surpêche menace les droits humains

À l’extrême ouest de la Gambie, la pêche minotière a fait de la ville côtière de Sanyang le théâtre d’une triple tragédie, sociale, économique et environnementale. Au large des plages de sable fin, des dizaines de navires de pêche industrielle ratissent les bancs de sardinelles et de bonga, destinés à être transformés en farines et en huile, puis exportés dans les fermes aquacoles d’Europe, d’Amérique et d’Asie.

Un business qui détruit tout sur son passage, des écosystèmes marins à l’économie du tourisme, menaçant jusqu’aux droits humains des populations locales. C’est le constat, implacable, que dresse Amnesty International dans son rapport publié ce mercredi.

Soixante-dix pages documentées, fruit d’un travail de terrain mené en juin 2021 et mars 2022, auprès des pêcheurs, des salariés des usines de transformation, des personnels de l’hôtellerie, des femmes travaillant dans les jardins qui jouxtent une usine de farine de poissons, mais également du chef du village de Sanyang, de représentants de la police, de microbiologistes, de journalistes, de représentants de l’Agence nationale de l’environnement et de la Croix rouge Gambienne, détaille l’ONG qui précise que le gouvernement gambien, lui, n’a pas répondu à ses sollicitations. Au centre de l’enquête, trois sites de transformation de poisson dont l’usine Nessim Fishing and Fish Processing Co., qui a pris ses quartiers à Sanyang fin 2017.

Une pêche destinée à l’élevage industrielle

En Gambie, la pêche minotière, technique qui consiste à prélever de très grandes quantités de poissons pélagiques (qui vivent près de la surface) pour alimenter les filières industrielles de farines et d’huile de poissons, prive les pêcheurs locaux et les populations d’une ressource vitale.

« La surpêche aggrave l’insécurité alimentaire dans le pays », affirme même Amnesty International qui pointe « la réduction des ressources marines au fil des ans » et précise que « la sardinelle et le bonga, en raison de leurs prix abordables, représentent la source la plus importante de protéines animales pour la population locale ».

La hausse des prix sur les marchés aux poissons, qui découle directement de la raréfaction de la ressource, pénalise également les restaurateurs. Reprenant les données de l’Union Européenne, l’ONG relève ainsi que 4,5 kg de poissons pélagiques sont nécessaires pour produire un kilo de farine.

À terre, autour de l’usine Nessim de Sanyang, riverains et professionnels du tourisme tirent la sonnette d’alarme. Interrogées par Amnesty International, les femmes maraîchères, dont les jardins se situent derrière les bâtiments de la firme, affirment que les odeurs qui se dégagent de l’usine attirent les ravageurs qui détruisent leurs cultures. C’est aussi cette odeur, irrespirable certains jours, qui fait fuir les clients des hôtels de la côte gambienne, plongeant les professionnels du secteur dans une nouvelle crise, eux qui peinent déjà à se remettre des impacts de la pandémie de Covid.

Les droits des civils bafoués

À bout, les riverains se mobilisent, comme en ce 15 mars 2021 où « une manifestation devenue violente a eu lieu à Sanyang après qu’un pêcheur qui travaillait pour l’usine aurait tué un habitant », rapporte Amnesty International. Pour la plupart Sénégalais, embauchés dans des conditions sociales obscures, les salariés des usines de transformation focalisent la colère des populations locales.

Ce jour-là, alors qu’un incendie volontaire a ravagé une partie du bâtiment industriel de Nessim, « au moins 50 personnes ont été arrêtées, certaines d’entre elles arbitrairement, et détenus dans des conditions indignes », souligne encore le rapport de l’ONG. Accusés de « complot en vue de commettre un délit, d’attroupement illégal et d’émeute », plusieurs manifestants « ont affirmé avoir été victimes de torture et d’autres de mauvais traitements lors de leur interpellation par les unités anticriminalité » de la police gambienne, contraints, selon deux d’entre eux, « de signer un document sans en connaître le contenu », précise Amnesty International.

Manifestement contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ces pratiques doivent faire l’objet « d’enquêtes rapides, approfondies, impartiales et efficaces », exhorte l’ONG.

Contrats opaques et eaux usées

Car sur le dossier de la pêche au large de ses côtes, l’État gambien agit en toute opacité. Certes, le gouvernement a signé des accords de pêche avec l’Union européenne et plusieurs pays dont le Sénégal, autorisant leurs bateaux à pêcher dans ses eaux territoriales, mais le pays est également « aux prises avec des infractions de pêches illégales, non déclarées et non réglementées (INN) », insiste le rapport.

En outre, ni la consultation publique en amont de l’installation de l’usine, ni l’étude d’impact environnemental de ses activités n’ont été menées dans le cadre réglementaire, ajoute Amnesty International. Nessim a même été condamnée en 2020 par l’Agence nationale de l’environnement pour non-respect des normes en matière de traitement des eaux usées « prétendument déversées sur les routes et dans les potagers » alentour.

La Gambie n’est pas un cas isolé. La surpêche, appuyée par un lobbying très puissant des géants du secteur, est responsable de catastrophes environnementales et humaines qui appellent d’urgence, des mesures globales à la hauteur de l’enjeu.

Dans son rapport, Amnesty International engage donc vivement la communauté internationale à « réglementer l’industrie des aliments à base de poisson pour limiter l’utilisation des farines et de l’huile de poissons, fabriqués à partir d’espèces déjà surexploitées et à exiger la transparence quant à l’origine des poissons ».