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Les eaux grises sont les eaux usées produites par les activités domestiques. Photo d'illustration SIPA/Alain BARON

Les eaux grises sont les eaux usées produites par les activités domestiques. Photo d'illustration SIPA/Alain BARON

Les eaux grises proviennent des douches, baignoires, lavabos, lave-linge, et éventuellement, mais c'est rare, de la cuisine et du lave-vaisselle.Photo illustration Progrès/Mathilde VILLEMINOT

Les eaux grises proviennent des douches, baignoires, lavabos, lave-linge, et éventuellement, mais c'est rare, de la cuisine et du lave-vaisselle.Photo illustration Progrès/Mathilde VILLEMINOT

C'est un geste anodin, d’une facilité déconcertante. Pour faire couler l’eau, il suffit (dans nos contrées) de tourner le robinet. Tellement simple qu’on n'y prête plus attention. Sauf quand l'eau menace de manquer.

La sécheresse de l'été 2022 a été particulièrement sévère. Il est urgent de (re)-pensé nos usages de l'eau, qu'ils soient collectifs ou individuels. C'est une nécessité pour préserver la ressource. D'autant que rejeter de l'eau potable dans le réseau, souvent chaude d'ailleurs, et en quantité, s'apparente à une aberation.

Récupérer et recycler les eaux grises : compliqué et onéreux

Dans ce contexte, la récupération des eaux grises est une solution parfois avancée. Cette technologie fonctionne en Australie, au Canada, dans le Maghreb... Mais en France? En quoi consiste t-elle? Est-ce facilement réalisable? Pour quels gains et quels coûts?

Les eaux grises, qu'est-ce que c'est?

Les eaux grises sont les eaux usées produites par les activités domestiques, à l’exclusion de la chasse d’eau des toilettes.

Elles proviennent des douches, baignoires, lavabos, lave-linge, et éventuellement, mais c'est rare, des graisses et matières organiques de la cuisine et du lave-vaisselle.

Ces eaux, non potables, ne peuvent naturellement pas être bues. Elles ont vocation à être réutilisées après avoir subi un traitement.

Elles représenteraient près de 40% de notre consommation quotidienne en eau potable. Sachant qu'en France, on consomme en moyenne environ 150 litres d'eau potable par jour et par personne (contre 106 litres/jour/personne en 1975).

Les principales sources de consommation d’eau potable sont la douche et le ménage (soit plus de 90% de la consommation moyenne). 

Le recyclage des eaux grises à titre individuel constitue un geste écologique mais également des économies sur le long terme. Il s’agit de recycler une eau impropre à la consommation pour des utilisations ne présentant pas de risque pour la santé. Par exemple, l'arrosage du jardin, des fleurs ou plantes d'intérieur. Au quotidien, elles pourraient aussi alimenter la machine à laver (selon certaines règles et dérogations prefectorales) et remplir la chasse d’eau des toilettes.

Une solution peu développée en France

Sur le principe, pourquoi pas ! La faisabilité est, elle, beaucoup plus compliquée. En France, on en est encore au stade du micro marché. Une telle installation n'est pas à la portée de toutes les bourses et nécessite de gros travaux, par des professionnels. Et ce, plutôt à la conception de votre logement.

« En dix ans d'analyses techniques dans le bâtiment, je n'ai encore jamais vu un particulier avec un récupérateur d'eaux grises installé dans le vide sanitaire », témoigne Jérôme Grange, spécialiste du diagnostic énergie et dirigeant de BC3E installé dans le Beaujolais. « Ça existe mais c'est cher. A installer, c'est possible sur du neuf mais ça ne coupera pas la facture d'eau en deux ».

Un autre professionnel, installé lui à Hyères dans le Var, partage le constat : « Il faut être fervent écologiste et avoir beaucoup d'argent pour ce type d'installation ». Pierre Garnier, gérant de O2pluie, oriente donc plutôt ses clients « individuels » vers des économiseurs d'eau pour la maison.

Mais au sein de L4M, le GIE (groupement d’intérêt économique) auquel il appartient avec des artisans basés dans les Pyrénées-Orientales et un directeur installé dans le Pays de la Loire, la solution du recyclage des eaux grises est prête.

Leur appareil fonctionne à quelques exemplaires, pour l'instant seulement à Monaco « où la réglementation est plus souple ». Et seulement pour des « collectivités », des hôtels, des entreprises... Plus il y a d'eaux grises à traiter, plus le système, modulable, peut être amorti durablement et offre de vraies économies sur la ressource.

L'Aqua'R, développé par le GIE L4M, est un système de filtres, de recyclage des eaux de lavage corporel et de pompes pour transférer ensuite l'eau recyclée vers le réseau à alimenter (chasse d'eau, arrosage...). Photo fournie par L4M GIE

L'Aqua'R, développé par le GIE L4M, est un système de filtres, de recyclage des eaux de lavage corporel et de pompes pour transférer ensuite l'eau recyclée vers le réseau à alimenter (chasse d'eau, arrosage...). Photo fournie par L4M GIE

Le nombre de cuves s'adapte au volume d'eau à recycler. L'installation nécessite un local technique, un garage... Photo fournie par L4M GIE

Le nombre de cuves s'adapte au volume d'eau à recycler. L'installation nécessite un local technique, un garage... Photo fournie par L4M GIE

A ce jour, le GIE L4M a intallé plusieurs de ces pompes dans des résidences hôtelières de Monaco. Pas en France où la législation n'est pas la même. Photo fournie par L4M GIE

A ce jour, le GIE L4M a intallé plusieurs de ces pompes dans des résidences hôtelières de Monaco. Pas en France où la législation n'est pas la même. Photo fournie par L4M GIE

Une solution collective

« Notre système Aqua'R peut équiper une construction collective neuve. On sait aussi se greffer à une rénovation lourde mais aujourd'hui, et à ce stade, c'est encore peu adapté aux particuliers en raison des faibles volumes d'eaux grises à recycler. Avec le contexte environnemental, on en viendra peut-être à équiper demain un lotissement avec plusieurs maisons »,  espère Dominique Prouteau, directeur de L4M.

Assuré de la fiabilité du système, arguments multiples à l'appui, dont celui d'une solution made in France « avec des moules faits à Lorient, des châssis métalliques en Vendée et l'assemblage à côté de Perpignan », le GIE L4M cherche à convaincre les décideurs. A ce jour, c'est le plus difficile. 

« On travaille et on améliore notre système depuis 15 ans. On est prêts et sûrs, on ne prend aucun risque sanitaire », confirment Patrice et Jérémy Cartier. Avec leur entreprise PLJ, ils sont associés du GIE L4M. « Nous faisons régulièrement des chiffrages, on travaille avec des maître d'oeuvre et des bureaux d'études mais c'est encore notre lot qui saute en premier quand les appels d'offres débordent du prévisionnel », regrette Patrice Cartier.

Le GIE L4M est dans l'attente d'un retour pour l'équipement d'une future résidence étudiante à Paris.

Recycler oui, mais pour quel usage?

Le recyclage des eaux grisés demande en effet un ensemble d’installations pour récupérer puis filtrer les eaux usées, avant de les redistribuer. C'est donc cher. Plusieurs dizaines de milliers d'euros. Sur ce point, le GIE L4M n'a pas souhaité communiquer.

Pour ces professionnels convaincus, le  « problème » est ailleurs. Du côté des décideurs politiques. «On en parle un peu plus, il y a une petite prise de conscience mais tant que les textes réglementaires n'obligeront pas d'inclure des systèmes d'économies de la ressouce dans la construction, on n'avancera pas». 

Autre « problème » avancé, le recyclage massif des eaux grises indurait aussi « une réduction des volumes rejetés à la station d'épuration, donc une perte de taxes pour les gestionnaires de l'eau ».

Dernière difficulté, « l'eau n'est pas chère en France. Enfin, pas encore... On la gaspillerait pas autant si elle était chère », termine Dominique Prouteau.

 Aspect positif, le dispositif de traitement individuel des eaux grises, une fois installé, est simple à utiliser. Il demande un entretien minime au quotidien. Sachez toutefois que la pompe peut se bloquer, notamment parce que l’eau grise est pleine de petits déchets (cheveux, fibres de vêtements) qui bloquent le système...

Pour ceux qui souhaitent installer un système de récupération et valorisation des eaux grises, il est conseillé de privilégier l'usage de produits ménagers et d'hygiène les plus naturels possible. Il est essentiel d’éviter de jeter des produits toxiques (javellisant, détergents) dans les drains de récupération d’eau grise.

Il faut donc vraiment bien réfléchir avant de se lancer. Si la quantité d’eau réutilisée et économisée annuellement est faible, un système complexe comprenant pompes, valves, tuyauterie, filtres et contenants de stockage aura une empreinte environnementale plus négative que l'économie d'eau. Il vaudrait donc mieux alors laisser les eaux grises se perdre directement dans les égouts...

Avec sa pompe pour faire fonctionner votre gestion des eaux grises, comptez que vous aurez besoin d'éléctricité. Peut-être pas vraiment utile de subtiliser un gaspillage d'eau à une dépense d'électricité.

Un double réseau de tuyauterie

Avant de traiter, il faut au préalable récupérer les eaux grises. Il est  nécessaire d'installer un double réseau de tuyauterie. Il faut un circuit pour l’eau potable, raccordé au circuit d’eau public. Et un deuxième qui constitue un circuit fermé dans lesquel les eaux grises sont filtrées pour pouvoir être réutilisées pour certains usages domestiques.

Techniquement, et selon différents systèmes, les eaux grises passent dans un biofilm, où les bactéries digèrent les impûretés présentes et stoppent les molécules de synthèse. Sur ce principe, diverses méthodes de filtrage existent dont plusieurs utilisent les écosystèmes naturels. Par exemple, l’utilisation des plantes qui filtreront et transformeront l’eau polluée en matière organique utile à la croissance des plantes.

Autre possibilité, le recours au sable qui servira de tamis et emprisonnera matières organiques et particules de synthèse. Moins écologiques, les agents chimiques, notamment le chlore, qui détruisent les micro-organismes pathogènes.

Les processus de désinfection, tels que les rayons UV ou l’ozonation, sont généralement utilisés en dernier lieu de certains systèmes très haut de gamme.

Un danger potentiel ?

Bien que normalement considérées comme plutôt inoffensives, les eaux grises sont toutefois considérées comme un danger potentiel par les autorités publiques.

En 2011, la Direction générale de la santé a saisi l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) afin qu’elle évalue les risques sanitaires liés à la réutilisation des eaux grises pour des usages domestiques.

L’utilisation des eaux grises traitées, qui consiste à récupérer, collecter les eaux ménagères puis à les utiliser après traitement, n’est pas autorisée en France pour des usages domestiques.

Dans les avis et rapport, l’Agence estime que la pratique de réutilisation de ces eaux grises dans l’habitat doit être encadrée et ne doit être envisagée que pour des usages strictement limités, dans des environnements géographiques affectés durablement et de façon répétée par des pénuries d’eau.

Les eaux grises contiennent des matières particulaires et organiques, et sont contaminées par des micro-organismes dont des pathogènes et des contaminants physico-chimiques issus notamment du lavage des mains, des produits d’hygiène corporelle et cosmétiques, des produits d’entretien de la maison, du lavage des surfaces et du lavage du linge.

Compte tenu de leurs caractéristiques, les eaux grises brutes ne peuvent être réutilisées pour des usages domestiques sans un traitement préalable. Ainsi, la réutilisation des eaux grises nécessite des étapes de traitement, de transport et de stockage à maitriser.

Sous réserve de la mise en œuvre d’un traitement et de mesures de gestion du risque appropriées, les eaux grises traitées peuvent être adaptées à trois usages en milieu domestique, si elles répondent à des critères de qualité précis au point d’usage :

  • l’alimentation de la chasse d’eau des toilettes ;
  • l’arrosage des espaces verts (excluant potagers et usages agricoles) ;
  • le lavage des surfaces extérieures sans génération d’aérosols (sans utilisation de nettoyeur à haute pression). Toutefois, dans ce cas, l’ajout de produits d’entretien dans les eaux grises traitées est déconseillé.

De la chaleur à récupérer

L'eau sanitaire qui repart à l'égout est souvent chaude. C'est là qu'une autre solution existe, un peu plus facile à mettre en oeuvre que le recyclage complet.

L'eau rejetée d'une douche est encore à 30-32°C. Un vrai gâchis énergétique que de nombreuses entreprises ont décidé d'exploiter pour réduire de manière drastique le coût énergétique de l'eau chaude sanitaire.

Des systèmes de récupération de la chaleur permettent de réelles économies. A Grigny, au sud de Lyon, la société KP1 vend et installe par exemple un récupérateur de calories des eaux grises. A intégrer à la construction dans votre vide-sanitaire ou lors de travaux de rénovation (conséquents).

Cette énergie est alors transférée directement à l'eau froide alimentant le système de production d'eau chaude sanitaire. Cette chaleur récupérée diminue ainsi la charge que l’on demande au chauffe-eau et représente l’énergie que l’on ne paiera pas.

En revanche, cette technologie ne permet pas de stocker la chaleur. 

L'eau chaude, un poste de dépense d'énergie important

La réduction de la consommation d'énergie durant les prochains mois et les prochaines années passera également par la diminution du gaspillage d'eau chaude. Les foyers peuvent poser des limiteurs de débit sur les robinets et douches, ce qui pourrait économiser 8 200 GWh en deux ans.

Geste moins connu des particuliers, il est aussi possible de poser des jaquettes isolantes d'une dizaine de centimètres d'épaisseur sur les ballons d'eau chaude sanitaire : 3 500 GWh pourraient être économisés de la sorte.

Ces dernières se trouvent aisément en grandes surfaces. En effet, « les pertes statiques des ballons individuels ECS représentent un tiers de leur consommation », alerte l'association NégaWatt  ?

Plus largement, l'étude rappelle que des mesures de bon sens -des douches courtes plutôt que des bains, la vaisselle à l'eau froide, remplir un maximum sa machine à laver ou son lave-vaisselle- sont autant de solutions pour économiser l'eau chaude.