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Et le silence mène à l’oubli

C’est un lourd silence depuis quelques semaines. Sans l’accès à Internet et aux réseaux mobiles, on ne sait plus rien de ce qui se passe. Instagram, qui est le réseau le plus populaire dans la région, est bloqué, tout comme les autres réseaux sociaux ou WhatsApp. Les journalistes ont été expulsés, et il n’y a plus guère de reportages ni d’articles. Et désormais, tout le monde se tait, dans ce régime de la terreur tue. C’est comme si tout s’était arrêté, comme si cela n’avait pas existé, comme si ce n’était pas grave. On ne sait plus rien, on n’a plus vraiment accès à ce qui se passe, et le silence a recouvert les visages voilés pour faire taire les femmes puis les étouffer, et que les autres ne sachent rien des horreurs qui se déroulent en secret, à l’insu de tous.

On ne sait plus rien et on n’est plus sûr de rien. Que se passe-t-il exactement dans les prisons qui brûlent ? Est-ce que la révolution vaincra, est-ce que la répression sera plus forte ? Est-ce qu’il est possible de venir en aide à ces femmes et pour quelle raison personne ne le fait, comme dans les autres pays ? Mais personne n’entend rien, et personne ne s’étonne de ne rien entendre. Nous n’avons plus de films, plus de photos, plus de communications alors qu’il y a quelque temps à peine, nous pouvions voir les images stupéfiantes de ces femmes qui manifestaient, qui chantaient parfois, qui enlevaient leurs voiles, qui criaient leur douleur. Et ces photos prises à la volée, de celles qui ont brisé le silence, qui ont enlevé leur coiffe au péril de leur vie, qui ont eu l’audace de sortir dans la rue en montrant leurs visages, symboles de leur contestation.

Car ce sont les femmes qui ont bravé le régime totalitaire islamiste de l’Iran, dans un courage que les hommes n’ont pas, dans une volonté de changer leur vie et leur société, leur avenir et celui de leurs filles, et aussi dans un désespoir si profond et si amer qu’elles préfèrent la mort plutôt que vivre dans cette société gouvernée par le fanatisme et l’injustice, la force et la terreur, le mensonge et la répression qui maintient ses citoyens dans un état de peur, qui les domine par l’emprisonnement, la torture, les massacres et dicte leurs comportements par les polices des mœurs.

Une révolution de jeunes filles

Et de temps en temps, il nous parvient quelques images, prises de loin, en cachette, rapidement, pas toujours compréhensibles, des photos floues, quelques textes, des paroles et des événements racontés par des proches, envoyés sur des réseaux parallèles, qui dévoilent l’ampleur et la violence de la répression, le viol étant l’arme de la guerre. C’est une révolution de jeunes filles. Des belles jeunes filles aux yeux sombres et aux cheveux noirs qui ne veulent plus se cacher, et qui sont arrêtées, emprisonnées, battues, violées, torturées, tuées. Et dans ce silence assourdissant, il faudrait pouvoir entendre leurs cris, il faudrait pouvoir en parler, et ne pas être complices en le propageant par l’absence de paroles. Il faudrait redoubler d’effort pour les soutenir afin de ne pas regarder de loin ce massacre de femmes et d’enfants, victimes du régime.

Il faudrait pouvoir le dire. « S’ils coupent Internet pour toujours, j’aimerais que mon dernier post soit : Vive la femme, Vive la liberté, Vive l’Iran. » Ce post sur Twitter du jeune Hamidreza Rouhi fut son dernier. Il fut assassiné à Téhéran en manifestant pour la femme, pour la liberté, pour l’Iran. On peut voir son visage d’enfant dans « Lettres de Téhéran », le fil sur Twitter qui rapporte ce que l’on ignore, avec quelques photos et des textes effarants. Des milliers de femmes sont assassinées sauvagement, y compris des petites filles. Et dans cette haine épouvantable elles sont seules, elles sont loin, elles sont abandonnées, puisque plus personne ne parle, puisque tout est coupé et tout le monde le tait, puisque l’on n’a plus d’images.

Alors il reste les mots et les paroles, et tout ce que l’on peut dire pour que le cri de révolte s’élève si fort qu’il soit entendu même sans Internet et que la liberté triomphe de la barbarie. Car nous savons que le silence est ravageur, et l’effacement des crimes fait partie du crime de ces États sanglants que l’on connaît trop bien. Les régimes totalitaires font en sorte que l’on ne sache pas l’ampleur de la répression qu’ils mènent contre ceux qui osent les défier, ils agissent dans le secret, dans le silence qui tue, et le silence mène à l’oubli.