France
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Évelyne Perrin, militante épanouie

Elle nous a donné rendez-vous en face de la Bourse du travail, à Paris, dans un café aux murs couverts de photos, de dessins et d’affiches revendicatives. « C’était le QG de Nuit debout, et maintenant c’est là que nous débriefons les cours d’autodéfense que j’organise, dans le bâtiment d’en face, chaque premier lundi du mois. » Qu’on ne s’y trompe pas, Évelyne Perrin, 82 ans, n’a rien d’une adepte du kick-boxing. C’est l’arme du droit qui est offerte aux précaires, chômeurs, mal-logés ou sans-papiers, invités à rencontrer des juristes ou des associations qui les aident à contourner les méandres administratifs. « Les personnes viennent à ces ateliers pour démêler leur situation personnelle, mais, très vite, ils comprennent le caractère systémique de ce qui leur arrive et se battent collectivement », assure la sociologue, dont les multiples ouvrages témoignent de ses engagements : Chômeurs et précaires au cœur de la question sociale, Jeunes Maghrébins de France. La place refusée, Identité nationale, amer ministère, Guide des droits des Roms, Désobéir contre la précarité

Parallèlement à son emploi de chargée de mission « emploi-économie-territoires » au ministère de l’Équipement, elle n’a jamais cessé de militer. De 1994 à 2012, elle a été membre d’Agir ensemble contre le chômage !, a participé à la création de Stop précarité, puis est devenue membre du conseil scientifique d’Attac et a apporté sa pierre au réseau Stop stress management, qui aide les salariés à comprendre les mécanismes du harcèlement au travail. Enfin, elle a fondé l’association Sang pour sans, à Champigny, où elle habite depuis 1975, avec laquelle elle remue ciel et terre pour trouver des solutions aux « sans-emploi », « sans-logement » et « sans-papiers ».

Et Mai 68 arrive...

« Ce goût de la solidarité me vient de ma tendre enfance. C’est mon grand-père anarchiste qui a fait de moi celle que je suis », justifie-t-elle dans un sourire. Née à Clermont-Ferrand, en octobre 1940, tandis que son père, officier, était prisonnier en Allemagne, la fillette vit ses premières années entourée de nature et d’animaux avec sa mère, sa tante et ses cousins dans la ferme-château de cet aïeul. « On cachait des juifs, qui vivaient avec nous dans cette grande bâtisse et je me souviens qu’une fois, ils ont dû fuir en catastrophe car ils avaient été dénoncés… » Paradoxalement, la fin de la guerre marque aussi, avec le retour du père, celle de l’insouciance. « J’ai été victime de maltraitances qui relèvent de la pédocriminalité », souffle pudiquement Évelyne.

Brillante élève, elle a son bac à 17 ans, s’inscrit en droit et décroche une bourse pour aller étudier un an dans une université américaine. « À ma grande déception, j’ai atterri au fin fond du Massachusetts, au Smith College, un très chic établissement fréquenté par des filles de sénateurs et de riches industriels. » Outre-Atlantique, Évelyne découvre un racisme insupportable : « Les étudiants étaient servis par des Noirs auxquels il leur était interdit d’adresser la parole. Évidemment, cela ne m’a pas plu et j’ai fait tout le contraire ! » De retour à Paris, la jeune femme s’inscrit à Sciences-Po où son allure excentrique détonne et lui vaut d’être recalée deux fois à l’oral alors qu’elle avait eu l’écrit haut la main…

À l’époque, le chômage n’existe pas

Qu’à cela ne tienne, elle poursuit son cursus en droit et en économie, trouve du travail dans un bureau d’urbanisme, se marie une première fois, divorce deux ans plus tard. Et arrive Mai 1968 ! « J’ai participé à toutes les actions avec les grévistes. De là est né mon engagement et je n’ai plus jamais cessé de lutter pour les droits des travailleurs, notamment dans les boîtes où j’étais employée, quitte à me faire licencier. » À l’époque, le chômage n’existe pas, Évelyne obtient facilement un CDI au ministère de l’Équipement où elle mène des projets qui la passionnent, notamment en direction des quartiers populaires. Elle prend sa retraite à 65 ans, au début de années 2000. Des années marquées par la maladie et le décès, en 2004, de son second mari adoré, « un Marocain originaire du Rif », avec qui elle a eu deux enfants.

Si elle se consacre désormais à l’écriture et à ses activités militantes et ne rate aucune manifestation contre la réforme des retraites, Évelyne n’oublie pourtant pas de vivre. « Mon prochain bouquin ne sera peut-être pas publié sous mon nom. J’y raconte comment j’ai découvert le plaisir sexuel à 71 ans, après me l’être inconsciemment interdit presque toute ma vie en raison de ce que m’avait fait subir mon père. Mais je me suis bien rattrapée depuis. » Sacrée Évelyne ! Si elle accepte aujourd’hui de révéler cette part très intime de son existence, c’est pour passer un message aux femmes : « On peut guérir de maux dont on ne croyait jamais se sortir. »