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Exportations d'armes : mais que veut vraiment l'Allemagne ? (2/2)

Jusqu'ici tout était clair et carré. Mais depuis il y a eu le fameux « Zeitenwende » (le tournant) en matière de défense en Allemagne. Et aujourd'hui la position allemande en matière d'exportation d'armements de la coalition au pouvoir (SPD, Verts et Parti libéral FPD) semble avoir explosé en vol contre toute attente après le discours décoiffant de la ministre de la Défense allemande, Christine Lambrecht (SPD), qu'elle a prononcé le 12 septembre sur la stratégie de sécurité nationale de l'Allemagne. « L'Allemagne doit s'améliorer ici (sur l'exportation d'armes, ndlr), car nous compliquons encore ces projets de coopération en insistant sur des réglementations spéciales en matière d'exportation d'armes », a-t-elle expliqué à Berlin. Une déclaration étonnante en rupture complète avec le contrat de coalition. Ce dont n'auraient jamais rêvé les industriels de l'armement, ni les responsables politiques français quelques jours plus tôt.

Armement : record des exportations de l'Allemagne en 2021 (1/2)

« Ma question est la suivante : comment pouvons-nous attendre de nos partenaires qu'ils investissent dans des projets communs avec nous s'ils doivent s'inquiéter que nous gênions les exportations, gênions le refinancement ? », s'interrogeait le 12 septembre la ministre de la Défense. « Avec nos réserves morales, nous nous plaçons au-dessus de nos partenaires européens. Mais que signifient même les valeurs européennes si nous disons à nos partenaires que leur moralité n'est pas assez bonne ? Après tout, nous ne parlons pas de ventes d'armes à des régimes voyous. Nous parlons d'exportations que, disons, la France, l'Italie et l'Espagne jugent acceptables - comment pouvons-nous alors justifier de faire notre propre politique ? Je ne pense pas que nous le puissions ».

Quelle sera la prochaine loi sur l'exportation ?

Dans la foulée, Christine Lambrecht a dit vouloir revoir la réglementation allemande en matière d'exportation « pour vraiment faire avancer la coopération européenne en matière d'armement ». Elle va mettre cette nouvelle priorité à son ordre du jour. « La stratégie de sécurité nationale devrait aller dans le même sens », concluait-elle. Un retour à l'esprit des accords Debré-Schmidt de 1972. Mais cette position de la ministre est carrément à l'opposé du contrat de coalition sur ce dossier. Bien loin également de ce qu'écrivait le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie dans le rapport sur les exportations d'armes pour 2021 publié... le 31 août. Soit seulement une dizaine de jours avant le discours de Christine Lambrecht. « L'objectif du gouvernement fédéral est une politique d'exportation d'armes légalement réglementée, restrictive et transparente », avait ainsi expliqué Sven Giegold (Verts). On peut donc voir quelques lignes de fracture dans la coalition.

« Le contrôle des exportations d'équipements militaires vers les pays tiers (des pays non OTAN et non UE, ndlr) sera réglementé de manière plus contraignante, un accent particulier étant mis sur le respect des droits de l'homme », a-t-il écrit.

Il sera donc extrêmement intéressant de voir l'impact de ce discours sur le ministère de l'Économie, en charge de la rédaction de la prochaine loi sur l'exportation (REKG). Pour la première fois dans l'histoire allemande, le contrôle des exportations d'armes de l'Allemagne pourrait être expressément inscrit dans la loi. On sera d'ailleurs fixé assez vite : le ministère de l'Économie et de la Protection du climat a l'intention de présenter les points clés de la loi sur les exportations d'armes au début de l'automne, a précisé Sven Giegold. Après le discours de Christine Lambrecht, les réactions des Verts ont montré une hostilité à tout texte laxiste qui reléguerait les principes de fond en raison du contexte géopolitique et des coopérations. Cet assouplissement souhaité par Christine Lambrecht et soutenu par le Chancelier sera-t-il approuvé par les Verts et l'aile gauche de la SPD ?

Vers une levée de l'embargo vers l'Arabie Saoudite ?

Au-delà, certains signes montrent que l'Allemagne semble aujourd'hui complètement décomplexée en matière de défense. Outre les programmes en coopération, Berlin semblerait aujourd'hui beaucoup moins dogmatique avec l'Arabie Saoudite - la visite du chancelier Olaf Scholz à Ryad et dans la région du Moyen Orient illustre ce tournant pragmatique. Realpolitik ? Dans ce contexte, l'Allemagne pourrait ne pas prolonger l'embargo des exportations d'armements vers l'Arabie Saoudite, qui avait été mis en place après l'assassinat de Jamal Khashoggi en octobre 2018 au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul.

Signes avant-coureurs ? La députée verte au Parlement européen Hannah Neumann, très active sur les questions éthiques dans le domaine de la défense, a récemment admis que l'Allemagne et l'Europe sont restées silencieuses pendant longtemps sur la condamnation des attaques des Houthis contre l'Arabie Saoudite. En outre, Christian Buck, le diplomate allemand qui dirige le département du Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères, a précisé que l'Allemagne était en train de revoir sa politique en matière d'armements. Il a admis que la guerre en Ukraine avait fait « comprendre à l'Allemagne que les armes jouent un rôle très important » en défense et que « ce point a été sous-estimé » par son pays.

Un transfert du dossier à Bruxelles ?

Pour autant, l'Allemagne va-t-elle renoncer complètement à réglementer les exportations d'armement ? Il semblerait que Berlin poursuive sa stratégie à l'étage supérieur, à Bruxelles. Fin août, le chancelier allemand semblait d'ailleurs le suggérer dans son discours de Prague. « Cela rend indispensable une coordination encore plus étroite au niveau européen (...) Pour que ces évolutions se concrétisent, nous devrons revoir toutes nos réglementations nationales, notamment celles qui concernent l'utilisation et l'exportation de systèmes fabriqués en partenariat », avait expliqué Olaf Scholz.

Sven Giegold ne dit pas autre chose dans le rapport sur les exportations allemandes : « Nous codifions la position commune de l'UE et ses huit critères, ainsi que les principes politiques du gouvernement fédéral sur l'exportation d'armes et d'autres équipements militaires ». C'est l'objectif de la prochaine loi sur l'exportation (REKG) : adopter une position commune de l'UE sur des règles communes pour le contrôle de l'exportation de la technologie militaire et de biens militaires avec huit critères listés par la Position commune de l'UE (dont respect des droits de l'homme dans le pays de destination finale, situation intérieure dans le pays acheteur, de destination finale, préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales...). Interrogé par La Tribune, l'entourage de Sébastien Lecornu a affirmé que pour la France, ce serait « un no-go ». Mais la France devra se montrer particulièrement vigilante à Bruxelles pour ne pas voir sa souveraineté laminée. Car l'Allemagne ne lâche jamais.