Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, s’est confrontée ce vendredi matin, dans les locaux du Progrès, à une dizaine de dirigeants d’entreprises, lecteurs du Progrès, qui l’ont interrogée pendant plus d’une heure, à bâtons rompus, sur leurs problématiques de chefs d’entreprise. Emploi, recrutement, hausse des énergies, fiscalité, coût du travail, compétitivité, transition énergétique, étaient au menu, de ce face-à-face avec les lecteurs, durant lequel la ministre est apparue déterminée à faire avancer les acteurs économiques.

Par Franck Bensaid et Valérie Bruno -

Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, pose pour la photo de groupe avec les lecteurs du Progrès à la fin d'une rencontre lecteurs au siège du journal Le Progrès à Lyon. Photo Progrès/Maxime JEGAT
Sophie Balleydier. Photo Progrès/Maxime JEGAT
Sophie Balleydier. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Sophie Balleydier. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Sophie Balleydier, directrice générale d’AEC service, entreprise spécialisée dans le secteur d’activité des analyses, essais et inspections techniques (Villeurbanne)

Nous avons des difficultés à recruter des jeunes qui ne veulent plus s’engager sur des CDI, exigent des petites missions pour toucher le chômage. Comment fidéliser les nouvelles générations et leur donner envie de s’investir dans leur job ?

Olivia Grégoire : « Ça n’est pas en appuyant sur un bouton qu’on va changer la donne ; il s’agit d’un changement de mentalité structurel des nouvelles générations. Il y a eu des efforts en matière de rémunération dans l’hôtellerie-restauration, + 16 % dans la branche d’augmentation des salaires, ce n’est pas anodin. Pour autant les difficultés perdurent, il y a donc un problème d’attractivité pour un certain nombre de métiers. Le tourisme, l’hôtellerie, la restauration et d’autres branches subissent de plein fouet ce problème. Ce sont des sujets sur lesquels on bosse. Sur les saisonniers et les métiers en tension le Gouvernement a déployé, à l’automne 2021, 1,4 milliard d’euros. C’était spécifiquement sur les métiers en tension pour aller chercher des chômeurs de longue durée et les former, les accompagner vers ces métiers en tension.

Au moment où on se parle il y a, à peu près, 250 000 chômeurs de longue durée qui ont été ramenés vers le chemin de l’emploi et directement vers ces métiers sous tension. Ce n’est pas assez… on va continuer ; on est en train de faire le boulot, pour autant nous devons avoir le courage de faire un certain nombre de réformes structurelles, notamment la réforme de l’assurance-chômage à l’automne. Cette réforme doit être mise en place à l’automne ; elle va faire en sorte qu’on encourage plus de chômeurs à aller vers le marché de l’emploi en réformant l’assurance chômage. C’est une réforme qui sera difficile mais qui me semble absolument indispensable pour faire en sorte que les chômeurs, lorsqu’il y a des emplois à pourvoir, soient encouragés beaucoup plus fortement à prendre ces emplois. »

Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Fabrice Bonnot. Photo Progrès/Maxime JEGAT
Fabrice Bonnot. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Fabrice Bonnot. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Fabrice Bonnot, restaurateur, dirigeant de Cuisine et dépendances (Lyon 2e )

On a du mal à séduire, à être attractifs, il y a des restaurants qui ferment parce que plus personne ne veut travailler, avez-vous une solution ?

Olivia Grégoire : « La situation dans laquelle nous nous trouvons est la résultante de 20-30 ans d’absence de prospectives sur vos métiers ; je suis moins pessimiste que vous sur vos métiers, ceux de l’artisanat. Grâce à vous, l’État aide l’apprentissage. Sur le précédent quinquennat, on a investi 15 milliards d’euros sur le Plan d’investissement sur les compétences et on a mis sur le Plan de relance 9 milliards d’euros sur un dispositif « Un jeune une solution », qui a permis à des centaines de milliers de jeunes de retrouver un emploi. 24 milliards d’euros, c’est l’équivalent du budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche… ça n’est pas la grâce du Seigneur, qui a permis de doubler le nombre d’apprentis, c’est la grâce de l’État et des entrepreneurs qui font le pari de l’apprentissage.

On avait 354 000 apprentis en 2019, on est à 730 000 en 2021. L’État ne va pas rentrer dans le cerveau des jeunes, en leur disant ‘‘il faut travailler’’, alors il nous faut nous adapter avec des nouveaux contrats, des nouvelles façons de faire. Quand on regarde l’artisanat, nos jeunes veulent de la liberté, plus que de la sécurité, nos jeunes veulent de l’usage plus que de la propriété, et nos jeunes veulent du sens. On a aujourd’hui un retour de l’appétence vers les métiers manuels qui ont été méprisés pendant des années. On doit nourrir de l’optimisme pour les métiers de la main, l’intelligence de la main, pour les savoirs faire qui ont du sens. »

Des échanges à bâtons rompus. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Flore Liatche. Photo Progrès/Maxime JEGAT
Flore Liatche. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Flore Liatche. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Flore Liatche, PDG d’Opadjele sécurité privée (Lyon 3e)

Malgré une augmentation des salaires dans la sécurité privée, on a des problèmes de recrutement, on nous demande de plus en plus d’avances sur salaires, pour du carburant, pour aller travailler. Que prévoyez-vous pour que les entreprises puissent rester compétitives ?

Olivia Grégoire : « Ça n’est pas l’État, qui fixe les salaires dans ce pays ; j’ajoute : heureusement. Je vous dis ça, parce que vous parlez du coût du travail, une problématique majeure, et que le coût du travail, c’est la responsabilité que doivent prendre les branches. Il y a des négociations de branches, le gouvernement a passé des années à encourager les branches à augmenter des salaires, parce qu’il y a des pans entiers encore de branches où le salaire horaire est inférieur au SMIC. Ça fait six ans qu’on appelle les branches à négocier sur les salaires, j’ai à cœur de rappeler que beaucoup des branches sont libres, responsables, et qu’on n’a jamais attrapé les mouches avec du vinaigre.

Si on veut recruter des collaborateurs il faut que les branches augmentent les salaires. Je ne suis même pas sûre que ce sera suffisant pour recruter, car il n’y a pas que les salaires, il y a aussi le sens le travail, la conciliation vie professionnelle-vie privée. Dans le précèdent quinquennat, l’État a diminué les impôts sur les sociétés ; vous étiez à 33 % d’IS et, en 2022, à 25 %. Dans le précédent quinquennat, on a baissé de 26 milliards d’euros les impôts pour les sociétés et de 26 milliards d’euros ceux pour les ménages. Il n’y a pas un quinquennat depuis 25 ans, qui avait autant baissé les impôts ; on doit continuer à baisser le coût du travail, c’est un sujet majeur pour que ce que vous gagniez, vous puissiez le répercuter sur les salariés et dans le partage de la valeur. On a, dans le projet de Loi de finances, une baisse des impôts de production, qui arrive. On va mettre en place une baisse de la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) pour 8 milliards d’euros, dans les deux ans qui viennent.

Les impôts de production, c’est là que le bât blesse, parce que ça pèse beaucoup sur le coût du travail. C’est là, où on se rend compte que le coût du travail est très renchéri dans notre pays. Si on ramène ces coûts de production à hauteur d’une paire de basket à 60 euros, vous avez 30 centimes d’impôt de production en Allemagne, 1,70 centime en France ; la différence, on est en train de la diminuer, puisqu’on baisse les impôts de production en France, pour faire en sorte que les entreprises retrouvent un peu de marge de manœuvre sur le coût du travail et puissent, à défaut de payer des impôts de production à l’État sur leur propre production, mieux rémunérer leurs salariés. »

Olivia Grégoire répond consciencieusement à toutes les questions posées. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Franck Trichot. Photo Le Progrès/Maxime JEGAT
Franck Trichot. Photo Le Progrès/Maxime JEGAT

Franck Trichot. Photo Le Progrès/Maxime JEGAT

Franck Trichot, dirigeant de trois restaurants Steak n’Shake 

Peut-on étaler le remboursement des PGE (prêts garantis par l’Etat, qui avait été proposé aux entreprises à la période du Covid), pour redonner de l’air aux entreprises ?

Olivia Grégoire : « Je voudrais d’abord rappeler qu’il n’y a pas un pays au monde qui a mis autant d’argent, pour protéger ses entreprises lors de la crise du Covid : il y a eu 240 milliards d’€ sur la table pour nos entreprises, nos salariés, le chômage partiel… Les PGE, il faut les rembourser. Alors, on peut avoir des difficultés à les rembourser. Je voudrais, ici, dire que, dans tous les départements de France, il y a une antenne de la Banque de France et la médiation du crédit. La médiation du crédit est là pour rééchelonner sur dix ans les PGE. Au sein de toutes les préfectures de France, vous avez un conseiller départemental à la sortie de crise, qui est un interlocuteur unique pour les entreprises en difficulté, que ce soit pour le remboursement des PGE, pour la problématique énergétique… Peu importe la difficulté.

Souvent, des entrepreneurs me disent que s’ils rééchelonnent leur PGE, ils seront notifiés à la Banque de France : il s’agit de la fameuse cotation FIBEN, que craignent les entrepreneurs. Là-dessus, je veux porter un message très clair : il n’y a pas de cotation FIBEN pour les entreprises qui font moins de 750 000 € de chiffre d’affaires. Je dis cela pour les petits commerces, les artisans, les commerçants… La notation non performante, pour les entreprises réalisant plus de 750 000 €, elle, est discrétionnaire à la banque. Un assureur crédit n’en a pas connaissance, les fournisseurs, les partenaires non plus. Elle ne grève aucunement la capacité d’investissement d’une entreprise ». 

Les chefs d'entreprises sont venus avec de nombreuses questions. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Gregory Laurent. Photo Progrès/Maxime JEGAT
Gregory Laurent. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Gregory Laurent. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Grégory Laurent, gérant des Etains de Lyon, président des Entreprises du patrimoine vivant (EPV) AuRA 

Le crédit d’impôt en faveur des métiers d’art (CIMA) risquerait, a-t-on entendu dire, de disparaître. Pouvez-vous nous dire s’il sera conservé ou pas ? Quid du diplôme sur les EPV, qui nous sert commercialement et qui n’est plus signé de votre main, ce qui est important pour nous, quand on part à l’étranger ?

Olivia Grégoire : « Oui. J’ai passé plusieurs années à la Commission des Finances et je suis sensible à la maîtrise des dépenses publiques. Je suis quelqu’un de pragmatique. Les crédits d’impôts d’aujourd’hui sont, pour partie, de la dette de demain et des impôts d’après-demain. Ce crédit d’impôts n’est pas en risque. J’ai tenu à ce que cela soit préservé. C’est un budget important et un crédit d’impôt important ; et important pour l’artisanat. Vous pouvez respirer […]. Sur la question du diplôme, c’est un point important, intéressant. On va le regarder ».

Thierry Violet. Photo Progrès/Maxime JEGAT
Thierry Violet. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Thierry Violet. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Thierry Viollet, consultant en immobilier professionnel 

En matière de fiscalité/compétitivité, qu’avez-vous prévu sur l’assiette de l’IS (impôt sur les sociétés) et sur les conditions du taux réduit ? Est-il possible d’en augmenter le seuil ?

Olivia Grégoire : « Pourquoi pas, on peut regarder. Venant de la commission des Finances, j’aime regarder les effets de bord et les effets d’aubaine. Je manie, avec prudence, la conditionnalité, en général et en particulier, en économie. Cela se regarde, il faut que j’en parle avec mon collègue au budget, Gabriel Attal. J’ai quand même à cœur aussi de rappeler que l’on se bat au niveau européen, avec Bruno Le Maire, sur les impôts minimums au niveau mondial. Ce sont des masses financières extrêmement importantes. Cela justifie que je prenne un peu de temps pour vous répondre sur ce point. Je pense aussi que l’on a fait beaucoup de baisses d’impôts. J’ai eu l’occasion de le dire au Medef, à la CPME ».

Prises de parole, et pises de notes  ! Photo Progrès/Maxime JEGAT

Jean-François Barral. Photo Progrès/Maxime JEGAT
Jean-François Barral. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Jean-François Barral. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Jean-François Barral, directeur général d’Huttopia (campings et villages nature)

On est dans un registre de transition écologique avec une réglementation qui évolue. En 2012, on a sorti les habitations légères de loisirs de la réglementation thermique (RE 2012), ce qui nous allait bien. En 2020, elles ont été réintégrées à la RE 2020 : or, pour ces habitats, exploités de mi-mai à septembre, les problématiques de chauffage, d’isolation, ne sont pas très pertinentes. Comment fait-on, quand on a ce type de difficultés, pour échanger avec les administrations centrales ?

Olivia Grégoire : « Je vous renvoie vers la conseillère technique (du ministère, NDLR), en charge des questions touristiques qui, tous les jours, est en contact avec l’ensemble des administrations et qui maîtrise, l’ensemble des décrets sur le sujet ».

Poignée de main entre Jean-François Barral et Olivia Grégoire. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Cirylle Ferrière. Progrès/Maxime JEGAT
Cirylle Ferrière. Progrès/Maxime JEGAT

Cirylle Ferrière. Progrès/Maxime JEGAT

Cyrille Ferrière, gérant de Ferrière Fleurs (horticulture, production de végétaux)

 Aujourd’hui, un producteur (de végétaux), avec un chiffre d’affaires de 300 000 €, a un coût de chauffage de plus 100 000 €. Sur 2019-2020, c’était 30 000, 40 000 €. En 2023, c’est terminé. Que faire ?

« Au début de l’été, on a mis en place des dispositifs d’aides – trois types d’aides – pour les entreprises, face à l’augmentation du coût des énergies. Vous devriez être éligible à l’aide Energo-intensifs. Pour cela, il faut vous rapprocher des impôts. Pour autant, on veut aller plus loin. L’Europe vient de se prononcer en faveur de la taxation des superprofits des énergéticiens. C’est tombé ce vendredi. On est en train d’essayer de faire baisser le prix de l’énergie au niveau de l’union européenne. Pour cela, il faut qu’on arrive à décorréler le prix du gaz de celui de l’électricité. C’est le combat que l’on est train de mener, au moment où l’on se parle. Bruno Le Maire se bat aussi pour qu’on élargisse les aides aux TPE et PME. On va aller plus loin, dans les semaines qui viennent ».

Olivia Grégoire, déterminée à faire avancer les acteurs économiques.. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Sophie Caillol. Photo Progrès/Maxime JEGAT
Sophie Caillol. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Sophie Caillol. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Sophie Caillol, dirigeante de la TPE Parci (textile)

 En matière de décarbonation, notre bâtiment actuellement chauffé au fioul coûterait plus cher en chauffage s’il passait au gaz ou à l’électricité. Comment faire si ma chaudière tombe en panne ?

Olivia Grégoire : « Vous avez un sujet de diagnostic énergétique. L’Ademe (agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie) a des diagnostics à vous proposer, qui sont pour partie, voire totalement, financés. Cela permettrait de voir comment vous pouvez évoluer dans les prochains mois ou les prochaines années. L’Ademe a des antennes dans toutes les régions de France. Vous pouvez, par exemple, bénéficier du diagnostic Eco-Flux, très utile, qui vous permet de voir quel est, aujourd’hui, l’état de la consommation, enclencher le bilan carbone »