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Fake news, contenus haineux… Malgré l’arrivée d’Elon Musk, la communauté scientifique veut garder son outil fétiche

Nous sommes en 2020. Un peu partout dans le monde, l’épidémie de Covid-19 gagne doucement du terrain. Mais le virus pose de nombreuses questions. Si certains scientifiques enchaînent les plateaux télés pour répondre aux journalistes, d’autres privilégient Twitter. Pendant plus de deux ans, tels des professeurs d’école, médecins, épidémiologistes et urgentistes utilisent la plateforme pour expliquer, décrypter ou vulgariser. Threads, schémas et hashtags… Mixant les codes de la communication scientifique à ceux des réseaux sociaux, cette génération de chercheurs 2.0 s’est forgée au fil des mois une véritable communauté.

Dès l’apparition des premiers cas en Chine, les scientifiques du monde entier commencent à travailler sur le virus. Et la recherche va vite, très vite. Pour partager leurs avancées, les experts se mettent à publier leurs travaux sur Twitter. La planète découvre alors « les prépublications » (preprint en anglais). « Les chercheurs n’ont pas dû attendre d’être publiés dans une revue scientifique, ils ont pu partager leurs découvertes et leurs avancées avec leurs pairs quasi instantanément, ça a sans aucun doute accéléré la recherche », explique Antonin Assié, cofondateur d’Odace, une entreprise spécialisée dans les réseaux sociaux.

Twitter, accélérateur scientifique

Grâce à Twitter, nombre d’experts se sont mis à travailler avec des chercheurs spécialisés dans d’autres domaines ou situés à l’autre bout du globe. A l’image de Matthieu Mulot, docteur en biologie, dont le compte Twitter est suivi par près de 6.000 personnes : « J’ai travaillé et crée des liens avec des chercheurs que je n’ai jamais rencontrés, avec qui je n’avais pas forcément de raison de me connecter », explique le spécialiste qui tient également une chaîne YouTube, Le Biostatisticien. Grâce à la plateforme, il est rentré en contact avec cinq autres confrères. Tous les six ont coécrit une étude sur l’inefficacité de l’hydroxychloroquine dans le traitement contre le Covid-19, dont ils ont assuré le service après-vente sur Twitter. « Après la publication, j’ai été invité par Karine Lacombe pour expliquer aux étudiants de médecine de la Sorbonne la façon de communiquer sur la science sur les réseaux sociaux. Je ne l’aurais jamais fait sans Twitter ».

Et dans certains cas, cette visibilité a permis des avancées majeures. Au printemps 2020, un groupe d’ingénieurs américains, spécialistes des aérosols, a multiplié les tweets pour prévenir que la transmission du virus se faisait majoritairement par de mini-gouttelettes flottant dans l’air. Le but ? Convaincre l’Organisation mondiale de la Santé mais aussi leurs confrères, au départ très réticents sur cette théorie. C’est pourtant l’une des caractéristiques les plus importantes dans la compréhension de la diffusion du virus.

Pour le docteur Franck Clarot, alias@le_doc (77.200 abonnés), Twitter a également permis aux pouvoirs publics de prendre des décisions plus rapidement : « La science a avancé minute par minute sur les réseaux sociaux, et non congrès par congrès comme c’était le cas auparavant. Les échanges entre scientifiques ont été très rapides, mais c’est aussi le cas avec les politiques. Ça leur a permis d’adapter leurs décisions quotidiennement », explique ce médecin radiologue et légiste à Rouen.

Des Mac Lesggy 2.0

La popularité de ces chercheurs a rapidement dépassé la sphère scientifique. Certains experts ont vu leur nombre de followers exploser, explique Antonin Assié : « Il faut se rappeler qu’on était en plein confinement, l’utilisation des réseaux sociaux a explosé et, avec elle, la popularité de plusieurs profils scientifiques et médicaux. Il y avait une vraie demande du public d’être informé, de comprendre pour pouvoir accepter les mesures contraignantes », explique le spécialiste.

Pour répondre à l’anxiété de la population et au flot de questions - parfois sans réponse –, certains spécialistes se sont glissés dans la peau de vulgarisateur, façon Mac Lesggy dans E = M6. C’est le cas du Dr Frank Clarot, qui préfère d’ailleurs le terme d’universalisation à celui de vulgarisation. Comme ce thread élaboré le 27 juin 2021, sur l’importance de la vaccination pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, notamment contre le variant Delta.

Bon... je m'étais promis de ne pas faire de thread #COVID19 ce we, mais ils sont tous de sortie : les antivax, les menteurs, les manipulateurs, les dangereux de tout poil... pour nous affirmer que le vaccin est fait pour tuer, et qu'être vacciné rend plus fragile au #DeltaVariant

— Le___Doc (@DrFranckClarot) June 27, 2021

Quels sont les chiffres interessants ?
• 92.056 cas #Delta #COVID19
• 89,5% avant 50 ans
• 58,4% chez des non vaccinés
• 21,7% chez des vaccinés incomplets

Donc PEU de cas chez des patients intégralement vaccinés (probablement des patients à risque ou "immuno spéciaux") pic.twitter.com/Vd0XnQodid

— Le___Doc (@DrFranckClarot) June 27, 2021

« Avant, sur Twitter, on voyait soit des experts qui tenaient des propos compliqués, soit des gens qui simplifiait à l’extrême. Pendant l’épidémie, il fallait être entre les deux, expliquer avec des mots simples une situation compliquée, des notions qui ne sont traitées d’habitude que dans des revues spécialisées par des gens spécialisés », décrypte Frank Clarot, qui avait moins de 15.000 abonnés avant l’épidémie.

Pour Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l’hôpital Bichat et coauteur de l’étude sur l’hydroxychloroquine avec Matthieu Mulot, certaines mises au point étaient absolument essentielles : « Sur le cas de l’hydroxychloroquine, on a dit tout et n’importe quoi. Les threads sur Twitter ont joué un rôle très important, il fallait une information fiable et rigoureuse, expliquer au public pourquoi ce n’était pas utilisé, pourquoi ce n’était pas efficace », explique le médecin, qui totalise 60.000 abonnés.

Revers de la médaille pour les scientifiques, avec la visibilité sont aussi venus les trolls et les attaques hostiles. Car les comptes liés aux sphères complotistes et anti-vaccin se sont eux aussi démultipliés. « Pendant l’épidémie, une grande partie de notre temps a été consacrée à démonter les fake news », reconnaît Franck Clarot. Pour le radiologue, il s’agissait surtout de convaincre les gens « situés dans la zone grise ». « Certains étaient convaincus que le vaccin était dangereux ou que le virus était un complot. Pour eux, on ne pouvait pas faire grand-chose. Mais pour une autre partie, entre les deux, il fallait qu’ils ne basculent pas ».

Une époque dont Matthieu Mulot et Nathan Peiffer-Smadja gardent quelques séquelles. Après la publication de leur étude, les deux chercheurs ont reçu des centaines de messages haineux, des insultes et des menaces de morts : « Il y a eu un véritable cyberharcèlement, c’est allé très loin, c’était délirant », explique le biologiste, qui confirme que des procédures judiciaires sont en cours.

Une communauté à recréer

Et la modération pourrait ne pas aller en s’améliorant dans les mois qui viennent. Quelques semaines après son arrivée à la tête de Twitter, Elon Musk, s’est séparée de la moitié de ses 7.500 employés, dont une grande partie des modérateurs, et a rétabli en masse des comptes bannis. Cette semaine, le milliardaire a franchi une étape supplémentaire en mettant fin à sa politique de lutte contre la désinformation sur le Covid-19. De quoi inquiéter les scientifiques déjà confrontés à la désinformation et aux contenus haineux.

Certains d’entre eux ont déjà appelé leurs abonnés à les suivre sur d’autres plateformes, dont Mastodon, très en vogue ces dernières semaines. Pour autant, pas question pour les experts de quitter totalement la firme à l’oiseau bleu pour la nouvelle petite venue. Pour Matthieu Mulot, le fonctionnement en « serveurs » de ce nouveau réseau social pose question. « Ça marche par instances. Chacune d’entre elles fixe ses règles, accepte ou non des membres, en exclut d’autres. Ça donne des bulles de discussions fermées. Autrement dit, je garderais mon réseau mais je perdrais une partie de mon audience », estime le biologiste. « Twitter, c’est une plateforme sociale, affinitaire mais non communautaire, on n’est pas fermé aux cercles qu’on fréquente », complète de son côté Antoine Assié.

Pour les scientifiques qui ont passé des mois à bâtir leur communauté, difficile d’imaginer repartir à zéro, explique Nathan Peiffer-Smadja : « J’ai une certaine audience sur Twitter, ça a été un travail de longue haleine, il faudrait tout recommencer de A à Z ». Bon, on n’est pas visionnaires, mais on ne va peut-être pas signer le certificat de décès de Twitter tout de suite.