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Festival d’Angoulême 2023 : Fauve d’or pour «la Couleur des choses» et le reste du palmarès

C’est une œuvre aussi déconcertante que fascinante qui a remporté hier soir le Fauve d’or du meilleur album au festival international de la bande dessinée d’Angoulême : après Ecoute, jolie Márcia de Marcello Quintanilha l’an dernier, c’est la Couleur des choses de Martin Panchaud qui rafle la récompense suprême. Un doublé totalement inespéré pour la petite maison d’édition Çà et là qui, il y a quatre ans encore, craignait de mettre la clé sous la porte faute de ventes (voir notre entretien avec son fondateur, Serge Ewencyzk).

La Couleur des choses est un ouvrage colossal, fruit de dix ans de travail et première grande bande dessinée pour le Suisse Martin Panchaud, né en 1982 à Genève. On y suit les aventures de Simon, 14 ans, problèmes de surpoids et de harcèlement, un ado qui grandit entre un père tyrannique accro aux courses hippiques et une mère effacée qui confectionne de mystérieux «gâteaux ésotériques» pour la voyante de la ville. C’est grâce à cette dernière qu’un jour, avec de l’argent qu’il vole dans un tiroir parental sous la pression de ses «amis», il s’en va miser en secret à l’hippodrome sur un cheval australien qui «souffre du décalage horaire» et en lequel personne ne croit. Renversement vertigineux : voilà que le gamin mal-aimé remporte 16 millions de livres. Mais la disparition de l’argent dans le tiroir génère une terrible dispute entre les parents. Un peu plus tard, le père s’est volatilisé et la mère est retrouvée dans une mare de sang, vivante mais dans le coma. L’ado se lance alors dans une quête rocambolesque de son père (motivée en partie par le fait que, étant mineur, il ne peut pas récupérer son pactole sans la signature de ses parents), au cours de laquelle surgissent d’étonnants personnages : un grutier branleur, une vieille baleine…

Outre l’intrigue passionnante émaillée d’incongruités, c’est le mode de représentation qui fascine – et a suscité au sein du jury présidé par Alexandre Astier une unanimité à laquelle il confie sur scène ne s’être absolument pas attendu («J’étais prêt à me battre !» plaisante-t-il en bombant le torse). Le dessinateur choisit en effet une vision d’en haut, comme une carte routière, sur laquelle évoluent des petits disques de couleur en guise de personnages. Un parti pris déroutant et austère, se dit-on pendant deux ou trois pages, avant de se laisser totalement happer par ce drôle de ballet schématique. L’auteur mordu d’infographies avait déjà appliqué ce système à un épisode entier de Star Wars, mais aussi expérimenté avec toutes sortes de représentations schématiques, narratives ou non, inspirées par exemple des croquis tactiques d’entraîneurs de foot (Urban Art Velodrome, 2020). Une sensibilité étrange pour les formes géométriques qui lui vient, explique-t-il, de sa dyslexie. Ce projet de bande dessinée, patiemment façonné pendant une décennie, lui vaut en 2012 un prix d’encouragement de la ville de Genève alors qu’il est encore au stade de prototype. En 2020, il parait enfin en Suisse, mais chez un éditeur germanophone, les éditions Moderne, donc dans une version traduite. Il se met alors avec acharnement à la recherche d’un éditeur francophone. L’auteur nous raconte son affinité toute particulière avec Çà et là : «Je suis retombé récemment sur un cahier qui date de 2013 et où j’avais noté «Çà et là». Je l’avais entouré puis barré en mentionnant «non francophone «, parce que c’est la ligne de Serge. Puis plus tard, au cours d’une résidence à Paris, j’ai découvert le livre extraordinaire de cet architecte polonais, Lukacz Wojciechowski, qu’il avait publié (Ville nouvelle, ndlr). J’ai su que c’était là que je voulais ce livre, et que j’attendrais le temps qu’il faudrait.»

Le palmarès complet :

Fauves d’honneur : Junji Itō et Ryōichi Ikegami

Fauve spécial de la 50e édition : Hajime Isayama

Prix du public France Télévisions : Naphtaline de Sole Otero - Traduction d’Éloïse de la Maison (Çà et Là)

Fauve des lycéens : Khat de Ximo Abadía – Traduction d’Anne Calmels et David Schalvelzon, (La Joie de lire)

Fauve révélation : Une Rainette en automne (et plus encore…) de Linnea Sterte - Traduction par Astrid Boitel (Les Éditions de la Cerise)

Fauve série : Les Liens du sang T.11 de Shuzo Oshimi - Traduction de Sébastien Ludmann (Ki-oon)

Fauve spécial du jury : Animan d’Anouk Ricard (Exemplaire)

Fauve d’or - prix du meilleur album : La Couleur des choses de Martin Panchaud (Çà et Là)

Prix Philippe Druillet : La Falaise de Manon Debaye (Sarbacane)

Prix Konishi de la meilleure traduction : Dai Dark - Tome 1 de Q Hayashida, Traduction de Sylvain Chollet (Soleil)

Prix René Goscinny du meilleur scénariste : Thierry Smolderen pour Cauchemars ex Machina. Dessin de Jorge González (Dargaud)

Prix René Goscinny du jeune scénariste : Mieke Versyp pour Peau. Dessin de Sabien Clement (Çà et Là)

Fauve jeunesse : La Longue marche des dindes de Leonie Bischoff et Bathleen Karr (Rue de Sèvres)

Fauve spécial du grand jury jeunesse : Toutes les princesses meurent après minuit de Quentin Zuttion (Le Lombard)

Fauve polar SNCF : Hound Dog de Nicolas Pegon (Denoël Graphic)

Prix de la bande dessinée alternative : Forn de Calç (Extinció Edicions)

Eco-Fauve Raja : Sous le soleil d’Ana Penyas - Traduction de Benoît Mitaine (Actes Sud L’An 2)

Fauve patrimoine : Fleurs de Pierre de Hisashi Sakaguchi - Traduction d’Ilan Nguyen, Revival