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Festival d’Angoulême : une 50e édition faite de divisions

Malgré le vent glacial qui soufflait sur les remparts d’Angoulême, le public a répondu à l’appel de la 50e édition du Festival international de la bande dessinée. Après une année blanche, en 2021, et une fréquentation en baisse de 25 % l’an dernier, le retour à des conditions normales d’un événement dégagé des contraintes sanitaires laissait présager d’une ambiance festive.

Elle l’a été, dans une certaine mesure, les expositions, notamment celles consacrées aux mangas, ayant attiré un public jeune et nombreux. Des expositions où le goût de l’étrange se conjuguait souvent à une forme d’esthétisation de la violence et d’érotisation des corps, notamment féminins. Le tout étant, il est vrai, accompagné d’un appareil critique remettant ces œuvres, notamment celles du vétéran Ryoichi Ikegami (Crying Freeman), dans le contexte de leur époque de publication.

Entre accusations et menaces

Car les temps changent. Face au Musée du papier, au bord de la Charente, où devait se tenir l’exposition de Bastien Vivès, annulée après des accusations de misogynie et de pédopornographie dans certains de ses ouvrages, s’inscrivaient des affichages sauvages « pédopornographie : éditeurs complices, diffuseurs coupables » ou « le respect n’est pas une censure ».

Dans les allées des « bulles » d’exposants circulait, sous le manteau, un petit fascicule rouge intitulé Les Raisons de la colère, raillant la tribune d’un certain nombre d’auteurs appelant le festival à adopter une charte l’engageant à « réaliser ses futures programmations dans le respect du droit des personnes minorisées ».

Une idée que rejette en bloc Franck Bondoux, délégué général de l’événement : « Si c’est pour instaurer un équilibre absolu entre les minorités, c’est non ! Si c’est pour parler de peuples et des auteurs opprimés, nous le faisons déjà. » Lors d’une table ronde organisée par Le Point sur la « résistance par le dessin », trois auteurs, la Marocaine Zainab Fasiki, l’Iranien Mana Neyestani et le Turc Ersin Karabulut sont venus témoigner des menaces dont ils ont été victimes.

Des menaces dont ont été également les cibles Bastien Vivès, certes pour des raisons bien différentes, et des membres de l’équipe du festival, souligne avec force Franck Bondoux qui regrette que le débat soit si compliqué à tenir. Regret partagé par la ministre de la culture, Rima Abdul Malak, présente à cette table ronde, qui a toutefois rappelé les limites fixées par loi : « On ne peut pas inciter à la haine, à la violence, à l’antisémitisme, au racisme, on ne peut pas promouvoir la pédopornographie, mais c’est au juge de trancher. »

Un débat impossible

Signe de la difficulté du débat et de la division du monde du 9e art sur la question, deux débats se sont tenus le même jour pour évoquer ces questions. Le premier, organisé par deux collectifs féministes sur le thème du sexisme dans la BD, s’est fait sans contradiction mais sans invective, l’ancienne juge pour enfants, Anne-Laure Maduraud, s’indignant notamment que des artistes se dédouanent de tout impact de leurs créations, sans pour autant appeler à leur censure.

Cette dernière était sur toutes les lèvres des invités d’un autre débat sur la représentation de la sexualité dans le 9e art. « Cette affaire dépasse le cas Vivès », a estimé la dessinatrice Coco, ancienne de Charlie Hebdo. « Il s’agit de cette liberté qu’on a de tout dessiner et elle ne doit pas être enfermée par le ressenti des victimes, sinon, on ne peut plus rien représenter.Si une ligne a été franchie, la justice doit en décider et non les réseaux sociaux. »

Une allusion aux attaques lancées sur ces derniers contre des artistes, en sortant des planches de leur contexte, comme en a fait les frais Riad Sattouf, le pourtant très consensuel auteur de L’Arabe du futur, à peine élu grand prix d’Angoulême, mercredi 25 janvier. Lors de son discours, il a lancé ce conseil aux jeunes auteurs : « Méfiez-vous de toutes les idéologies, indignez-vous de toutes les formes d’intimidation et de censure, profitez de la liberté d’expression qui est unique en France, faites des livres et encore des livres ! »

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Les éditeurs indépendants triomphent au palmarès

Le Fauve d’ora été décerné à La Couleur des choses, mélodrame à l’humour noir dont les personnages sont incarnés par des ronds, signé de l’auteur suisse Martin Panchaud chez Çà et là, éditeur indépendant qui rafle deux autres prix, dont celui du public pour Naphtaline, de Sole Otero, passionnante fresque familiale argentine.

Le festival a également décerné des trophées honorifiques aux grands mangakas invités, Junji Ito, maître de l’horreur, Ryoichi Ikegami, vétéran du thriller, et Hajime Isayama, créateur du phénomène L’Attaque des Titans (110 millions d’albums vendus).

Les grands absents de ce palmarès sont les grosses maisons d’éditions, et notamment Casterman (par ailleurs éditeur de Bastien Vivès), en lice avec La Dernière Reine, de Jean-Marc Rochette qui figurait parmi les favoris.