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Festival de Sanremo 2023: Pourquoi l’Italie va se figer devant la télé cinq soirs d’affilée

Chaque année, le même phénomène frappe l’Italie à peine le mois de février entamé. Pendant cinq soirées, le pays se met à l’arrêt, rive son regard à l’écran de télé et n’a d’oreilles que pour le Festival de Sanremo. La grand-messe de la chanson italienne, lancée en 1951 dans cette ville de la côte ligure à une cinquantaine de kilomètres de Nice, est une institution là-bas.

De Domenico Modugno à Zucchero et aux Maneskin, d’Adriano Celentano à Laura Pausini, en passant par Patty Pravo et Eros Ramazotti, la plupart des grandes voix italiennes sont passées par ce concours. Alors, de Ventimille à Lecce, on se rassemble en famille ou entre amis pour suivre en direct la compétition qui s’étire facilement de 21 heures jusqu’à deux ou trois heures du matin.

« Un des moments les plus importants pour l’industrie musicale »

Dès ce mardi et jusqu’à samedi, vingt-huit artistes, débutants, talents en vue ou stars confirmées, se présenteront sur la scène de l’Ariston avec une chanson originale. L’objectif est moins d’y décrocher le trophée que d’y rencontrer le succès. Le chanteur Tananai peut en témoigner : même s’il a fini bon dernier l’an passé, son Sesso Occasionale s’est fait une place dans le Top 40 national annuel des morceaux les plus écoutés. « Sanremo est un des moments les plus importants pour l’industrie musicale italienne. Ces dernières années, les chansons en lice squattent les sommets des classements plusieurs semaines après la compétition », souligne Marta Cagnola, journaliste à la station italienne Radio 24.

Pour la Rai Uno, qui organise et diffuse l’événement, c’est aussi le temps fort et la poule aux œufs d’or. La chaîne enregistre à cette occasion des parts de marché à faire pâlir d’envie ses homologues françaises : 58 % en moyenne (!!!) pour l’édition 2022. L’an passé, 11.3 millions de téléspectateurs (là encore, c’est une moyenne), ont suivi chaque retransmission jusqu’au milieu de la nuit…

Tenter d’expliquer l’engouement de l’Italie pour son festival de Sanremo, c’est toucher en partie à l’irrationnel. « Il est né en 1951 presque par hasard, pour dynamiser la fréquentation de la Riviera hors saison, un peu sur le modèle de la Mostra de Venise. Il a tout de suite eu du succès, d’abord avec sa diffusion à la radio, puis à la télé, parce que c’était l’époque de l’après-guerre, de la reconstruction puis du boom économique et de la démocratisation des 45 tours, explique Marta Cagnola. Dès lors, il a accompagné l’histoire du pays : après les années fastes, la première crise économique, la peur du terrorisme, les années de plomb, la renaissance des années 1980, etc. »

« Sanremo, c’est un rite »

Dans les années 1980, Endrio était enfant, et il a tout de suite plongé dans le bain. « Ce n’était pas vraiment un choix, surtout quand tu viens d’une famille qui respire la musique du matin au soir. J’étais tellement passionné que je n'accordais aucune attention aux critiques de ceux qui disaient que c’était une émission pour les vieux. Ils n’avaient pas tort ! Toto Cutugno, Ricchi e Poveri… Les gloires d’alors étaient très connues en Europe mais pas vraiment appréciés par les jeunes, ni par les radios. Moi, je trouvais l’évènement magique. Je regardais ça avec mes parents, pendant cinq jours. On faisait le classement de nos préférés et nous n’étions pas toujours d’accord », se remémore le quadra italien désormais installé avec son mari au Raincy (Seine-Saint-Denis). Cette année encore, même s'il vit à mille kilomètres de son pays de naissance, il ne manquera aucune des retransmissions et profitera de la finale entre amis.

« Sanremo, c’est un rite. On y trouve les chanteurs les plus aimés du moment, les vieilles gloires qui font leur retour, les mythes vivants qui apparaissent à l’occasion…, reprend Marta Cagnola. Bien sûr, le Festival est aussi très détesté en Italie, comme toutes les choses qui ont du succès et qui suscitent de l’antipathie. » « Pour moi, Sanremo, c’est casse-couilles, je regarde surtout pour tweeter », a réagi ainsi Eugenio à notre appel à témoignages à ce sujet. Marco, lui, estime que l’événement est « surestimé et trop nationaliste-populaire. Tout un pays ne peut pas être à l’arrêt pour un festival musical ». Il ne sait pas encore s’il le suivra ou non cette année.

« Certains disent : "Je n’allumerai pas la télé pour ne pas regarder." Mais c’est impossible de ne pas en être informé par les médias », s’amuse Endrio. Même les JT des chaînes concurrentes de la Rai Uno consacrent pléthore de reportages au concours. Radios, journaux, et sites d’actu sur Internet se mettent aussi à l’heure de Sanremo. Les angles semblent inépuisables : on analyse la compétition, on relaye les rumeurs people, on raconte les polémiques (le concours a connu bien des psychodrames, du plus badin - la disqualification d’un duo - au plus tragique - la mort de Luigi Tenco), on scrute les tenues des artistes et on n’oublie pas d’interviewer les fleuristes qui arrosent l’événement de bouquets colorés - Sanremo n’est pas surnommée « la cité des fleurs » pour rien.

Les politiques n'hésitent jamais non plus à instrumentaliser le concours. Il y a quatre ans, Matteo Salvini, alors ministre de l’Intérieur, avait ouvertement critiqué la victoire de Mahmood, qui s'était imposé grâce aux votes de la salle de presse et non à ceux des téléspectateurs. Il y était allé de son tweet un brin populiste et l'affaire avait pris une telle ampleur qu'elle s'est achevée par une réconcilitation télévisée. Cette année, Maddalena Morgante, députée Ligue du Nord, le même parti d’extrême droite que Salvini, s’en prend à l’un des candidats en lice, Rose Chemical. Elle l’accuse de promouvoir « le sexe, l’amour polygame et la pornographie sur OnlyFans » et s’alarme que cette édition soit « plus gender fluid que jamais ».

« Un festival de l’italianité »

Depuis une décennie, le Festival s’est modernisé. Il commençait à ronronner avec ses canzone sanremese, ces ballades à l’ancienne qui ont longtemps collé son identité. Alors il s’est ouvert à des artistes venus des télécrochets comme X Factor ou The Voice et a permis à des Emma, Francesca Michielin ou Marco Mengoni, désormais stars incontestées de l’autre côté des Alpes, d’y briller. Les récentes victoires de Mahmood (en 2019 et 2022) ou du groupe rock Maneskin (en 2021) ont fini de dépoussiérer le blason du grand raout. Les jeunes Italiens se passionnent comme leurs aînés, composent leurs playlists, commentent à travers les réseaux sociaux et se branchent à l’appli du Fantasanremo, sorte de bingo loufoque et géant.

Pour Mattia, 23 ans, étudiant en communication à Roma, le Festival coïncide avec sa semaine d’examens. « Hélas, je ne verrai donc qu’en entier les deux dernières soirées, mais je regarderai la finale de samedi avec des amis », explique-t-il. « Cette année, plus qu’aucune autre, ce sera le festival de l’italianité. Toutes les générations seront représentées et je crois que cela permettra de donner le reflet de ce qu’est l’Italie d’aujourd’hui, sur le plan culturel ou intergénérationnel. »

« Sanremo a toujours reflété l’humeur de l’Italie, assure de son côté Marta Cagnola. Il suffit de lire les textes des chansons de 1951 à aujourd’hui. Des chansons d’amour
- souvent larmoyantes et sages - des premières éditions aux chansons joyeuses des années 1960 ou à celles, plus protestataires et transgressives, des années 1970, les paroles incarnent toujours l’esprit du temps. Si on se penche sur les livres consacrés au Festival (il y en a un paquet) on se rend compte que ce sont quasiment des livres d’histoire de l’Italie. » Pendant cinq soirées et autant de nuits, c'est donc un pays qui va se contempler. Et s'écouter.