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Fin de vie : pas de déclaration commune mais des « préoccupations partagées » des religions

Dans un long entretien croisé de quatre pages au Journal du Dimanche, les représentants des grandes religions monothéistes en France – le grand rabbin de France Haïm Korsia, le président de la Conférence des évêques de France Éric de Moulins-Beaufort, le recteur de la grande mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz et le président de la Fédération protestante de France Christian Krieger – partagent leurs points de vue sur le débat autour de la fin de vie.

Et les quatre responsables religieux préviennent d’emblée : il n’y aura pas, du moins pour l’instant, de déclaration commune des cultes contre l’euthanasie.

« Pour l’instant, la question est : “Faut-il envisager des changements dans la loi actuelle”. Nous n’anticipons pas », avance Haïm Korsia, tandis que Mgr de Moulins-Beaufort avertit : « Nous ne sommes pas le tribunal des religions qui jugeraient la société ».

« Quel est l’enjeu réel : la souffrance ou la dignité humaine ? »

« Ce n’est pas un front uni, politique, qui voudrait s’imposer, mais un ensemble de préoccupations partagées », développe Chems-eddine Hafiz, conscient qu’« on est sortis de l’idée de religions qui imposaient leur vérité, ce que beaucoup de croyants refusent aujourd’hui ».

C’est donc en attaquant le problème à sa racine philosophique que les responsables religieux se positionnent. « Tout le monde aimerait humaniser la fin de vie et la mort. Mais quel est l’enjeu réel : la souffrance ou la dignité humaine ? », interroge le pasteur Krieger, s’inquiétant d’« une autre vision de la société » centrée sur « la question de la liberté à disposer de soi ». « Pour moi, un warning s’allume quand, d’une philosophie de l’accompagnement de la mort, il est proposé de passer à une philosophie du don de la mort », insiste-t-il.

« On ne peut réduire cette question à sa dimension technique ou juridique »

« Je ne peux comprendre cette schizophrénie d’une société qui, d’un côté dépense des millions pour des campagnes contre le suicide et, de l’autre, en encouragerait une forme déguisée », ajoute le grand rabbin, mettant en garde contre l’« oxymore qui ne peut fonctionner » du « suicide assisté ».

Comme le résume Mgr de Moulins-Beaufort, « notre rôle consiste à faire apparaître qu’on ne peut réduire cette question à sa dimension technique ou juridique, ni à l’inquiétude de médecins qui ne savent pas ce qu’ils auront le droit de faire ou pas ». La question « concerne notre humanité », insiste l’archevêque de Reims.

Et tous de rappeler unanimement l’importance de l’« accompagnement » des mourants, parfois avec de beaux témoignages de fidèles de leurs religions accompagnés par des pasteurs d’autres confessions…

« On peut mourir de sa “belle mort” »

« Accompagner un mourant, c’est vivre le fait d’être démuni », résume le pasteur Krieger, qui a récemment accompagné les derniers moments de son propre père, tandis que le président de l’épiscopat catholique prévient : « il ne faut pas se leurrer : la souffrance devant le fait qu’il faut partir, que les relations vont être rompues, ne peut être supprimée ».

« Mais on peut mourir de sa “belle mort”, accompagné de ses proches, en ayant fait ses adieux, parce qu’on a été aidé à vivre jusqu’à son dernier souffle », explique-t-il.

Quant à la souffrance physique, le grand rabbin Korsia rappelle que « l’idée que personne ne devrait souffrir est intégrée depuis la loi de 2005 qui s’oppose à l’acharnement thérapeutique », tout en regrettant, avec l’archevêque catholique, que les différentes législations sur le sujet ne soient pas réellement appliquées.

« Retrouver un rapport à la mort »

« Les soins palliatifs sont considérés comme le parent pauvre de la médecine », déplore le rabbin tandis que l’archevêque interroge : « Pourquoi ces soins sont-ils sous-développés ? Parce qu’ils coûtent cher ».

« Parce qu’on n’a pas mis en place les structures pour accompagner cela, on en arrive à dire : il faut abréger la vie », constate donc Haïm Korsia. « Mettons en place tout ce qui est prévu par la loi de 2016, augmentons le nombre de lits et de professeurs en soins palliatifs, revalorisons cette discipline », insiste-t-il, rejetant « une société de l’ultra-utilitarisme où tout ce qui n’est pas productif serait gommé ».

« Notre société s’est tellement construite sur l’idée que la dignité se réalisait dans l’autonomie qu’il nous faut réapprendre à vivre notre condition humaine, conclut Éric de Moulins-Beaufort. Retrouver les gestes d’accompagnement de la fin de vie. Retrouver un rapport à la mort et l’accepter, c’est un grand chantier politique, culturel et spirituel. »