
Repro CL
Vous avez déjà exploré plusieurs pans de votre enfance à travers « Cruelle » et « Pucelle ». Dans « Jumelle », vous abordez la gémellité. Pourquoi avez-vous eu envie de partager vos sentiments à ce sujet ?
Ça n’est pas une question que je me pose. Disons que je n’ai pas le choix. C’est l’écriture qui s’impose à moi. C’est un mouvement puissant auquel je dois obéir.
Vous comparez votre relation à votre sœur jumelle à une relation amoureuse…
Oui. Sans passage à l’acte, on va dire, mais on retrouve tout ce qui fait couple.

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Dans le premier tome « Inséparables », quelques fissures apparaissent dans votre relation. Dans « Dépareillées », elles s’élargissent. Et vous semblez le vivre beaucoup plus mal que votre sœur Bénédicte.
J’ai l’impression que je le vis plus mal. C’est un récit subjectif. Je ne parlerai pas à la place de ma sœur mais l’impression qu’elle me donnait, c’est qu’elle vivait mieux cette séparation. Elle avait peut-être plus besoin de partir. Elle était celle qui part et moi j’étais celle qui reste.

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Avant la publication de ces albums, aviez-vous fait part de tous ces ressentis à Bénédicte ?
Non. Nous sommes très pudiques sur tout ce qui concerne notre relation. Je crois que c’est vraiment propre à la gémellité. On imagine qu’on se comprend parfaitement et qu’on n’a pas besoin de la parole. Ça, je l’ai vu chez beaucoup d’autres couples de jumeaux et de jumelles. Cette espèce d’entente parfaite qui va jusqu’au non-dit constant.
Écrire et dessiner au sujet de votre enfance, c’est comme une thérapie ?
Non. La thérapie reste dans la thérapie. C’est une façon de transformer une matière, celle des souvenirs, en quelque chose de très réjouissant pour moi et c’est d’abord un travail d’écriture.

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Vous racontez toujours votre enfance. Avez-vous envie de raconter votre vie d’adulte ?
Oui mais j’ai une grande crainte. J’y vais vraiment avec beaucoup d’angoisse parce qu’on ne représente pas l’enfance de la même manière que l’âge adulte. C’est facile d’aller vers l’humour quand on représente la naïveté de l’enfant et ses premières expériences alors qu’il y a, chez l’adulte, quelque chose de particulièrement ennuyeux. Et c’est donc moins facile à mettre en scène, en tout cas dans le registre que j’embrasse, c’est-à-dire l’humour tragicomique. Ce sera un exercice d’écriture plus délicat.
Vous êtes plutôt dessin à la tablette ou dessin à la main ?
Je n’ai jamais dessiné à la tablette mais j’ai fait de la mise en couleur sur ordinateur. Je ne suis pas fermée à l’exercice même si je le trouve froid. En ce moment, j’ai absolument besoin de remettre les mains dans la boue, d’utiliser des techniques salissantes, des techniques qui laissent énormément de place à l’accident parce que je vois, avec l’IA (l’intelligence artificielle, NDLR) arriver des propositions esthétiques qui vont dans le sens de la froideur.
Il y a, chez l’adulte, quelque chose de particulièrement ennuyeux. Et c’est donc moins facile à mettre en scène.
Vous êtes passée par l’école Emile-Cohl qui a une antenne à Angoulême. Qu’est-ce que ce cursus vous a apporté ?
Ça m’a apporté une formation extrêmement solide en dessin et j’ai pu expérimenter énormément de techniques différentes. Ne pas avoir peur d’utiliser une autre technique pour un projet quel qu’il soit, c’est, pour moi, une richesse. Cette formation, c’est une ouverture d’esprit.
Angoulême, vous connaissez pour y avoir fait plusieurs festivals. Dans une interview à Télérama, vous faites référence aux agressions sexuelles que vous y avez subies il y a plusieurs années de la part d’auteurs de BD… Est-ce que vous avez l’impression que les mentalités ont évolué ?
Il reste encore beaucoup de choses à faire mais les auteurs de BD, je parle des garçons, ont pris conscience de certaines choses. Ou ils se gendarment plus ou ils interviennent plus en disant que c’est inacceptable quand ils sont témoins. Il y a des lignes qui bougent mais il y a toujours des témoignages de jeunes filles qui connaissent ce genre de mésaventures.
Les deux tomes de « Pucelle » avaient été retenus dans la sélection officielle pour le Fauve d’or. Est-ce que vous espérez que « Jumelles » subira le même sort cette année ?
Je suis très partagée sur la question des prix. Ça fait plaisir et, en même temps, c’est très angoissant. Je ne vais pas cracher dans la soupe. Si un album reçoit un prix, c’est formidable mais je sais que, derrière, je vais avoir des problèmes d’écriture. Les mises en avant, les célébrations, les prix, ce sont des formes d’enterrement.
Rencontre avec Florence Dupré la Tour, ce mercredi, à 18 heures, au Musée de la bande dessinée. Gratuit. Réservation sur le site de la Cité de la BD.