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Florence Rigal : « Ce qui est coûteux, c’est le non-accès aux soins »

En 1994, alors toute jeune médecin en internat à Toulouse, Florence Rigal effectuait sa première mission au Rwanda, avec Médecins du monde. Depuis juin dernier, elle partage son temps entre l’hôpital de Montauban, où elle exerce dans un service de soins palliatifs, et l’ONG, dont elle est devenue présidente.

Quels sont les principaux enseignements du rapport 2021 de l’Observatoire de l’accès aux droits et aux soins dans les programmes de Médecins du monde (MDM) en France ?

Depuis 2000, nos constats sont de plus en plus alarmants. En 2021, parmi les 15 355 personnes accueillies en France dans les centres d’accueil de soins et d’orientation (Caso) de Médecins du monde, plus de 97 % sont étrangères. Récemment arrivées dans notre pays, elles ont, à plus de 90 %, des revenus largement inférieurs au seuil de pauvreté (43 % n’ont aucune ressource) et des conditions d’hébergement fragiles, voire inexistantes. D’ailleurs, les médecins de nos centres constatent que les pathologies les plus courantes (maladies respiratoires, de peau, MST, troubles squelettiques, anxiété…) sont principalement liées aux conditions matérielles d’existence des patients : ce sont des hommes et des femmes acculés à la survie, qui souvent nous arrivent tardivement. Un retard de recours aux soins est observé chez près de la moitié d’entre eux et un besoin de prise en charge urgente ou assez urgente a été repéré pour plus de 46 %. La situation des personnes que nous recevons est le symptôme d’un système de santé exsangue, de dispositifs d’hébergement d’urgence délibérément insuffisants, et d’une impossibilité pour les plus fragiles d’accéder physiquement aux guichets administratifs du fait de la « dématérialisation ». L’accès aux droits en santé est de plus en plus compliqué pour ces personnes : en 2021, 81,3 % de celles qui disposent de droits théoriques à la couverture maladie n’en bénéficiaient pas.

Pourtant, le volume du public accueilli par MDM n’augmente pas significativement…

Effectivement, les besoins sont immenses et nous ne souhaitons pas nous substituer à l’État, qui doit y répondre. Faute de moyens, nous avons fermé plusieurs Caso depuis 2016 et les plages d’ouverture de certains autres ont été restreintes. Notre rôle est de donner l’exemple en démontrant qu’un accueil physique inconditionnel et un accompagnement sanitaire et social de qualité sont possibles. Historiquement, c’est sur le modèle de nos Caso qu’ont été mises en place les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) au sein des hôpitaux. Nous avons aussi été à l’initiative des politiques de réduction de risques pour les usagers de drogue et les travailleurs du sexe, et nous ne cessons de militer pour la reconnaissance des travailleurs-pairs en médiation de santé. Nous obtenons ainsi de petites avancées, mais le compte n’y est pas.

Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?

Aujourd’hui, il faut plus de moyens pour l’interprétariat, afin d’éviter erreurs ou retards de diagnostic, faute de compréhension entre soignants et patients. La multiplication des dispositifs de protection sociale réservés aux étrangers et leur complexité en écartent nombre de bénéficiaires, tout en les stigmatisant. Nous réclamons la mise en place d’un système médico-social de droit commun accessible sans délai à tous sans distinction de nationalité et de statut administratif. Il est également urgent de donner aux structures publiques de prise en charge et de prévention (hôpitaux publics, PMI, etc.) des moyens à la hauteur des besoins de santé des populations.

Les sénateurs viennent de se prononcer pour une réduction du budget de l’aide médicale d’État (AME). Qu’en pensez-vous ?

C’est irresponsable et honteux ! Chaque année, les discussions sur l’AME sont l’occasion d’attaques du droit fondamental des personnes à se faire soigner. Espérer contrôler l’immigration par ce biais est inefficace et indigne. De plus, les arguments financiers ne tiennent pas, tant ce dispositif représente une part dérisoire du budget de l’État. Ce qui est coûteux en termes d’éthique et de santé publique, c’est le non-accès aux soins. Laisser la santé des personnes étrangères s’aggraver et amputer leurs chances de pouvoir vivre et travailler normalement sont délétères pour l’ensemble de la société.