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Grand Océan, un festival pour sauver les mers

Non, ce n'est pas un alien qui vous scrute, mais une élégante coquille Saint-Jacques. Si vous avez la patience d'observer l'animal de façon plus scientifique que gastronomique, vous vous apercevrez en effet que c'est elle qui vous regarde de ses… 200 yeux ! On les appelle ocelles. Il s'agit de nano-miroirs concaves qui réfléchissent la lumière vers la rétine de Pecten maximus. Cet organe visuel semble parmi les plus sophistiqués qui soient dans la nature et fait songer à rien de moins qu'à nos propres grands télescopes optiques (1). Surprenant, non ? S'il semble indispensable de protéger la célèbre coquille c'est bien parce que nous apprécions le muscle adducteur et les gonades de l'animal… bien cuisinés. "23.000 tonnes ont pu être pêchées en 2020 en Manche-Est ", rappelle le biologiste Éric Foucher d'Ifremer, à Port-en-Bessin (Calvados), un de ses meilleurs connaisseurs, présent lors de l'événement Grand Océan à Cherbourg (Manche) organisé par Sciences et Avenir-La Recherche et ouvert à tous les 7, 8 et 9 octobre prochains.

72 heures pour découvrir librement et préserver les trésors de notre planète bleue
7 octobre. 16 h : Ouverture, Cité de la mer. Annonce de la "Déclaration Grand Océan", avec l'explorateur Jean-Louis Étienne, la navigatrice Isabelle Autissier… Conférences sur "L'extraordinaire biodiversité de l'océan" avec Gilles Bœuf, ancien président du Muséum national d'histoire naturelle, Catherine Jeandel du CNRS, intervention du prince Albert II de Monaco…
8 octobre. 9 h : Une journée pour découvrir les coraux, les abysses mystérieux, les forêts sous-marines, avec des directs depuis la goélette Tara, le parc marin de Mayotte, les fermes d'algues aux États-Unis et à Zanzibar… Un grand quiz pour petits et grands, un théâtre des abysses en chaise longue et des histoires étonnantes (requins, coquille Saint-Jacques, grand dauphin, monde invisible de l'océan…). Avec le plongeur François Sarano, les biologistes Éric Foucher, Colomban de Vargas…
9 octobre. Grand pique-nique à Saint-Vaast-la-Hougue. Détails du programme et inscription gratuite.

Problème : il ne faudrait pas résumer la protection à apporter à la biodiversité de l'océan à celle de quelques espèces que, nous Terriens, consommons. Qu'elles s'appellent poissons (morue, bar, mérou, thon, sole, requin…) pêchés à plus de 100 millions de tonnes par an selon la FAO, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, crustacés (crabes, crevettes…), mammifères (baleines…), algues… L'océan, "ce sont 250.000 espèces vivantes ", rappelle Gilles Bœuf, professeur à Sorbonne Université et ancien président du Muséum national d'histoire naturelle de Paris, l'une des grandes voix qui défendent la mer et ses richesses. Il sera l'un des ténors de l'ouverture de Grand Océan, avec l'explorateur Jean-Louis Étienne et l'océanographe Catherine Jeandel, copilote du grand programme prioritaire Océan-Climat du CNRS.

C'est rarement lors de nos baignades le long des côtes que nous, grand public, pouvons réellement nous rendre compte de cette diversité. Encore moins lors d'une croisière sur un trop haut bateau, permettant d'apercevoir parfois des dauphins amis ou quelques poissons volants… D'autant que nombre de ces espèces sont… invisibles ou presque !

"L'océan est peuplé d'une multitude de micro-organismes d'une taille allant de 0,01 micromètre à 1 centimètre. Chaque litre d'eau de mer en contient entre 10 et 100 milliards. C'est la même différence d'échelle qu'entre une fourmi et un brontosaure ", explique Romain Troublé, directeur général de la fondation Tara, dont la goélette navigue aujourd'hui au large de l'Afrique, poursuivant depuis décembre 2020 sa "Mission Micro-biomes", autrement dit un tour de l'Amérique du Sud puis une remontée le long des côtes du continent africain vers l'Europe, le tout sur 70.000 km.

L'échange océan-atmosphère est crucial pour le climat

"On ne protège que ce qu'on aime ", souligne Bernard Cauvin, président de la Cité de la mer (lire l'interview ci-contre), citant volontairement le commandant Cousteau, qui fit découvrir aux Français Le Monde du silence depuis la Calypso. À Cherbourg, le plongeur François Sarano, qui fut aussi conseiller scientifique de Jacques Cousteau, racontera ses rencontres avec les requins (indispensables prédateurs) et leurs alliées invisibles, des bactéries digestives extraordinaires, capables de digérer la chitine de la carapace des crustacés… Reste effectivement à faire aimer ces invisibles, dont le nom de microbiome n'est pas encore passé dans les mœurs ! Et quand les plus classiques termes de phytoplancton et zooplancton continuent de garder leur mystère, "dans un pays où on ne parle pas beaucoup de la mer ", s'agace Bernard Cauvin. Pire, à l'heure de la pandémie de Covid-19, comment ne pas effrayer en précisant que tout ce petit monde marin contient moult virus ? "Ils participent au bon équilibre du micro-biome sans tuer leurs hôtes ", insiste-t-on à la Fondation Tara. Quant aux bactéries, nombre d'entre elles aident indirectement l'océan à… respirer. Un échange océan-atmosphère crucial pour réguler le climat.

Outre les phénomènes physiques d'absorption du gaz carbonique par l'immense surface liquide que représente l'océan, tout particulièrement étudié par l'océanologue géochimiste Catherine Jeandel (CNRS, université Toulouse-III, IRD, Cnes), qui l'évoquera à Grand Océan, on a compris toute l'importance des micro-organismes. Le phytoplancton - avec qui nous partageons un tiers de nos gènes, aussi incroyable que cela puisse paraître - pratique la photosynthèse. D'où cette capacité donnée à l'océan d'absorber jusqu'à 25 % du CO2 atmosphérique. Et aussi de fournir 50 % de l'oxygène de la planète. Attention à ne pas détruire par la pollution, par les rejets de millions de tonnes de plastiques, un écosystème global aussi fondamental.

Protéger les récifs coralliens par une meilleure gestion côtière

Le réchauffement est, lui, une menace des plus inquiétantes. "À +2 °C, on perd le corail ", affirme ainsi Gilles Bœuf. Or, les récifs coralliens accueillent une espèce sur trois qui vit en mer. "Selon l'Institut des ressources mondiales, nous aurions déjà perdu 20 à 25 % de ces récifs et 50 % seraient en situation préoccupante ", rappelle Serge Planes, directeur de recherche au CNRS, qui ouvrira la séance consacrée aux coraux. Ce spécialiste mondial prône sans relâche une meilleure gestion côtière pour protéger les récifs coralliens, qui font vivre plus de 500 millions de personnes à travers la pêche ou le tourisme.

Cette interaction fondamentale océan-atmosphère, c'est dans l'océan Austral enserrant le continent antarctique, que le célèbre explorateur des pôles Jean-Louis Étienne veut aller, lui, la mesurer. Cet océan froid, considéré comme le "puits de carbone" le plus important de la planète, demeure très mal connu. Avec le Polar Pod, navire étonnant parce que vertical, "dont le profond tirant d'eau permet d'échapper à l'agitation des cinquantièmes hurlants, nous allons mener des études acoustiques pour établir l'inventaire de la faune marine avec des hydrophones installés à 75 mètres de profondeur ", explique le promoteur de cette nouvelle aventure polaire (4). Une faune encore quasi-inconnue. L'engin pourrait être mis à l'eau dès la fin 2023, début 2024 et la station océanographique internationale installée à bord, coordonnée par le CNRS, en partenariat avec le Cnes et l'Ifremer, commencer d'accueillir les scientifiques. En vue, un recueil de connaissances clés pour la vie de tous les Terriens.