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Guerre en Ukraine : Coincés six mois en Crimée, des enfants ont pu « enfin rentrer à la maison »

De notre envoyée spéciale à Kiev,

Denys trépigne engoncé dans son manteau vert bouteille, sous le soleil éclatant de Kiev. Le père de famille attend fébrilement le retour de ses trois enfants : Diana, 14 ans ; Yana, 11 ans et Nikita, 10 ans. Quand le van noir de l’association Save Ukraine surgit au coin du bâtiment en briques rouges, il se précipite. Le président de l’association, Mykola Kuleba, fait coulisser la portière et Denys ne peut se retenir. Il passe la tête, son regard passant d’un enfant à l’autre dans l’espoir de les apercevoir. Quand soudain, un pull jaune pétant et un sourire désarmant captent son attention. Le benjamin du groupe se jette dans les bras de son père.

Le petit garçon regoûte à une étreinte paternelle qu’il n’avait plus connue depuis six mois. Avec ses sœurs, il était coincé dans une colonie de vacances à Eupatoria en Crimée. « Quand j’ai vu mon papa, je me suis dit que j’allais enfin rentrer à la maison », souffle Nikita, un peu plus tard. La fratrie séparée de sa famille sonne comme un symbole, alors que Kiev accuse Moscou de déporter massivement des enfants ukrainiens. D’après les autorités ukrainiennes, plus de 16.000 enfants ont été enlevés par la Russie depuis le début de l’invasion. Le Kremlin, lui, affirme avoir « sauvé » 733.000 enfants ukrainiens. Vendredi dernier, la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine pour crime de guerre de « déportation illégale » d’enfants ukrainiens.

Des odyssées « dangereuses et extrêmement chères »

« Ce mandat d’arrêt a été émis grâce à des organisations comme nous qui avons documenté ces crimes et alerté l’opinion publique », se félicite le président de Save Ukraine. C’est cette organisation qui a permis le retour de dix-sept enfants originaires des oblasts de Kherson et de Kharkiv ce mercredi. D’après l’association Pour l’Ukraine, leur liberté et la nôtre, moins de 200 enfants ont été récupérés. « C’est dangereux et extrêmement cher de faire ces voyages pour récupérer des enfants déportés. Parfois, des mères trouvent la structure où est retenu leur enfant, s’y présentent mais ne parviennent malheureusement pas à le ramener », explique Mykola Kuleba. Pour récupérer des enfants envoyés en colonie de vacances en Crimée, comme Nikita, il faut faire un grand détour car il est impossible de traverser le front. Et le voyage a duré une bonne semaine à travers la Russie puis la Biélorussie.

Denys et ses trois enfants, après six mois de séparation.
Denys et ses trois enfants, après six mois de séparation. - D. Regny

« C’était dur à la frontière avec la Biélorussie », confesse Diana. « Ça a pris beaucoup de temps, ils ont regardé tous nos documents, ils ont fouillé toutes nos affaires. Et après, on a dû marcher un kilomètre pour traverser la frontière, j’ai encore des courbatures », râle l’aînée de la fratrie. Yula s’est rendue elle-même en Crimée pour récupérer son fils de 12 ans, Maxim. Armée d’une procuration, la mère de famille a aussi ramené trois autres enfants. « Ils ont accepté de me rendre mon fils sans faire d’histoire. Mais j’ai attendu une heure pour les trois autres car ils ont demandé la confirmation de Moscou », explique-t-elle.

« Je m’en veux »

Ces parents, qui vivaient alors sous occupation russe, ont décidé d’envoyer leurs enfants dans des colonies de vacances, poussés par des publicités qui tournaient en boucle à la radio et des professeurs qui le leur conseillaient. « La maîtresse des enfants nous a appelés après une frappe près de leur école. Elle a proposé qu’on les envoie dans un camp de vacances, loin de la guerre. Je pensais que c’était une bonne idée », se remémore Denys. Mais après la contre-offensive ukrainienne, les Russes n’ont pas renvoyé ses enfants à la maison. Yula raconte une histoire similaire.

Yula s'en veut d'avoir laissé partir son fils Maxim.
Yula s'en veut d'avoir laissé partir son fils Maxim. - D. Regny

« J’ai signé une lettre pour qu’il parte en colonie de vacances deux semaines. A l’époque, on était tout le temps cachés au sous-sol à cause des bombardements, il n’y avait pas d’école. Maxim voulait partir, beaucoup d’enfants partaient », se souvient la mère. Le souvenir est douloureux. Yula s’agrippe à sa bouteille d’eau, son fils unique enfin à ses côtés. « Je ne pensais pas que c’était dangereux », souffle-t-elle. « Je m’en veux. Je me repends », dit-elle dans un souffle, le regard vrillé sur ses chaussures. Les enfants ne rapportent aucun mauvais traitement.  « Les professeurs se comportaient normalement même s’ils ne nous ont pas dit pourquoi on ne rentrait pas chez nous. Mais je ne leur ai pas demandé », admet Nikita.

De l’hymne russe à l’absence

Les enfants ont tous dû apprendre l’hymne russe dans cette colonie où des Ukrainiens côtoyaient des Russes et des Polonais. Chaque matin, ils faisaient des exercices en l’écoutant et devaient aussi régulièrement le chanter. Ils se plaignent unanimement des activités qu’on leur imposait du soir au matin. « On n’avait aucun temps libre », fustige Diana. Chant, dessin, football, basketball, volleyball… Les enfants étaient sans cesse occupés par des activités. En revanche, ils n’avaient qu’un contact restreint avec leurs parents. Denys et son épouse, restée dans l’oblast de Kherson avec leur quatrième enfant, âgé de 5 ans et demi, communiquaient épisodiquement avec l’aînée de la fratrie par téléphone.

Mais Yula explique que les échanges avec son fils étaient chaotiques. L’adolescent s’est fait voler son téléphone et sa mère devait passer par le chef d’équipe de la colonie pour obtenir des nouvelles de lui. « Mais ils changeaient tout le temps. Quand j’avais le bon contact, je pouvais lui parler une fois par semaine. Mais quand ce n’était pas le cas, c’était difficile. Parfois, nous ne pouvions discuter qu’une fois par mois », regrette la mère. Un éloignement qui a laissé des traces. « En Crimée, je ne l’ai pas tout de suite reconnu… Il a tellement grandi en six mois », souffle Yula en jetant un regard triste à son fils. L’absence délie les liens, un cauchemar pour tous les parents ukrainiens que la guerre a séparé de leur enfant. Et plus encore pour ceux qui ont été frauduleusement adoptés en Russie et qu’ils craignent de ne jamais retrouver.