France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Guerre en Ukraine : Les attaques de drones sur le sol russe vont-elles « changer la donne » ?

« Nous n’encourageons pas et nous n’aidons pas l’Ukraine à lancer des frappes en Russie. » La déclaration d’Antony Blinken, est limpide. Mardi, le secrétaire d’Etat américain s’est désolidarisé des attaques aux drones perpétrées par l’armée ukrainienne sur le sol russe ces derniers jours. L’attitude de Kiev embarrasse Washington, qui a tout de même réaffirmé son soutien à son allié. D’où viennent ces drones ? Les attaques ciblées marquent-elles un tournant dans la guerre ? 20 Minutes fait le point avec Carole Grimaud, experte à l’Observatoire géostratégique de Genève et spécialiste de la Russie.

C’est quoi ces attaques sur le sol russe ?

Ces derniers jours, l’Ukraine a intensifié sa pression sur le territoire russe. Lundi, le ministère russe de la Défense a déploré des frappes de Kiev avec des drones de « conception soviétique » sur la base aérienne d’Enguels, dans la région de Saratov, et sur la base aérienne de Diaguilevo dans la région de Riazan. Cette dernière est située à seulement 200 kilomètres de Moscou. Le gouvernement russe a indiqué que sa défense antiaérienne avait permis d’intercepter les drones, mais que les débris avaient provoqué « trois morts » et endommagé « légèrement » deux avions de combat.

Mardi, c’est un aérodrome dans la région frontalière de Koursk qui a été touché par un autre projectile. Ce dernier a mis le feu à un réservoir de carburant.

A qui sont ces drones ?

Le journal russe Kommersant a écrit que l’Ukraine avait utilisé des drones soviétiques TU-141 pour frapper notamment, lundi, la base d’Engels, abritant des bombardiers stratégiques et située à 500 km de la frontière ukrainienne la plus proche. Dans la foulée, le ministère britannique de la Défense a envoyé un petit scud à Moscou en estimant que si Kiev avait pu mener une telle opération, le Kremlin devait la considérer comme « l’échec stratégique le plus significatif de protection de ses forces depuis l’invasion de l’Ukraine ».

Si Kiev continue de ne pas revendiquer ces frappes et que le flou persiste, Joe Biden a assuré publiquement ce mardi qu’il n’encourageait pas l’Ukraine à se doter de missiles de longue portée. Quant au Wall Street Journal, il a affirmé que les Etats-Unis avait bridé les missiles Himar afin d’éviter que l’Ukraine ne touche le territoire russe. enfin, Ned Price a fait savoir que Washington fournissait « à l’Ukraine ce dont elle a besoin pour que cela soit utilisé sur son territoire souverain, sur le sol ukrainien, pour affronter l’agresseur russe ». , Le porte-parole de la diplomatie américaine a donc indiqué en creux que l’aide militaire fournie à Kiev (400 millions d’aides américaines, plus de 18 milliards de dollars d’aide de l’UE) n’était pas destinée à l’attaque hors de ses frontières.

« Il s’agirait donc d’un drone de fabrication ukrainienne, estime Carole Grimaud. Les Etats-Unis fournissent des missiles d’artillerie Himar à Kiev. Mais les Ukrainiens demandent depuis des mois d’obtenir une capacité de plus longue portée, en vain. Ils ont décidé de contourner la réserve de Washington en mettant au point leurs propres drones. »

Ces frappes en Russie, encore une escalade du conflit ? 

« C’est une première que l’Ukraine puisse frapper la Russie aussi loin de ses frontières, ça change la donne », analyse Carole Grimaud. Subissant des frappes sur ses infrastructures énergétiques, privent ses civils d’électricité et d’eau en plein hiver, l’Ukraine riposte sur le sol de son ennemi. A l’image de l’attaque de Koursk, les infrastructures sensibles, les réseaux ferroviaires et « tout ce qui pourrait affecter le transport d’armes en Ukraine » pourraient également être ciblés, avance notre experte qui suppose que « les Russes vont probablement renforcer leurs bombardements ».

Et d’ajouter : « Les Ukrainiens ont abîmé des avions russes pouvant transporter des missiles nucléaires Or, dans la doctrine nucléaire de la Russie, toute tentative d’attaque sur leur puissance nucléaire peut déclencher une riposte ». Pas faux. Après les récentes attaques, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a affirmé que « des mesures nécessaires seront prises », sans fournir plus de précisions. Reste que Vladimir Poutine a ce mercredi précisé la doctrine nucléaire russe, assurant qu’il n’utiliserait pas l’arme nucléaire en premier.

Ces attaques de drones peuvent-elles refroidir le soutien des alliés ?

L’Ukraine n’a pas officiellement reconnu les attaques en sol russe. Mais un tweet de Mykhaïlo Podoliak, conseiller de Volodymyr Zelensky, ne laisse que peu de doutes face à l’origine de l’attaque : « La Terre est ronde - découverte faite par Galilée. L’astronomie n’a pas été étudiée au Kremlin, donnant la préférence aux astrologues de la cour. Si c’était le cas, ils le sauraient : si quelque chose est lancé dans l’espace aérien d’autres pays, tôt ou tard, des objets volants inconnus reviendront au point de départ. »

Comme lors de « l’affaire du tir en Pologne », Kiev reste prudente et ne confirme pas être à l’origine des tirs. Reste que ces frappes illustrent les difficultés que rencontre l’invasion déclenchée le 24 février par le président russe, alors que le poids (et la durée) de la guerre commence (aussi) à se faire sentir du côté des alliés de Kiev.  « Pour l’instant, la guerre a été contenue. Les Occidentaux supportent le poids économique du conflit. Se pose toutefois la question de leur puissance militaire potentiellement affaiblie par l’aide apportée à l’Ukraine, détaille Carole Grimaud. Si des actions sont menées en Europe occidentale, ces pays pourraient réagir différemment. »

Et les signaux, bien que faibles, ne sont pas rassurants. Des yeux d’animaux écrasés ont été envoyés à plusieurs ambassades ukrainiennes situées en Europe de l’Ouest. Une lettre piégée a blessé un employé de l’ambassade d’Ukraine à Madrid (Espagne). Mercredi, 25 personnes, parmi lesquelles une ressortissante russe, ont été interpellées à Berlin, accusées d’avoir voulu attaquer les institutions allemandes.

Malgré tout, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Alliance atlantique, a déclaré ce mercredi, que les membres de l’Otan poursuivaient leur fourniture « sans précédent » d’armes et de soutien à l’Ukraine, malgré les inquiétudes sur un éventuel épuisement des stocks occidentaux. De son côté, si le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a affirmé ce lundi que Washington n’aidait « pas l’Ukraine à lancer des frappes en Russie », il a d’emblée tempéré ses propos : « Ce qu’il faut comprendre, c’est que les Ukrainiens vivent chaque jour avec l’agression russe qui se poursuit », a-t-il lâché, accusant Moscou de « faire de l’hiver une arme » en bombardant les infrastructures civiles de l’Ukraine.