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Guerre en Ukraine : « Stratégie de retournement », « inversion du bien et du mal »… On décrypte le discours de Poutine

De la figure de Catherine II au satanisme et à la transidentité, Vladimir Poutine a balayé très large lors d’un discours devant le gotha moscovite au Kremlin, à l’occasion de la cérémonie prévue pour officialiser l’annexion de quatre territoires ukrainiens. L’annonce des résultats des « référendums » et l’hommage aux « héros » qui « se battent pour préserver leur foi, leur langue », n’auront finalement occupé qu’une poignée de minutes sur les presque trois quarts d’heure du discours.

Juste le temps de placer une première saillie sur le fait que « le premier article de l’ONU garantit le droit des peuples à s’autodéterminer ». Le ton était donné, très offensif, avec une posture de chef d’Etat plus démocrate que la démocratie. Un véritable « pied de nez » à la communauté internationale, pour la linguiste Véronique Perry. Mais aussi le premier acte d’une « inversion du bien et du mal » permanente, décrypte pour 20 Minutes le général Vincent Desportes, professeur de stratégie à Sciences Po et HEC. On vous propose d’analyser les trois grandes pirouettes rhétoriques du président russe.

Etre russe ou ne pas être

Devant deux immenses drapeaux, Vladimir Poutine a vite évoqué « l’histoire millénaire » qui lie une partie de l’Ukraine à la Russie. « Pour les personnes qui s’identifient comme russes, il n’y a rien de plus important que de retrouver leur vrai pays » a-t-il ajouté, expliquant que les séparatistes se battaient pour « leur langue ». « Son nationalisme passe par l’essentialisation de la langue, je suis Russe donc je parle russe », et inversement, explique la linguiste Véronique Perry. Mais « tout est patois ; vu l’étendue du pays, c’est impossible qu’il y ait une unification du russe », défend la chercheuse toulousaine.

La définition du peuple et de la culture russe qu’il défend est toutefois bien pratique pour Vladimir Poutine, qui semble ouvrir la porte à d’autres territoires. En effet, il accuse les « représentants soviétiques » d’avoir « détruit notre grand pays et mis le peuple devant le fait accompli » lors de la dissolution de l’URSS en 1991. « Poutine est marqué par la chute de l’URSS. Il veut reconstruire la Russie et la remettre à sa place », affirme le général Vincent Desportes. Quitte à « nier toute forme de changement », selon Véronique Perry. Mais Vladimir Poutine s’en défend encore : il ne veut pas ressusciter l’URSS, « on ne peut pas revenir dans le passé, la Russie n’a pas besoin de ça ». Car le rattachement des régions ukrainiennes est le « choix » des habitants, et que lui ne veut pas apparaître en colonisateur.

La chercheuse toulousaine pointe aussi le moment où Vladimir Poutine interpelle « le pouvoir de Kiev et ses maîtres en Occident », indiquant que les habitants des quatre régions annexées « deviennent nos citoyens pour toujours ». « Il parle tout le temps de supériorité, mais le dominant impose toujours sa culture, sa langue. C’est aussi ce qu’il fait », ajoute-t-elle.

Satanisme, parent 1 et néocolonialisme

Tous les prétextes sont bons pour dépeindre « l’Occident » comme un ogre « barbare ». Face au « néocolonialisme » des Etats-Unis, Vladimir Poutine rappelle que « l’union soviétique a mené le camp de la lutte anticoloniale ». Et même sur les couloirs négociés pour transporter les céréales hors d’Ukraine « sous prétexte d’assurer la sécurité alimentaire du tiers-monde », le président russe affirme que « seul 5 % du blé ukrainien va en Afrique ». « Il est en position de faiblesse à l’international. Même ses alliés en Inde et en Chine sont en train de le lâcher », rappelle Vincent Desportes. « Il cherche une légitimité à tous les niveaux : idéologique, historique, affectif », lâche Véronique Perry.

Pour l’auditeur peu attentif, Vladimir Poutine est peut-être un peu parti en vrille en évoquant soudain, pêle-mêle, « l’extinction des valeurs familiales », la liberté prônée par l’Occident qui « prend le visage du satanisme » et « Est-ce que nous voulons en Russie un parent numéro 1 et un parent numéro 2 ? ». « Il joue sur la peur » d’une « modification de l’ordre patriarcal », dénonce la linguiste Véronique Perry, spécialisée dans les discours sur les catégories de genre et de sexe. Vladimir Poutine veut montrer que « cette guerre est une guerre morale, juste, et que c’est lui le défendeur de valeurs éternelles », selon le général Vincent Desportes.

La guerre, les gazoducs, l’arme nucléaire : à qui la faute ?

Puisqu’il devait forcément aborder le sujet des combats, Vladimir Poutine a aussi rejeté la pierre dans le camp d’en face, appelant « le régime de Kiev à arrêter la guerre qu’il a commencée en 2014 » pour s’asseoir à la table des négociations. « Il est arc-bouté sur ses positions initiales, en retournant la faute de l’agression sur l’attitude des Occidentaux », rappelle Vincent Desportes. « L’Occident cherche à nous détruire, à disloquer notre Etat », dénonce même le président russe. « Il justifie à postériori la mobilisation », explique le professeur de stratégie à Sciences Po, et veut « montrer à la Russie que la nation est en danger ».

Continuant sur l’autoroute de la victimisation, le président russe a aussi rejeté les soupçons qui pèsent sur Moscou quant aux fuites des gazoducs Nord Stream en mer Baltique. Pour lui, c’est évident, le crime profite « aux Anglo-Saxons ». « En organisant des explosions sur les gazoducs internationaux qui longent le fond de la mer Baltique, ils ont en réalité commencé à détruire l’infrastructure énergétique européenne », fustige-t-il. Une « paranoïa » pour Véronique Perry, mais aussi une « tentative de détournement des opinions en Europe », souligne Vincent Portes.

Tout à sa « stratégie de contre-caricature, de retournement », selon les mots de Véronique Perry, le président a poussé son avantage en ciblant les Etats-Unis : « Qui est le seul pays au monde qui a utilisé deux fois l’arme nucléaire ? » Dans le même temps, il prévient que la Russie défendra ses nouveaux territoires « avec toutes ses armes ». « Poutine prépare le terrain à l’emploi de l’arme nucléaire tactique », craint le général Vincent Desportes, « sa dernière carte ». « Dans l’ensemble, ce n’est pas un discours qui rapproche d’une solution pacifique », conclut-il.