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Harkis : « Le temps est venu de mettre fin à l’omerta dans les programmes scolaires »

La Croix : Sur le plan des réparations, où en est-on du traitement des demandes d’indemnisation reçues par votre commission ?

Jean-Marie Bockel : Depuis notre installation le 11 avril, nous avons tenu à traiter les demandes d’indemnisation avec toute la célérité qu’impose le destin tragique des harkis. Les personnes éligibles ont séjourné à leur arrivée en France après 1962, pendant des mois, parfois des années, dans des structures qui étaient en réalité des camps ou des hameaux de forestage. Les dossiers sont instruits par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, avec lequel nous travaillons. À ce jour, nous avons reçu 21 273 dossiers et nous visons 3 000 demandes instruites pour la journée nationale d’hommage aux harkis, ce dimanche. Il y a peu de cas litigieux, quelques dizaines.

L’enjeu majeur est de s’assurer de connaître toutes les structures d’accueil et d’hébergement vers lesquelles ont été dirigés les harkis à leur arrivée en France. On estime que 50 000 personnes sont passées par l’une des 89 structures identifiées de 1962 à 1975.

Que répondez-vous aux critiques d’une partie de la communauté harkie sur le montant de ces réparations ?

J.-M. B. : Les montants peuvent apparaître symboliques : 2 000 € pour trois mois vécus dans un camp, 3 000 pour une année, puis 1 000 € pour chaque année supplémentaire. Mais il faut avoir à l’esprit qu’un peu plus de 21 millions d’euros ont déjà été versés. Je ne crois pas que l’on puisse parler d’aumône.

Mais il est évident que rien ne compensera les souffrances et les humiliations subies par les harkis. Cette indemnisation est avant tout un signe de reconnaissance.

Sur le volet mémoriel, quelle est l’ambition de votre commission ?

J.-M. B. : Notre commission est le fruit de la volonté présidentielle de réconcilier les mémoires dans le prolongement du rapport de Benjamin Stora qui traitait plus généralement de la guerre d’Algérie. Le 15 avril prochain, nous présenterons un rapport à la première ministre avec des propositions concrètes d’amélioration du dispositif de réparation et une brochure contenant les auditions et recueils de témoignage de harkis.

Nous pouvons compter sur l’expertise de trois historiens — Anne Dulphy, Mathias Grégor et Joseph Piccinato — pour documenter la réalité de la vie quotidienne des harkis : leur situation matérielle, mais aussi les restrictions de liberté de circulation, leurs conditions d’accès à l’éducation… En janvier, ces historiens nous feront aussi des propositions pour valoriser l’histoire des harkis. Il existe un petit musée dans la Maison d’histoire et de mémoire d’Ongles (Alpes-de-Haute-Provence). Des entreprises mémorielles plus ambitieuses pourraient voir le jour.

Ferez-vous des préconisations sur l’enseignement de l’histoire des harkis ?

J.-M. B. : Dans l’ensemble, la guerre d’Algérie n’a pas la place qu’elle devrait avoir dans les livres scolaires. À l’intérieur de cette histoire, le chapitre sur les rapatriés et, en particulier les harkis, est absent. Je crois que le temps est venu de mettre fin à l’omerta sur les harkis dans les programmes scolaires. La transmission de ces savoirs historiques n’est pas toujours évidente pour les professeurs qui doivent parfois lutter contre des présupposés communautaires. Il faut réfléchir à une présentation de la guerre d’Algérie où tous les aspects seraient abordés dans leur complexité et leur diversité. Un site Internet recensera bientôt tous les matériaux historiques collectés par la commission. C’est autant de ressources pédagogiques utiles pour les enseignants.

Une collaboration avec des historiens algériens sur la question des harkis est-elle envisageable ?

J. M. B. : Pour l’heure, la position des autorités algériennes est claire : les harkis, c’est une affaire franco-française. Il faut néanmoins souligner le volontarisme des historiens algériens. L’annonce, au mois d’août, de la création d’une commission mixte d’historiens par les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune est une bonne nouvelle. La question de l’accès aux archives se trouve de nouveau sur la table.

En ce qui concerne la commission, j’ai confié un mandat à l’historienne Karima Dirèche pour recenser les actions que nous pourrions mener avec des historiens algériens. S’il y a la possibilité d’établir un dialogue académique suivi des deux côtés de la Méditerranée, nous n’hésiterons pas à le faire.