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Humza Yousaf, le nouveau visage de l’Écosse

Arrivé lundi à la tête du Parti national écossais (SNP), Humza Yousaf, 37 ans, a été élu mardi Premier ministre de l'Écosse par le Parlement d’Edimbourg. Il prend officiellement ses fonctions mercredi, devenant ainsi le plus jeune chef de gouvernement du pays. Retour sur l’ascension fulgurante de ce responsable politique hors-norme - musulman et issu de l'immigration - à l’heure où le combat pour l'indépendance de l’Écosse semble au point mort.

"C'est un jour de fierté pour moi et ma famille, et j'espère que c'est aussi un jour de fierté pour l'Écosse car cela témoigne de nos valeurs en tant que pays alors que je me tiens ici en tant que premier musulman à diriger une nation démocratique occidentale", s'est réjoui avec émotion Humza Yousaf juste après le vote du Parlement, mardi 28 mars.

Le nouveau Premier ministre doit prendre officiellement ses fonctions mercredi après avoir été formellement nommé à ce poste par mandat royal et avoir prêté serment devant la Court of Session, la Cour suprême écossaise.

À 37 ans, il entre dans l'histoire en devenant le plus jeune Premier ministre écossais et l'un des plus jeunes premiers ministres actuellement en fonction dans le monde. Il est aussi musulman, petit-fils d'immigrés pakistanais arrivés en Écosse dans les années 60. Une première là encore à ce poste.

À la suite de la démission surprise de Nicola Sturgeon, le 15 février dernier, après huit ans au pouvoir, les membres du parti indépendantiste écossais (SNP) avaient le choix entre trois candidats pour lui succéder.

Avec 52 % des voix des membres du SNP, Humza Yousaf, jusqu'alors ministre de la Santé, a remporté le deuxième tour du scrutin qui l'opposait à la ministre des Finances, Kate Forbes. "Je suis l'homme le plus chanceux du monde", avait-il alors déclaré ajoutant, peut-être pour rassurer, alors qu’il n'a été élu que par quelque 51 000 membres du parti, qu’il serait "le Premier ministre de toute l'Écosse".

L’incarnation de la ''continuité''

C'est l'aboutissement d'une ascension fulgurante pour Humza Yousaf, l’enfant de Glasgow qui a, tout au long de sa carrière, ouvertement dénoncé les actes et propos racistes dont il a été victime.

Élu pour la première fois membre SNP du parlement écossais en 2011, il devient, à seulement 26 ans, le plus jeune parlementaire jamais élu. L'année suivante, il devient le premier musulman et le premier sud-asiatique à être nommé au gouvernement écossais.

Proche de Nicola Sturgeon, Humza Yousaf a depuis occupé plusieurs postes à responsabilités, notamment en tant que ministre de la Justice et, plus récemment, ministre de la Santé. Il a néanmoins été critiqué pour son bilan au sein du gouvernement. Mais il était malgré cela le favori de l’élite dirigeante du parti dans la course à la direction du SNP. Car, en promettant de poursuivre le programme ''progressiste'' du parti adopté sous la direction de la très populaire Nicola Sturgeon, ce dernier incarnait la ''continuité''.

Officiellement, la Première ministre sortante ne soutenait aucun candidat en particulier mais elle avait tout de même déclaré qu’il était important de ne pas ''jeter le bébé avec l'eau du bain'', une formule interprétée par ses pairs comme un clair signe de soutien à Humza Yousaf.

Divergences sur le mariage gay

Si Humza Yousaf s'est également imposé face à Kate Forbes au sein du SNP, c’est également en partie grâce aux positions controversées de la ministre des Finances, un temps favorite. Sa campagne a en effet bénéficié de plusieurs faux pas de sa principale rivale, dont certains propos très conservateurs ont créé la polémique dans ce parti ancré à gauche.

Cette jeune mère de 32 ans, originaire de la région des Highlands, membre de l'Église libre d’Écosse, s’est opposée au mariage homosexuel et à l'avortement.

Pendant sa campagne, elle a admis que si elle avait été députée en 2014, elle n'aurait pas voté pour légaliser le mariage homosexuel, conformément à sa foi. Une sortie qui lui a coûté plusieurs soutiens parmi les membres du SNP et a connu des échos négatifs dans la presse. L’ancienne ministre des Finances avait également déclaré qu'elle s'opposait personnellement à l'avortement et aux enfants hors mariage, des opinions en total désaccord avec la majorité de l'opinion publique écossaise.

De son côté, Humza Yousaf n’a cessé de soutenir le mariage pour tous et assuré qu’il ne légiférerait jamais sur la base de sa foi musulmane

Kate Forbes avait ensuite tenté de réparer les pots cassés en affirmant que si elle était élue Première ministre, elle "ne reviendrait pas sur des droits déjà existants" et qu’elle "défendrait le droit de chacun dans une société pluraliste et tolérante à vivre et à aimer sans harcèlement ni peur".

Des justifications qui semblent avoir été insuffisantes pour réparer les dommages, analyse Mark McGeoghegan, chercheur à l'Université de Glasgow, spécialiste des mouvements indépendantistes.

Selon Mark McGeoghegan, Kate Forbes avait pourtant de bonnes chances de devenir Première ministre, car elle jouissait de très nombreux soutiens au sein du parti indépendantiste écossais. "Il y a clairement une grosse partie des membres du SNP qui voudraient réformer le parti, beaucoup plus que ce que va faire Humza Yousaf. Si elle (Kate Forbes, NDLR) avait été moins clivante, elle aurait pu faire mieux que lui".

Bras de fer avec Londres

Les divergences des deux champions du SNP sur les questions sociales ne s'arrêtent pas là.

Ancré à gauche et très progressiste sur les questions de société, Humza Yousaf soutient notamment une loi qui veut faciliter le changement de genre pour les jeunes, dès 16 ans et sans avis médical. Une loi qui a été bloquée par le gouvernement britannique. Humza Yousaf s'est engagé à poursuivre Londres en justice pour défendre la légitimité du parlement écossais sur la question.

Les deux autres candidates, Kate Forbes et Ash Regan s'opposaient, elles, au projet de loi. Regan avait d’ailleurs démissionné de son poste de ministre pour protester contre cette “réforme du genre” et les deux concurrentes avaient déclaré qu'elles ne contesteraient pas le veto britannique.

Pour le chercheur Mark McGeoghegan, la position d’Humza Yousaf sur cette loi s'est avérée décisive. "Pendant les débats, Humza Yousaf a utilisé ce désaccord de manière très efficace, pour distancer la nationaliste Kate Forbes. Le refus explicite de cette dernière de contester (le veto du gouvernement britannique NDLR) a permis à Humza Yousaf de se positionner en sauveur en disant : ‘C'est moi qui vais défendre le parlement écossais, c'est moi qui vais défendre les intérêts de l'Écosse’”. 

'My rights have been under attack for many years.'

SNP Leadership Candidate Humza Yousef says the government must fight for the rights of the most marginalised in society in a discussion about the Gender Recognition Bill.

Watch on Global Player | https://t.co/Q8LkG3U10f pic.twitter.com/57enTl9en5

— LBC (@LBC) March 20, 2023

L’impasse de l’indépendance

Humza Yousaf a également promis de faire partie de "la génération qui obtiendra l'indépendance", soutenant que "le peuple" écossais a "besoin de l'indépendance dès maintenant, plus que jamais". Mais le nouveau Premier ministre accède au pouvoir au moment où le combat pour l'indépendance de l’Écosse, au cœur du programme du SNP, semble au point mort.

Aujourd’hui, les sondages montrent que le soutien à l'indépendance de l'Écosse stagne. Selon un sondage YouGov du 13 mars, seulement 46 % des personnes interrogées se prononcent pour l'indépendance, contre 50 % le mois dernier. En incluant les indécis, la proportion chute à 39 %.

Humza Yousaf s'est toutefois engagé lundi à lancer un mouvement populaire en faveur de l'autodétermination, et ce, même si la Cour suprême britannique a jugé l'an dernier impossible d'organiser un nouveau référendum sans l'accord de Londres, qui s'oppose fermement à un tel scrutin.

Le nouveau Premier ministre va devoir redynamiser la campagne pour l'indépendance et "présenter un plan d’attaque pour faire avancer le projet d'indépendance et réussir à convaincre les membres du parti de l'approuver”, explique Mark McGeoghegan. "Ce n’est pas une question de qui est à la tête du pays : Holyrood, le parlement écossais, n’a en fait pas le pouvoir d’organiser un référendum ou de déclarer l'indépendance de l'Écosse. Tous les pouvoirs sont à Westminster", continue le chercheur pour qui la seule arme dont dispose le pays est la “pression politique sur le long terme”.

Crise du coût de la vie

Face aux députés, Humza Yousaf a rendu hommage mardi à Nicola Sturgeon, qui avait officiellement adressé le matin même, sa lettre de démission à Charles III.

"Elle sera difficile à remplacer", a-t-il affirmé, promettant de "continuer à veiller à ce que l'Écosse ait une voix progressiste sur la scène mondiale". Humza Yousaf assume des positions ancrées à gauche sur l'économie, souhaitant par exemple augmenter les impôts des plus riches en Ecosse, qui compte 5,5 millions d'habitants.

Sa tâche s'annonce ardue, soulignent mardi les journaux britanniques. En pleine crise du coût de la vie, Humza Yousaf hérite d'un mandat difficile et va devoir faire face à des défis majeurs : réduire l'inflation, la flambée du coût de la vie et résoudre les problèmes d'attente dans le système de santé.

Le nouveau chef du gouvernement écossais va devoir aussi surmonter les vives critiques sur son bilan au pouvoir, en particulier en tant que ministre de la Santé, les temps d'attente dans les hôpitaux ayant atteint des records sous son mandat. 

Pour James Mitchell, professeur de politique publique à l'Université d'Édimbourg, "Il arrive dans une position très difficile. La population ne lui fait pas confiance et ne l’estime pas compétent". Pour James Mitchell, le SNP va se retrouver "sur la défensive, avec un chef faible, qui n'a pas connu un très grand succès en tant que ministre.” Un récent sondage Ipsos-Mori ne lui donne d’ailleurs que 22 % d’opinion favorable dans la population écossaise.