France
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« Il faut dégonfler le mythe d’une France trop attractive en matière d’asile »

La Croix : Le « grand déni de l’immigration » titre votre ouvrage, et non le « grand remplacement ». Qu’entendez-vous par « déni » ?

François Héran : La migration progresse partout dans le monde, donc en Europe aussi, sauf dans les pays illibéraux, comme la Hongrie. Nous connaissons une lame de fond migratoire, soutenue, permanente. Ce n’est donc pas un accident soudain.

Or certains politiques de droite ou d’extrême droite annoncent le « grand remplacement » de manière outrancière (tsunami, submersion…) qui ne correspond pas à la vérité. La France est une terre d’immigration, qu’on le veuille ou non. Il n’y a guère de sens à être « pour » ou « contre » un phénomène social aussi fondamental que l’immigration, il faut faire avec.

Mais pour ces politiques, justement, la France serait plus exposée que d’autres pays pour l’immigration…

F. H. : Regardons les chiffres. Selon moi, il est raisonnable de penser que les immigrés représentent 11 à 12 % de la population de la France. Soit deux fois plus qu’en 1950, et cela ne comprend pas la seconde génération. Donc il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France.

C’est le résultat d’une tendance cumulative, observée sans discontinuer depuis 2000. Cela dit, par rapport aux autres pays d’Europe de l’Ouest, la France est plutôt en retrait. Elle s’est notamment largement laissé devancer par l’Allemagne. Il faut dégonfler le mythe d’une France trop attractive en matière d’asile. Nous sommes plutôt dans une position médiane…

Pourquoi dès lors ces volontés successives de réforme des dispositifs migratoires ?

F. H. : Chaque nouvelle majorité qui arrive semble persuadée que les précédentes n’ont rien fait, et qu’elle va parvenir à stopper la migration. Mais on a beau mettre des kilomètres de barbelés autour de Calais, il y a toujours plus de traversées sur la Manche. En réalité, cette vision d’un cataclysme migratoire traduit surtout le désarroi d’une administration locale mal préparée.

L’hospitalité offerte aux Ukrainiens montre que c’est possible d’accueillir à la hauteur de notre pays, quand on veut. Cela avait d’ailleurs déjà été le cas lors de l’accueil des boat people, entre 1979 et 1989. Et que veut-on diminuer ? On contient l’immigration familiale, là encore, contrairement à certains slogans politiques faciles. Mais peut-on encore plus réduire le flux des étudiants alors que l’on proclame vouloir encourager la francophonie ? De même, pour les migrations économiques, les « passeports talents » initiés par Manuel Valls nous ont permis de nous rapprocher de ce que font d’autres pays d’Europe, en liant mieux immigration et économie.

Justement, l’immigration pour l’économie, c’est un des points sur lesquels le gouvernement semble vouloir aller plus loin…

F. H. : Le projet immigration actuellement porté par Gérald Darmanin et Olivier Dussopt parle d’une intégration par la langue et le travail. Mais ce ne peut être une condition pour obtenir un titre de séjour de plus d’un an. Car l’apprentissage de la langue et l’exercice d’un métier s’inscrivent tous les deux dans la durée. Sur le travail, la gauche ferait une erreur énorme si elle restait dans l’obstruction lors du débat parlementaire. Il faut consolider la circulaire Valls, car certaines préfectures ne l’appliquent pas. Si la gauche était responsable, elle miserait sur l’amélioration de ce principe. Mais si on limite ces autorisations aux « métiers en tension », les critères seraient si restrictifs que les effectifs seraient dérisoires.

Pour autant, les Français sont inquiets…

F. H. : Il y a une peur, et elle est fortement entretenue. Ainsi, deux tiers des Français disent qu’il y a trop d’immigrés. Mais ces chiffres du ressenti diffèrent beaucoup selon le degré de précision des questions, comme le montrent certaines études plus fines. Ces inquiétudes ne doivent pas être le cœur de la politique migratoire.

Une politique migratoire, c’est savoir anticiper les flux en cas de gros conflits, et pouvoir mettre les moyens nécessaires pour mettre fin à des procédures kafkaïennes qui plongent dans l’irrégularité des immigrés qui étaient en situation régulière. Dommage, enfin, qu’il n’y ait jamais eu un discours politique pour expliquer tout ce que l’on doit à l’immigration.

Vous citez plusieurs rapports qui montrent que les administrations sont débordées…

F. H. : Le ressort principal des lois d’origine gouvernementale, ce sont en réalité les demandes d’une administration débordée. C’est toute la question de la baisse dramatique des effectifs dans les préfectures pour traiter les dossiers. Gérald Darmanin est d’ailleurs le premier des ministres de l’intérieur à avoir obtenu de stopper cette diminution. Un rapport de la Cour des comptes a montré par exemple que 47 % des employés du bureau de l’asile à la préfecture de Nanterre étaient des vacataires. C’est donc largement la précarité qui gère la précarité…

On éprouve un sentiment d’impuissance face à la politique migratoire…

F. H. : On ne s’est pas donné les moyens d’une vraie politique migratoire. Pour l’instant, la politique migratoire se réduit surtout à des mesures fermes et plus dures tenant aux conditions de ressources. On s’en prend aux passeurs.

Mais quand on réduit les voies de passage, on suscite un marché du passage, et donc on encourage ces trafiquants de la pire espèce… La voie irrégulière est dangereuse. Mais la voie régulière est aussi semée d’embûches. Cette façon de « dualiser » la politique entre le régulier et l’irrégulier ne correspond à rien.

Vous parlez du « grand renouvellement » nécessaire. N’est-ce pas un peu « provoc », dans un pays comme le nôtre où les tensions sont si fortes ?

F. H. : J’utilise l’expression pour contrer cette illusion de continuité historique, « la France doit rester la France ». En réalité, la population se renouvelle constamment. Et notre image de l’identité nationale ne cesse en réalité de s’élargir. Nous ne devons pas « minoriser les minorités » mais tout faire pour qu’elles s’intègrent. Chez certains politiques, il y a comme une volonté d’arrêter le temps, voire de revenir en arrière…

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