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« Il faut que les projets d'énergies renouvelables soient vécus comme des chances pour les territoires », Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique

ENTRETIEN VIDÉO : Transition énergétique : Time to Accelerate

Replay de l'interview avec Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, lors du Transition Forum organisé par La Tribune, jeudi 29 septembre 2022.

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LA TRIBUNE - Avec la guerre entre la Russie et l'Ukraine, l'Europe se retrouve dans une situation grave : cet hiver et l'an prochain, aura-t-on assez d'énergie pour produire, consommer et se chauffer ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER - Je suis beaucoup plus confiante aujourd'hui qu'il y a quatre mois. Pour plusieurs raisons. Sur les aspects gaziers, toutes les mesures que nous avons mises en place depuis février, avec nos stockages stratégiques, avec l'augmentation de la capacité de traitement de nos terminaux gaziers, avec l'arrivée de gaz par gazoduc depuis la Norvège, avec les interconnexions avec l'Espagne, font qu'aujourd'hui, nous abordons l'hiver avec le meilleur niveau de préparation possible. Non seulement en France, mais également au niveau européen. Même l'Allemagne, qui s'inquiétait de ne pas pouvoir remplir ses stocks de gaz, a réussi à dépasser 80% de remplissage début septembre.

Sur le sujet de l'électricité, nous avons une fragilité sur nos capacités hydroélectriques, du fait de la sécheresse, et sur nos capacités de production nucléaire. Puisque là où nous avons, sur le papier, d'énormes capacités de production, nous avons une partie importante de nos centrales nucléaires à l'arrêt pour maintenance, ou pour un phénomène de corrosion sous contrainte. Mais on a un calendrier de travaux. Selon RTE, si nous avons un scénario conservateur sur notre production d'électricité, si cet hiver ressemble à celui de l'an dernier, la France pourra passer cette période sans coupures. Si on connaît un hiver au niveau de ceux les plus froids de ces 30 dernières années, on risque de connaître un déséquilibre entre offre et demande d'électricité. Mais nous avons un plan de crise pour y répondre : baisse de tension, appel d'électricité venant des pays voisins. Je rappelle que l'Allemagne a pris la décision historique de continuer à opérer ses centrales nucléaires pour, notamment, soulager le réseau électrique français. C'est une négociation que nous avons menée. Nous leur donnons du gaz, ils nous renvoient de l'électricité.

C'est paradoxal que l'Allemagne, qui avait abandonné le nucléaire, décide de le conserver pour nous.

Parfois les choses évoluent dans le bon sens, celui de la raison et de la décarbonation.

Sur les plans de sobriété, les entreprises ont joué le jeu, mais elles sont très inquiètes. Certaines ont déjà des difficultés et sont au chômage partiel. Duralex étant le cas le plus connu.

Il y a deux sujets. Sur celui de l'accès à l'électricité et au gaz, on peut avoir des tensions ponctuelles, de deux heures, mais avec un délai pour prévenir les entreprises. Et il y a le sujet du prix. Notre travail consiste à agir au niveau européen. Je suis en contact constant avec mes homologues européens, pour faire baisser le prix du gaz et de l'électricité et ne pas être dans une situation où les arrêts sont dictés par leurs prix.

Et puis nous travaillons sur une sobriété choisie. Une sobriété avec un objectif de décarbonation de notre économie. Là, les entreprises jouent le jeu. Il ne s'agit pas pour elles de baisser leur capacité de production. Il s'agit de piloter mieux le chauffage, la ventilation, éventuellement l'organisation du travail. De faire des étapes. De travailler 3 jours pour faire la même étape et ne pas allumer et éteindre les fours tous les jours. Ce sont des gains comme ça qu'on doit aller chercher. Toutes les entreprises ne sont pas au même niveau, mais le 6 octobre, nous aurons avec la Première Ministre des engagements de la part des entreprises, du secteur de la distribution, du logement, du monde du sport, des commerçants, de la culture... Et au premier chef un plan sobriété de l'Etat. Nous serons exemplaires en la matière.

Dans l'immobilier de bureau, une température de 19 degrés, cela ne va pas plaire. Le télétravail peut-il être envisagé comme solution ?

Pour répondre à cette question du télétravail, je vais faire des tests. Le week-end du 1er novembre, on a la possibilité d'avoir 4 jours consécutifs de fermeture des bureaux, et de faire un exercice de fermeture de quelques sites du ministère de la transition énergétique. On a des bureaux à la Défense, des passoires thermiques dans le centre de Paris. On peut fermer des bâtiments et voir concrètement ce que cela rapporte et quel est le retour de nos agents qui seront en télétravail à la maison. Est-ce qu'ils vont nous dire que cela consomme beaucoup plus d'électricité ou juste un peu plus d'éclairage. Et quel sera leur retour en termes de confort et de condition de travail. Le télétravail n'est pas la recette absolue. Cela ne marche que si cela permet plusieurs jours de fermeture des bâtiments et plus du tout de chauffage pendant plusieurs jours.

Cela déplace la charge de l'énergie sur le salarié.

Cela peut être accompagné. L'Etat employeur prévoit une compensation.

Mais une TPE n'a pas toujours les moyens de chauffer son salarié...

Pourquoi pas, si elle fait une économie d'énergie. L'Etat verse une compensation de 2,5 euros par jour et par salarié. L'enjeu, c'est que ce soit gagnant. On ne va pas renvoyer les gens à la maison si à la fin on dépense plus d'énergie. Cela n'a de sens que si l'économie sur la facture est réelle et massive. D'où l'enjeu des expérimentations, pour voir précisément ce qu'il en est.

Le plan de sobriété rejoint l'objectif de la transition. Le gouvernement a demandé 10% d'économie sur 2 ans : c'est un premier pas pour atteindre les 40% de consommation en moins nécessaires d'ici 2050 pour obtenir la neutralité carbone. Est-ce qu'il n'y a pas dans le message du gouvernement une sorte de décalage. Ce n'est pas pour quelques mois que l'on va mettre des cols roulés l'hiver, mais pour longtemps qu'il va falloir changer nos modes de vie.

C'est pour cela que nous portons le plan de sobriété d'abord au niveau des grandes entreprises et des grandes institutions, qui sont à l'origine de la majorité des déplacements domicile-travail, et au sein de nos activités, qu'il s'agisse de services publics ou d'entreprises. Et c'est aussi pour cela, que nous mobilisons le levier de la sobriété, comme étant des démarches volontaires. Ce ne sont pas des démarches imposées. C'est un travail qui part du terrain, qui est adapté, structure par structure.

Cela peut être imposé par le prix de l'énergie...

Oui, mais c'est là où vous êtes justement sur la contrainte. Nous voulons une sobriété choisie. Chauffer les locaux à 19 degrés, cela a un intérêt au regard du changement climatique, au regard de la consommation que vous réduisez, et cela vous épargne d'utiliser des énergies fossiles. Aujourd'hui, deux tiers de l'énergie utilisée est d'origine fossile. Cela a un impact en termes de pouvoir d'achat et de compétitivité des entreprises. C'est aussi une dépendance géopolitique qui pose un problème. Ce qui s'est passé avec Nord Stream et la situation très tendue avec la Russie, c'est une attaque contre le modèle européen et nos valeurs démocratiques.

Poutine a déclaré que l'Occident était en train de s'effondrer

On pressent qu'il aimerait bien que cela arrive. Mais la sobriété, c'est aussi un combat pour lutter contre le changement climatique. Elle a vocation à durer, et c'était dans le discours du Président de la République avant même la guerre en Ukraine. Et on a un deuxième enjeu qui est l'efficacité énergétique. Quand vous rénovez une université qui est une passoire thermique et que vous divisez par dix la consommation d'énergie, vous faites un saut quantique en matière de consommation d'énergie. Nous allons avoir, dans la façon de nous éclairer, de nous déplacer et de nous chauffer, des gains basés sur l'innovation et sur le recours à des énergies nouvelles qui nous permettront, aussi, de sortir de la dépendance aux énergies fossiles.

Il y a des piscines municipales qui ont fermé, certaines stations de ski s'inquiètent. Les populations sont en train de se rendre compte que la sobriété c'est pour longtemps. Emmanuel Macron a fait peur en parlant de fin de « l'abondance »...

Le terme sobriété peut faire peur. Il faut mettre en avant les bénéfices partagés de cette sobriété. Quand on parle chasse au gaspi, de mesures de bon sens, tout le monde comprend et approuve. Les co bénéfices sont nombreux. Un certain nombre de médecins expliquent que chauffer à 19 degrés dans les logements, c'est la température qui devrait être naturelle pour les enfants. Cela devrait même être plus froid la nuit. Il faut juste se déshabituer de certains comportements qui nous ont amené à faire des choses qui ne sont pas forcément dans notre intérêt collectif et individuel.

Vous venez de présenter votre projet de loi sur l'accélération de la production des énergies renouvelables et une autre arrive sur le nucléaire. Quelles sont les grandes contraintes à lever pour produire plus et mieux d'électricité ?

Aujourd'hui, on constate que pour lancer des projets sur les énergies renouvelables, on met deux fois plus de temps que les autres pays européens. Ce n'est pas une volonté politique. On a à peu près le même nombre de projets. C'est une question de durée des projets. On a mis 11 ans pour les éoliennes en mer de Saint Nazaire, là où nos voisins mettent 5 ans et on peut difficilement dire que les pays de la Baltique n'ont pas d'exigences environnementales. Ce serait faux de le dire. L'enjeu, c'est de regarder tous les grains de sable qui, en France, bloquent ces projets d'énergies renouvelables ou de nucléaire. Le projet de loi nucléaire que je vais présenter au Conseil des ministres vise aussi à faciliter, à accélérer les procédures administratives. Ces grains de sable sont de différents ordres. C'est d'abord la mobilisation de nos services de l'Etat sur le terrain. Il faut en faire une priorité. Il faut renforcer les effectifs qui ont parfois pu manquer.

Vous pensez aux soudeurs qui manquent chez EDF ?

Non, là je parle des équipes d'instruction des projets d'énergies renouvelables. Il faut aussi mieux anticiper avec les collectivités locales et mieux planifier les installations qui, si elles apparaissent du jour au lendemain, peuvent générer un manque d'acceptation sociale, pour embarquer tout le monde dans les projets. Il n'y a pas de projet qui arrive de manière erratique.

La hausse des prix de l'énergie va-t-elle aider à l'acceptabilité sociale ?

Cela va certainement aider. Quand on sait que les énergies renouvelables contribuent à hauteur de plus de 20 milliards d'euros à notre prochain budget et que c'est grâce à cela aussi qu'on finance le bouclier énergétique, tout le monde voit que les énergies renouvelables sont compétitives.

C'est un équilibre difficile à trouver. Comment rendre la transition juste ?

C'est pour cela qu'on a pris des mesures qui à court terme protègent les Français qui sont prisonniers des énergies fossiles, qui ne peuvent pas changer du jour au lendemain leur voiture ou leur logement, et qui habitent dans des zones où ils sont obligés d'utiliser leur véhicule. Ce sont les remises carburant que nous avons mises en place, le bouclier gaz et électricité qui font que la France est le pays le mieux protégé au monde s'agissant du coût de l'électricité, du gaz et du carburant pour les ménages. Et dans le même temps, on accélère la transition énergétique. C'est cette double démarche qu'il faut mener en même temps, cela ne vous surprendra pas. Aider les gens à court et à moyen terme et ne pas dévier de notre trajectoire de lutte contre le réchauffement climatique.

Dans votre projet de loi, vous envisagez d'installer plus d'énergies renouvelables sur les parkings, les aires d'autoroutes. Il faut faire preuve de plus d'imagination pour rendre la transition énergétique possible ?

On s'est aperçu qu'il était impossible de mettre des panneaux photovoltaïques au bord des autoroutes, parce qu'il y a une règle qui interdit de positionner des installations au bord de ces routes. Il faut changer cette règle. Il y a un potentiel très important. On peut aussi en installer au bord des voies ferrées, sur des grands parkings ou d'anciennes décharges positionnées sur le littoral. On enlève la décharge et comme on ne peut pas construire de bâtiments sur une ancienne décharge, on y met une installation d'énergie renouvelable. On utilise un foncier qui a peu d'intérêt environnemental et sur lequel on peut aller vite.

Le projet de loi propose aussi de renforcer le partage de la valeur avec les collectivités locales et les populations. Cette incitation économique, c'est une des façons de vaincre les résistances en faisant payer moins cher l'énergie à ceux qui acceptent d'avoir un méthaniseur ou un parc éolien proche de chez eux ?

Tout à fait. L'enjeu derrière cet article sur le partage de la valeur, c'est de se dire qu'il faut que les projets d'énergies renouvelables soient vécus comme des chances pour les territoires. Et pour cela, il faut qu'il y ait une retombée qui concerne très directement les habitants et les collectivités locales. Il y a plusieurs moyens de le faire. S'agissant des éoliennes terrestres, il y a une fiscalité propre qui est partagée. Mais ce n'est pas vrai pour toutes les énergies renouvelables. Nous voulons mettre cette question sur la table. Pour le moment, il n'y a pas eu de retour directement pour les habitants. Il nous paraît intéressant que, dans l'appropriation des différents types d'énergies renouvelables, les habitants puissent se dire : grâce à cette installation, je paye moins cher ma facture. C'est ce qu'on retrouve dans les réseaux de chaleur. Vous en bénéficiez et vous payez la facture en fonction de la compétitivité du réseau de chaleur. Il y a un retour direct aux habitants. C'est un peu la même démarche qu'on veut mettre en place, mais avec des projets de type photovoltaïque, éolien terrestre, ou biogaz.

Luc Rémont, un dirigeant de Schneider Electric, vient d'être nommé PDG d'EDF. Qu'allez-vous lui donner comme mission prioritaire ?

Je dirai à ce grand professionnel que je connais depuis des années, et avec qui j'ai eu la chance de travailler à quelques reprises, que l'enjeu est d'abord celui de l'excellence industrielle, avec la question du pilotage du parc nucléaire. Vous savez qu'à la demande de Barbara Pompili, un audit avait été mené sur sa maintenance, porté par des professionnels du secteur nucléaire et d'autres secteurs industriels. Cela avait donné lieu à beaucoup de propositions, qui sont aujourd'hui mises en œuvre par EDF. La conduite de ce programme d'excellence opérationnelle peut permettre de gagner, d'ici 3 à 5 ans, 3 à 4 semaines par arrêt, en moyenne. C'est beaucoup.

Il y a également tout le travail à faire sur la prolongation des centrales nucléaires. Elles ont été construites à la fin des années 70 et au début des années 80, pour 40 ans. On les prolonge une première fois de 10 ans. Et quand il faudra les prolonger jusqu'à 60 ans, rien ne dit qu'elles pourront toutes l'être en sécurité. Il y a un vrai enjeu industriel et d'anticipation.

Et puis, le patron d'EDF aura à porter le nouveau programme de centrales nucléaires annoncé par le président de la République. Mais il n'y a pas que le nucléaire. Il y a aussi tout l'hydraulique, tous les réseaux électriques de RTE et d'Enedis, où il y a des investissements importants à faire. Notamment pour anticiper le réchauffement climatique, car des réseaux avec une température de 40 degrés, cela fonctionne moins bien qu'à 20 degrés. Voilà tous les enjeux que je souhaite que le nouveau PDG d'EDF conduise avec ses équipes. Il y a énormément de compétences chez EDF, et il y a un plan de recrutement et de montée en charge important. Il faut que l'Etat soit en appui. Vous mentionniez les soudeurs tout à l'heure, ce n'est pas une question anecdotique... et c'est un enjeu crucial de formation aux métiers de l'énergie.