Photo Renaud Joubert
Par David GAUTHIER - d.gauthier@charentelibre.fr, publié le 7 février 2023 à 19h45.
La société Flamand fut placée en redressement judiciaire il y a pile 30 ans. La fin d’une épopée industrielle, qui rassembla jusqu’à 500 salariés et fit d’Angoulême la capitale française du bijou en or.
Je travaillais dans les rangs du fond, là-bas », pointe du bout du doigt Claude Prineau, sur une photographie en noir et blanc représentant des dizaines de bijoutiers, penchés sur leurs établis en bois. « Je fabriquais beaucoup de gourmettes en argent pour les hommes, jusqu’en 1993 et cet épisode dramatique… » La voix de l’ex-salarié de Flamand se brise. 30 ans après, la douleur est toujours aussi vive pour évoquer le naufrage de ce fleuron de l’artisanat local. Après l’industrie papetière ou les moteurs de Leroy Sommer, Angoulême fut dans les années 70 et 80 la capitale des bijoux en or grâce à la société Flamand -premier fabriquant français-, qui...
Je travaillais dans les rangs du fond, là-bas », pointe du bout du doigt Claude Prineau, sur une photographie en noir et blanc représentant des dizaines de bijoutiers, penchés sur leurs établis en bois. « Je fabriquais beaucoup de gourmettes en argent pour les hommes, jusqu’en 1993 et cet épisode dramatique… » La voix de l’ex-salarié de Flamand se brise. 30 ans après, la douleur est toujours aussi vive pour évoquer le naufrage de ce fleuron de l’artisanat local. Après l’industrie papetière ou les moteurs de Leroy Sommer, Angoulême fut dans les années 70 et 80 la capitale des bijoux en or grâce à la société Flamand -premier fabriquant français-, qui fournissait les prestigieuses boutiques de la place Vendôme à Paris.
Les chiffres étaient faramineux : jusqu’à 500 salariés répartis entre les ateliers rue de Montmoreau et les bureaux rue de Périgueux (occupés aujourd’hui par les douanes) ; un chiffre d’affaires de 185 millions d’euros en 1983, quand la gestion des frères jumeaux Paul et François Flamand ouvrait sans cesse de nouveaux marchés… Jusqu’au redressement judiciaire, prononcé il y a pile 30 ans, en février 1993, qui marqua la fin d’une épopée industrielle.
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« Il y a des repreneurs mais beaucoup de crocodiles »
La chute fut à la hauteur de l’ascension : vertigineuse, brutale et bruyante. Elle jeta des centaines de salariés - tourneur, dessinateur, fondeur, sertisseur…-, devant les grilles de la préfecture, dans le bureau du député-maire Georges Chavanes ou sur les marches du tribunal de commerce. En sursis, ils venaient s’enquérir chaque semaine au tribunal d’une éventuelle reprise. Claude Prineau en était : « On nous disait : « Il y a des repreneurs mais beaucoup de crocodiles ». Deux clans se sont alors formés : ceux qui voulaient accepter n’importe quoi, à n’importe quel prix. Et les seconds qui connaissaient la valeur des choses », glisse-t-il.
On n’a pas eu le temps de dire ouf !
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Comment Flamand en était-il arrivé là, avec un endettement de 371 millions de francs et plus assez de matière première -or, pierres précieuses- pour assurer les commandes ? « Les variations du prix de l’or, la crise économique, les délocalisations et la concurrence internationale », liste Philippe Bouasse, le directeur de la manufacture de la Société angoumoisine de bijouterie (SBA). Une entreprise créée en 1993, sur les cendres de Flamand, par cinq anciens cadres. Ils ont repris du matériel et une partie des ateliers de la rue de Montmoreau, ainsi qu’une vingtaine de collègues. Philippe Bouasse n’a pas connu l’époque Flamand, mais il s’est passionné pour ce patrimoine et a compilé un nombre impressionnant de documents, dont des articles de Charente Libre.
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Des Israéliens s’envolent avec un joli magot
Les derniers mois de Flamand traduisent une confusion générale, illustrée par un épisode rocambolesque, survenu plusieurs mois avant le redressement judiciaire. Il a semble-t-il fini d’achever la société : en novembre 1992, des représentants de la compagnie Israël Diamond Center font irruption dans les bureaux angoumoisins. « Ils ont pris les commandes, ont joué aux patrons à la place des patrons et sont partis à nouveau sans crier gare en emportant - si l’on en croit les salariés- quelques collections et diverses garanties pour un montant de 28 millions de francs », écrivait notre collègue Patrick Servant, dans notre édition du 25 février 1993.
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« Ils sont partis avec ce que l’on appelait les marmottes des représentants, des collections de A à Z, confirme Martine Dereix, dessinatrice de 1981 à 1993. Ça a déclenché pas mal de choses… » Elle décrit un beau gâchis et une ambiance « tendue », peu propice aux compromis : la proposition de reprise de Nadia Barry, belle-fille de Paul Barry qui avait succédé à Georges Chavanes à la tête de Leroy Somer, est ainsi rejetée par les syndicats. Elle passait par la suppression de 150 emplois sur les 370 restants.
Claude Mathés a elle aussi été surprise. « On n’a pas eu le temps de dire ouf ! » Mais elle préfère garder en mémoire ce kaléidoscope de couleurs, toutes ces pierres précieuses qui glissaient chaque jour entre ses doigts experts. « On les recevait de Paris, Lyon et la Suisse. J’étais chargée de les trier en fonction de leur pureté : les pures, des petits crapauds blancs, et les petits crapauds noirs. J’en ai brassées en 23 ans, s’amuse-t-elle en manipulant avec toujours autant d’aisance sa loupe et sa précelle (sorte de pince à épiler). C’était magique… On n’était pas pressés de débaucher le soir ! »
Ce patrimoine industriel remarquable pourrait bientôt faire l’objet d’une exposition d’ampleur, pourquoi pas au Musée du papier : le maire d’Angoulême Xavier Bonnefont a rencontré ces dernières semaines Philippe Bouasse et a visité les locaux de la SBA. « Une réunion de travail est prévue très bientôt avec nos services culturels », glisse-t-il.
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