France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Il y a quarante ans, les derniers jours de Louis de Funès

Au début des années 1980, Louis de Funès aborde la nouvelle décennie sans trop d'illusions… Inquiet de nature, il sait que sa carrière, tout comme son cœur, bat la breloque. Il a failli mourir d'une crise cardiaque en 1975 et a bien cru son métier terminé, avant de faire mentir les médecins en tournant L'Aile ou la Cuisse, au côté de Coluche, alors en pleine ascension, pas peu fier de renouer avec les plateaux et le succès – près de six millions d'entrées. « Si je ne tourne plus, je ne sers plus à rien, c'est la seule chose que je sache faire, confie-t-il en privé. Et puis, au moins, j'ai le sentiment de faire du bien aux gens en les faisant rire… »

Mais l'acteur se sait en sursis. Pour prolonger les années, il suit un régime, poissons, soupes et légumes, prend des médicaments, se couche tôt… Dans le milieu, on le regarde comme fini, rien ne lui est épargné. La gauche le cloue régulièrement au pilori, les critiques de cinéma sont cinglantes et il a eu le malheur de soutenir le perdant Valéry Giscard d'Estaing aux élections présidentielles de 1981, ce qui n'arrange guère son image auprès de l'intelligentsia. On lui reproche de s'attaquer à L'Avare, de Molière, et la presse porte l'estocade avec la sortie du Gendarme et des gendarmettes, en octobre 1982, dernière farce d'une franchise à bout de souffle. « De Funès, c'est fini ? s'interroge ainsi Le Canard enchaîné. La salle était presque vide. L'écran également. » 

Macha l'envoûtante 

Côté vie privé, Louis connaît également un vrai tiraillement intérieur… Il a fait la connaissance de l'animatrice de radio Macha Béranger, bien plus jeune que lui, une amitié est née, ponctuée de rendez-vous clandestins… Macha l'amuse, lui donne une seconde jeunesse, participe à l'écriture des Gendarmettes, vient même s'installer à Saint-Tropez, tout près du tournage, comme le confiera plus tard Michel Galabru dans son livre Les Rôles de ma vie. « Il avait exigé que sa loge soit installée au rez-de-chaussée de manière que, lorsque sa femme arriverait, sa maîtresse puisse sortir par la fenêtre, expliquait-il. Madame de Funès a vite remarqué l'agitation incongrue qui la précédait à chacune de ses entrées. Elle a tout compris. Dès lors, elle a attendu son mari au studio du matin jusqu'au soir… » Simple flirt ou vraie liaison ? En tout cas, Louis de Funès veut à tout prix éviter le scandale, il est très attaché à son épouse Jeanne, la mère de ses deux derniers enfants, et reste profondément catholique. Pas question de brouiller son image…

À LIRE AUSSILouis de Funès, ses jardins secrets

D'autant que les projets foisonnent… À 68 ans, malgré un cœur fatigué, il rêve de remonter Oscar, la pièce dans laquelle il triompha dans les années 1960. Il cherche également à acheter les droits du roman Les Morticoles, une satire du milieu médical signée Léon Daudet, et pense à Robert Hossein pour s'attaquer à l'adaptation. Son ami et complice Gérard Oury lui reparle du projet de film Le Crocodile, laissé en plan depuis ses problèmes cardiaques. Pourquoi pas également un nouveau film avec Coluche ?

Et surtout Christian Fechner, le producteur de L'Aile ou la Cuisse, veut à nouveau le confronter à la nouvelle génération de comiques, comme la bande du Splendid qui cartonne sur les tréteaux, avec son Papy fait de la résistance. Quelques semaines seulement avant sa mort, de Funès va voir la pièce et discute ensuite avec Clavier et ses compères, tous fans du maestro du rire : l'idée serait de lui offrir le rôle du fameux papy, l'ancien Poilu grognon et rebelle, du sur mesure pour l'acteur. « Il était d'une forme éblouissante, il était extraordinairement drôle », se souvient Fechner dans la biographie de Bertrand Dicale. Et emballé à l'idée de se lancer un nouveau défi.

À LIRE AUSSILes secrets de « Papy fait de la résistance »

Mauvaise grippe

Mais c'est trop demander à un corps en bout de course. En janvier 1983, l'acteur part dans les Alpes passer quelque temps en famille : sur les conseils de Thierry Le Luron, il descend dans un hôtel des Arcs, avec son épouse et son fils Olivier, venu avec sa femme, leur fille Julia, 4 ans. Louis n'est jamais allé aux sports d'hiver, il déteste le ski et le froid, mais pour sa petite-fille, il fait des efforts – pas question pour lui de la confier au club pour enfants, l'acteur craint les risques d'enlèvement. Il joue les nounous, se promène avec elle et suit ses premières leçons, en demandant au moniteur de ralentir parfois l'allure… Et prend une mauvaise grippe qui a du mal à passer.

De retour dans son cher château de Clermont, près de Nantes, acheté avec ses premiers gros cachets, de Funès n'arrive pas à retrouver la forme. Il s'affaiblit, s'alite, surveillé de près par Jeanne, toujours aux petits soins. Par précaution, le couple a punaisé sur chaque téléphone les numéros d'urgence des pompiers, de la police, du Samu et même le centre antipoison… Le jeudi 27 janvier, vers 19 heures, l'acteur fait un malaise cardiaque. Une ambulance arrive rapidement pour l'emmener à l'hôpital de Nantes, où il décède vers 20 h 30. Ce cœur survolté, qui a tant fait rire la France, déclarait définitivement forfait. 

Pour son enterrement, dans l'église paroissiale du Cellier, le show-biz brille par sa remarquable absence. Seuls Michel Galabru, Colette Brosset et le producteur Fechner font le déplacement pour accompagner en terre celui qui a régné en maître sur le box-office français et porté si haut la tradition de la commedia dell'arte. Mais voilà longtemps que Louis s'était accommodé du désamour du métier, qui ne voyait en lui qu'un clown grimaçant au service de films commerciaux et populaires. Quand il achetait un journal, la première chose qu'il faisait était de déchirer la page spectacle contenant les critiques… 

À lire : Louis de Funès, grimaces et gloire, par Bertrand Dicale, éditions Grasset.