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Impôts 2023 : la déclaration de biens immobiliers, un véritable casse-tête pour les propriétaires et les professionnels

La période déclarative de l'impôt sur le revenu s'est achevée. L'ultime échéance est intervenue le jeudi 8 juin à minuit, pour les contribuables résidant dans les départements numérotés de 50 à 976. Les propriétaires immobiliers, eux, sont loin d'en avoir fini avec l'administration fiscale. Depuis le 1er janvier 2023, ils sont tenus de déclarer leurs biens sur le site impots.gouv.fr. La date limite a été fixée au 30 juin prochain. Prévue dans le cadre de la loi de finances pour l'année 2020, cette obligation fiscale « permet à l'administration d'asseoir la taxe d'habitation dans des conditions plus aisées » et « de recouper des informations déjà en sa possession », rappelle l'avocat fiscaliste Nicolas Message, associé au cabinet FTPA, auprès de La Tribune. Au risque de créer un véritable casse-tête pour pour tous : contribuables, professionnels, et même les agents des finances publiques.

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« L'esprit de la déclaration de biens immobiliers est de faire faire aux contribuables ce que les agents des finances publiques ne font plus, compte tenu des suppressions d'emplois concomitantes aux modifications ou suppressions de missions, estime Régis Bourillot du syndicat CFTC Finances publiques.

En principe, rien de bien compliqué, l'administration disposant déjà d'un certain nombre d'informations sur les biens immobiliers. Pour rappel, la taxe d'habitation a été définitivement supprimée en 2023 sur les résidences principales pour tous les contribuables, quel que soit leur niveau de revenus. En revanche, les détenteurs d'une résidence secondaire, eux, restent redevables de la taxe d'habitation, ainsi que de la taxe sur les logements vacants. Tous les propriétaires sont concernés par la déclaration des biens immobiliers. Ils doivent donc, sans tarder, se connecter à leur espace personnel sur le site impots.gouv.fr, grâce à leur identifiant fiscal et à leur mot de passe. Ils doivent ensuite cliquer sur l'onglet « Gérer mes biens immobiliers » (GMBI).

Des informations déjà préremplies

Attention, contrairement à la déclaration de l'impôt sur le revenu, il n'existe pas de formulaire papier : même les contribuables n'ayant pas d'accès à Internet doivent trouver un moyen pour effectuer les démarches en ligne. En l'absence de connexion, il est, notamment, possible de se faire assister d'un agent des finances publiques, soit par téléphone, soit dans un centre des impôts ou une maison France Services.

« L'usager dispose dans son espace d'une vision de l'ensemble de ses biens bâtis ainsi que de leurs caractéristiques (surface, nombre de pièces, nature du local, numéro de lot...), sur l'ensemble du territoire, explique le site Service public. Pour faciliter cette nouvelle démarche déclarative, les données d'occupation connues des services des impôts sont pré-affichées. Par la suite, seul un changement de situation nécessitera une déclaration. »

Dans un premier temps, il convient donc de vérifier les informations préremplies par le fisc. À chaque bien, le propriétaire, dans un second temps, doit spécifier à quel titre il l'occupe - soit à titre personnel, soit à des tiers - ainsi que la nature de l'occupation (résidence principale, secondaire, location nue ou meublée...). S'il loue l'un d'eux, il doit inscrire l'identité des occupants, la période d'occupation et le montant du loyer.

« L'article 1418 du CGI est assorti d'une sanction prévue à l'article 1770 terdecies du CGI qui indique que la méconnaissance de l'obligation prévue à l'article 1418 entraîne l'application d'une amende de 150 euros par local pour lequel les informations requises n'ont pas été communiquées à l'administration. La même amende est due en cas d'omission ou d'inexactitude », avertit l'administration fiscale dans une foire aux questions détaillée.

Certains cas plus complexes

Si la démarche paraît simple sur le papier, elle se révèle toutefois bien complexe pour certains. Dans certains cas bien spécifiques, qui doit déclarer ? Les propriétaires qui ont confié la gestion locative du bien à une agence immobilière n'y échappent pas. Cette dernière « devra vous communiquer les informations nécessaires, la déclaration vous incombant en tant que propriétaire ». Il faudra donc mettre la main sur toutes les informations relatives aux locataires (date d'entrée, nom, prénom, date de naissance...). « L'autre subtilité a trait aux emphytéotes : ce sont des baux à long terme, rappelle l'avocat Nicolas Message. Par conséquent, il revient à l'occupant de faire la déclaration et non au propriétaire bailleur. »

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Dans le cas d'un démembrement de propriété, par exemple, il appartient à l'usufruitier, et non au nu-propriétaire d'effectuer la déclaration de biens immobiliers. « Le nu-propriétaire pourra visualiser son bien immobilier depuis le service en ligne « Biens Immobiliers », mais ne pourra pas déclarer l'occupation du bien, contrairement à l'usufruitier », explique le fisc dans sa FAQ.

Imaginons à présent que les membres d'une famille aient reçu un bien immobilier en indivision, dans le cadre d'une succession. En principe, une seule déclaration doit être effectuée pour ce bien. Dans le cas de figure où les indivisaires remplissent chacun un formulaire, de manière consciente ou non, « seule la dernière déclaration sera prise en compte ». De quoi complexifier la tâche, surtout lorsque les indivisaires sont en conflit.

«  Si vous avez affaire à un indivisaire qui marque "logement vacant", il y aura une taxe sur les logements vacants », alerte ainsi Guy Parlanti, avocat fiscaliste à Paris.

Le casse-tête des sociétés civiles immobilières

Les associés de sociétés civiles immobilières, eux, ne sont pas au bout de leur peine non plus. « La déclaration de biens immobiliers y atteint son paroxysme », tacle l'avocat associé au cabinet Gozlan & Parlanti. En principe, un des associés doit effectuer la déclaration de biens immobiliers via l'espace professionnel sur le site impots.gouv.fr. Encore faut-il pouvoir le faire. « Un certain nombre de SCI qui possèdent des résidences principales ou secondaires non louées n'ont jamais créé d'espace professionnel », témoigne Guy Parlanti.

Dans ce cas, il convient donc de créer un espace professionnel, en renseignant le numéro de SIREN de la SCI, ainsi qu'une adresse mail, nous précise l'administration sur une page dédiée. Un lien d'activation est envoyé à cette dernière... permettant d'envoyer un courrier postal, à l'adresse de domiciliation de la SCI, sous un délai de dix jours environ, nous explique l'avocat fiscaliste. Encore faut-il que l'adresse n'ait pas changé entre-temps, au risque de ne jamais apercevoir le fameux courrier.

Des liens d'activation... pour obtenir des courriers

Pour ceux qui ont déjà un espace professionnel, rien ne garantit non plus que la déclaration de biens immobiliers aille de soi. « On s'est aperçu que pour ces sociétés-là, dans certains cas, l'onglet de gestion des biens immobiliers n'existait pas au moment de la création de l'espace professionnel, note Guy Parlanti. Le bouton de gestion des biens immobiliers n'est pas activé de droit pour les sociétés civiles immobilières. Si vous souhaitez y avoir accès, il faut solliciter l'administration fiscale, qui enverra un courrier papier, avec un code pour activer l'onglet. »

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Sollicitée sur ce point par La Tribune, la Direction générale des Finances publiques (DFIP) répond que la « visualisation des biens et l'accès au bouton 'déclarer une occupation' sont réservés aux propriétaires de biens ». « Le déclarant a toujours la possibilité d'adresser un message via la messagerie sécurisée, accessible dans son espace professionnel, s'il ne visualise pas les biens de la SCI après avoir effectué les démarches d'adhésion », complète-t-on.

Surface, lots... Les contribuables désœuvrés

Une fois le déclarant identifié, la vérification des informations pré remplies par l'administration fiscale n'est pas toujours intelligible. « La difficulté de compréhension sur la surface est permanente, puisque nous n'avons pas affaire aux mêmes modes de calcul entre le propriétaire et l'administration fiscale », indique Guy Parlanti. « Nous, c'est les mètres carrés cadastraux, confirme Christophe Bonhomme Lhéritier, secrétaire général CFDT Finances publiques, auprès de La Tribune. Ce n'est donc pas en loi Carrez ou ce qui pouvait exister dans les déclarations notariales. »

En effet, le fisc retient la surface totale réelle du bien, « composée pour une habitation, de sa partie principale et de ses dépendances incorporées (directement accessibles depuis l'intérieur du local, comme les garages ou les caves) », détaille l'administration dans sa foire aux questions.

Des modes de calcul différents

Elle se distingue ainsi effectivement de la surface habitable ou de la surface dite loi Carrez. « C'est pour cette raison que les contribuables voient apparaître un différentiel sur leur interface impots.gouv.fr avec ce qu'ils connaissent de la surface de leur bien », reconnaît Nicolas Message. Cette différence d'appréciation s'observe également sur le nombre de pièces comptabilisées.

« Le nombre de pièces au sens foncier est différent du nombre de pièces communément utilisé par les agences immobilières (T1, T2, T3...), nous précise la DGFIP. Il s'agit des espaces cloisonnés, destinés à être utilisés pour y séjourner, y dormir ou y prendre les repas (cuisine, salle de bain, chambre, séjour,...). Les dégagements, les pièces annexes (entrée, buanderie, dressing...) et les dépendances incorporées (cave, garage, terrasse et grenier) ne sont pas comptabilisés. »

Aucune possibilité de corriger soi-même

Outre les difficultés liées à la surface et au nombre de pièces, le contribuable doit aussi rester vigilant sur la nature du bien identifié. Celle-ci est spécifiée par le fisc pour tous les biens détenus : appartement, maison, cave, garage, etc. « Pour les personnes qui vont avoir dix à quinze appartements qu'ils louent, et qui disposent d'une cave et d'une place de parking pour chacun d'entre eux, vous vous retrouvez avec 45 déclarations à faire, constate, dépité, Guy Parlanti. Parfois, on a marqué "lieu d'agrément", c'est quoi ? C'est un jardin ? On ne sait pas. C'est un bazar sans nom. »

« Il y a des éléments que nous ne connaissons pas, parce que le logiciel ne l'a pas pris en compte, constate Christophe Bonhomme Lhéritier, faisant référence aux cotations de biens immobiliers définies par l'administration. Certains éléments comme un abri de jardin, ça n'existe pas dans la déclinaison des éléments que l'on connaît. Il y a aussi des choses qui ne sont pas logiques lorsque l'on se met à la place du contribuable : quand vous avez une piscine, vous n'imaginez pas de la déclarer comme logement principal. Or, tout ce qui est annexe au logement principal va paraître comme logement principal. »

A cela, s'ajoute des défauts d'actualisation des données. Le service de publicité foncière est chargé de répertorier les renseignements immobiliers. Cible d'une vague de suppressions et de transferts de postes, il peine à actualiser les informations dans des délais raisonnables.

Quid lorsque le contribuable constate une erreur du fisc ? « C'est une usine à gaz », sourit l'avocat fiscaliste Nicolas Message, qui salue tout de même la réactivité du fisc, en période déclarative de l'impôt sur le revenu. Dans les faits, le contribuable ne peut pas procéder à l'ajustement de la déclaration de biens immobiliers lui-même : il doit remplir le formulaire, puis solliciter l'administration fiscale via la « messagerie sécurisée », mentionnée à 14 reprises par le site des impôts dans sa foire aux questions.

La date du 30 juin jugée « illusoire »

L'avocat fiscaliste Guy Parlanti ne cache pas une certaine crainte. Il estime que certains contribuables seront incapables de tenir les délais. « Vous avez des contribuables qui n'ont pas Internet qui doivent se rendre dans les centres des impôts, les personnes âgées, les associés de SCI, les étrangers qui ne sont au courant de rien, énumère-t-il. Je pense qu'il va y avoir de vrais problèmes cette année. »

« Le 30 juin, il est totalement illusoire à mon sens d'imaginer que tout le monde aura fait sa déclaration, acquiesce Christophe Bonhomme Lhéritier de la CFDT Finances publiques. Il y a seulement quelques semaines, nous avions atteint seulement 40% de déclarants. Un mois plus tard, on ne peut pas être à 100%. » Anne Guyot-Welke, secrétaire nationale de Solidaires Finances Publiques, confirme. De son côté, la DGFIP nous explique ne pas communiquer sur le nombre de déclarants à ce stade.

« Nous allons arriver à un stade où la DGFIP va avoir du mal à cacher l'ampleur du désastre, juge Régis Bourillot de CFTC Finances Publiques. Depuis la fusion entre la DGI (direction générale des impôts) et DGCP (direction générale de la comptabilité publique), (actée en 2008, ndlr) nous avons perdu entre 18.000 et 20.000 emplois . Pour autant on continue à laisser croire que tout va bien,  que nous connaîtrons même des années de moindres diminutions d'effectifs (2024 et 2025) et qu'il faudrait s'en réjouir ».

Tous les représentants des agents des finances publiques que nous avons contactés regrettent que l'administration ait retenu une obligation déclarative entièrement dématérialisée, et ce, alors que les détenteurs de patrimoine immobiliers, en majorité plus âgés, sont moins agiles que d'autres avec l'informatique. « Depuis plusieurs années, la DGFIP se place en modèle du tout numérique, mais cela ne se passe pas bien, explique Régis Bourillot. Par des suppressions massives d'emplois par anticipation, la DGFIP s'est privée de la sécurité que représente la présence pédagogique humaine , en particulier en présence de catastrophe telle GMBI, lancée dans la précipitation et une certaine impréparation. »

Les impôts sur-sollicités

Ces dernières semaines, les craintes et les interrogations des contribuables se multiplient. Résultat, les agents des finances publiques constatent un afflux de demandes, par téléphone, par email et au guichet, générant un surcroît de travail. Aussi bien pour les services des impôts fonciers que pour ceux des particuliers, affaiblis par les coupes dans les effectifs. Le nombre de e-contacts (sollicitations via la messagerie sécurisée) a même été multiplié par quatre, cinq, six... voire soixante dans certains départements. Résultat, au global, le taux de sollicitation a grimpé de 20% par rapport à l'année passée. « Nous pensons que ce chiffre est sous-estimé », affirme Anne Guyot-Welke auprès de La Tribune.

Interrogée sur l'affluence de contribuables dans les centres des impôts et la multiplication des sollicitations par téléphone, la DFIP reconnaît qu'il y a « naturellement » plus d'appels sur la gestion des biens immobiliers, compte tenu de l'obligation déclarative cette année. L'administration estime toutefois ne pas avoir suffisamment de recul « à ce stade ». Elle ajoute ne pas avoir eu de remontées de « tensions » en lien avec la déclaration de biens immobiliers. Faut-il s'attendre à ce que la date du 30 juin soit décalée ? Selon nos informations, l'administration fiscale ne l'envisage pas à l'heure actuelle.