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Inflation dans les cantines scolaires : la recette des communes qui concilient qualité et prix maîtrisés

Ici, on ne parle plus de cantine depuis belle lurette, mais de restaurant scolaire. Il faut dire qu’à Barjac (Gard), le bien-manger est une affaire qui roule depuis presque vingt ans. Cette petite commune aux paysages façonnés par une agriculture riche en bio­diversité, au seuil des Cévennes, s’est fait connaître par l’engagement de son maire, Édouard Chaulet, à promouvoir une restauration collective biologique et locale.

Le village de 1 600 habitants a fait figure de précurseur. « C’est un choix politique », martèle l’édile. Tout comme celui de garder le tarif d’un repas à 2,50 euros, malgré une inflation record qui alimente tous les débats et qui impacte les coûts de la restauration scolaire. En un an, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 30 %, + 68 % pour les céréales. À cela s’ajoutent les coûts de logistique (+ 44 % pour le carburant).

Des choix radicaux dans certaines collectivités

Si la restauration des collèges et des lycées publics est de la responsabilité des départements et des régions, pour les écoles maternelles et primaires, la décision d’augmenter ou non le coût du repas se prend au niveau des communes.

En Seine-Maritime, la ville de Caudebec-lès-Elbeuf a décidé de supprimer un des cinq éléments qui composent un repas à la cantine. Certaines municipalités, comme Rennes (Ille-et-Vilaine), ont calculé une enveloppe prévisionnelle (250 000 euros dans le cas rennais) pour ne pas faire peser l’inflation sur les familles ces prochains mois.

Dans la loi de finances rectificative pour 2022, le Sénat a adopté un « filet de sécurité pour les communes » avec un soutien budgétaire pour plus de la moitié d’entre elles, qui ne vaut que pour cette année.

Mais, d’ores et déjà, certaines collectivités ont fait des choix radicaux. À Chennevières-sur-Marne, dans le Val-de-Marne, fini le système de tranches déterminées, pour les ménages, en fonction de leurs revenus. Aujourd’hui, le calcul s’opère selon leur « taux d’effort », communiqué par la caisse d’allocations familiales à la mairie. C’est-à-dire le rapport entre les revenus des ménages et la somme des dépenses qu’ils consacrent à leur habitation principale.

Depuis janvier, la loi Egalim impose 20 % de bio dans les cantines.

La décision, votée en juillet par le conseil municipal, a provoqué un tollé général chez les parents d’élèves. Une pétition est lancée. Car la facture est salée : entre 30 et 50 % d’augmentation par rapport à l’année dernière. Selon l’Association des maires de France, environ 50 % des communes ont augmenté les tarifs de leurs cantines.

45 % des municipalités ont fait le choix de la gestion directe

Alors pourquoi certaines s’en sortent-elles mieux que d’autres ? Comment réussissent-elles à ne pas faire supporter aux familles le coût de l’inflation, tout en continuant à proposer des menus de qualité pour les enfants ?

À Barjac, le maire assume : « On construira moins de ronds-points. On réduira peut-être les subventions aux associations. Mais pas question d’augmenter la restauration scolaire, alors que les familles vont avoir de plus en plus de mal à bien nourrir leurs enfants à la maison. » Surtout, ici, on reste persuadé que la solution passe par l’autoproduction. « Je pourchasse tous les terrains à l’abandon et dès qu’on peut, on les achète pour installer un agriculteur bio », se félicite Édouard Chaulet.

Les communes qui n’ont pas de prestataires peuvent limiter les dégâts en passant des contrats avec les producteurs locaux. Thibaut Durand / Hans Lucas

Les communes qui n’ont pas de prestataires peuvent limiter les dégâts en passant des contrats avec les producteurs locaux. Thibaut Durand / Hans Lucas

Le village a ainsi fait l’acquisition de six hectares. Et avec l’aide de la foncière Terre de liens, il y installe des paysans. Les 250 oliviers communaux ont donné 40 litres d’huile, que les enfants retrouvent dans leurs assiettes. Chacun des 250 repas servis coûte 9 euros à la commune. Le portage des repas aux personnes âgées et handicapées rapporte 90 000 euros et les parents payent 100 000 euros. Restent 120 000 euros, pris en charge par le budget communal.

La clé du succès réside en deux principes : la gestion directe (régie municipale) et les circuits courts. Les communes qui n’ont pas de prestataires peuvent limiter les dégâts de l’inflation en passant des contrats avec les producteurs locaux. Elles peuvent aussi mieux gérer la qualité des produits et éviter les gaspillages.

45 % des municipalités ont fait ce choix de la gestion directe. Les autres dépendent d’entreprises privées de la restauration collective, dans le cadre d’une délégation de service public. Or, cet été, pour faire face à l’inflation, le Syndicat national de la restauration collective demandait à ces collectivités une « revalorisation à hauteur d’au moins 7 % des contrats ».

« Ils ne voient pas comment les enfants consomment »

L’actualité accélère ce qui, depuis plus d’un an déjà, trottait dans la tête des élus du village d’Asson, dans les Pyrénées-Atlantiques. L’adjointe à l’enfance et à la jeunesse, Audrey Vanhooren, entend s’inspirer d’expériences comme celle de Barjac et abandonner tout prestataire privé d’ici la rentrée prochaine.

Son constat est sans appel : « Ils ne voient pas comment les enfants consomment. Alors les portions sont parfois insuffisantes. A contrario, quand des carottes ou des courgettes font triste figure pour le repas végétarien hebdomadaire, les enfants ne les mangent pas et elles sont jetées. Et nous avons aussi souvent des problèmes dans les horaires de livraison. »

Audrey Vanhooren, élue d'Asson, en a assez de voir au menu des fromages sous plastique… alors que trois fromagers sont sur place.

Dans cette petite commune de 2 000 habitants, chacun des 120 repas livrés aux deux écoles est facturé 4,12 euros aux familles. Le conseil municipal, aidé par le département, a sollicité un bureau d’études pour l’aménagement d’une cuisine centrale. Certes, le travail est compliqué et a un coût. Le respect des normes de plus en plus contraignantes « peut faire peur », avoue l’élue.

Mais cette infirmière en a assez de voir au menu des fromages sous plastique… alors que trois fromagers sont sur place. Ou de la viande mal cuite, sans goût, tandis qu’un boucher tout proche propose de la viande de qualité.

« Une bonne alimentation dans les cantines, c’est aussi inciter de nouvelles familles, de plus en plus exigeantes sur ces questions, à s’installer dans le village. C’est s’ajuster aux besoins et envies des enfants. Comment faire comprendre à un prestataire qu’un enfant diabétique a besoin de féculents à chaque repas ? » Elle en est convaincue : passer en régie publique permettra des repas de meilleure qualité et pas plus chers. Voire moins.

La clé du succès réside dans deux principes : la gestion directe (régie municipale) et les circuits courts. Robert Kluba / REA

La clé du succès réside dans deux principes : la gestion directe (régie municipale) et les circuits courts. Robert Kluba / REA

Le village de Cazouls-lès-Béziers, dans l’Hérault, en a fait l’expérience. Depuis qu’il a quitté son prestataire privé il y a deux ans, il est passé à une restauration scolaire 100 % bio et locale. La mairie a embauché une maraîchère qui fournit les fruits et légumes pour les 350 assiettes des écoliers. Et le prix pour les parents n’a pas changé : 3,80 euros.

« La lutte contre le gaspillage alimentaire permet de maîtriser le budget, assure Carole Berlou, adjointe au maire chargée des affaires scolaires. Mais c’est un choix politique plus que budgétaire. Aujourd’hui, je suis fière de nourrir correctement les enfants qui fréquentent la cantine. »

En projet, la création d’une régie agricole

Les grandes agglomérations peuvent pour l’instant, quant à elles, amortir l’inflation plus facilement en économisant sur d’autres postes, grâce à leurs moyens financiers. Là aussi, certains choix font la différence.

En banlieue parisienne, le Syrec, un syndicat intercommunal, gère la restauration scolaire des villes de Gennevilliers, Saint-Ouen, Villepinte et Villeneuve-la-Garenne. Soit, au total, 15 000 repas par jour. « Nous avons un conseil d’administration dans chacune des villes et nous nous adaptons à leurs demandes », explique son président, Philippe Clochette. À Gennevilliers – où la prise en charge de la commune va de 50 à 95 % du coût de la prestation – les menus sont ainsi passés à 80 % de repas non carnés en septembre, alors que Villepinte est restée à 50 %.

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Depuis janvier, la loi Egalim impose 20 % de bio dans les cantines. Le Syrec en offre 35 %. « Nos équipes techniques ont calculé que rajouter un menu végétarien par semaine permettait de réaliser des économies, à la fois d’absorber l’inflation et d’aller sur un objectif de 50 % de bio d’ici la fin de l’année », poursuit le président.

Surtout, ce service public permet de ne pas passer par des intermédiaires : « Ce sont les élus qui décident. » En projet, Gennevilliers imagine la création d’une régie agricole dont bénéficieraient également les trois autres villes. D’ici à 2026, le Syrec espère pouvoir ainsi fournir 1 500 repas par jour. « Nous cherchons des terrains disponibles, notamment dans l’Oise et le Val-d’Oise », souligne Philippe Clochette. Du bio, du végétarien et du local sous contrôle public. La recette gagnante.