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«J'ai beau n'attendre aucun message, je scrolle systématiquement» : le téléphone, cette addiction

TÉMOIGNAGES - En France, 25,7% des 18-35 ans se considèrent atteints de «nomophobie», terme donné à l'addiction au smartphone. Celle-ci touche en réalité tous les âges.

«C’est bien simple, dans mon couple, on est dans un plan à trois : moi, elle et le téléphone». Stéphane est excédé. Depuis huit ans qu’il vit avec sa femme, le smartphone prend dans leur quotidien une place prédominante. «Le matin c’est l'un de ses premiers gestes : elle consulte ses messages, elle scrolle (anglicisme qui décrit le fait de dérouler le fil des réseaux sociaux sur l'écran, NDLR). Au petit-déjeuner elle le garde à la main. Et c'est comme ça jusqu'au soir, devant la télé, et avant d'éteindre la lumière, énumère le mari, qui se sent délaissé. Un détail qui dit tout : quand on regarde les photos de famille pendant nos vacances, Eugénie* apparaît toujours le nez sur son téléphone. Comme s'il était un deuxième enfant !».

«Addict, moi ? Complètement !», reconnaît volontiers cette dernière, 49 ans, qui a d'ailleurs répondu à notre appel à témoignages du tac au tac. Le portable est comme le prolongement de son bras : «Dans les transports, je le sors aussitôt, c'est presque malgré moi». Les notifications surgissent constamment depuis les dizaines de groupes WhatsApp, les quatre comptes Twitter - «le professionnel, le personnel, l'anonyme et celui de la boîte», Instagram, Facebook aussi - «un peu en jachère mais les parents de l'école continuent de communiquer sur les groupes, je suis obligée de le consulter de temps en temps», justifie la mère de famille. Lorsqu'il lui arrive de l'oublier, c'est la «crise de panique».

Toutes les catégories d'âge

Sans le savoir, Eugénie présente tous les symptômes de la «nomophobie», cette peur viscérale d'être séparé de son téléphone portable. Un quart des Français se considère comme atteint de ce trouble. Selon une enquête OnePoll en 2021, huit Français sur dix gardent leur smartphone à portée de main à tout moment, 97% des 18-35 ans dorment dans la même pièce, et 66,8% le consultent dès l'instant où ils ouvrent les yeux. «J'ai beau n'attendre aucun message, au moindre moment libre, je scrolle», confesse Liame, étudiante de 22 ans, qui n'entame pas une journée sereinement sans avoir au moins 80% de batterie.

«Il s'agit bien d'une addiction, car il y a une perte de rationalité dans la consommation et un phénomène excessif qui vient couper du réel», explique Marion Wolfer, hypnothérapeute et sophrologue indépendante. La professionnelle a reçu à plusieurs reprises des confidences de patients sur cette dépendance. «Les conséquences sont principalement des difficultés à dormir et à se concentrer. Il ne faut pas négliger également le sentiment négatif associé à cette pratique : l'impression de perdre son temps, de passer à côté de sa vie, ainsi que la culpabilité de ce que l'on ne fait pas», décrit la thérapeute.

Ainsi, à la fac, impossible pour Liame* de ne pas sortir le téléphone lorsque le cours est «ennuyeux». «Même s'il est intéressant d'ailleurs, je ne peux m'empêcher de regarder l'écran régulièrement, histoire de vérifier les notifs». «Je ne fume pas, mais j'imagine que c'est similaire à ce manque de celui qui arrête la cigarette, suggère pour sa part Eugénie. Lorsque mon téléphone est loin, j'ai l'impression de passer à côté de quelque chose. C'est une vraie sensation de privation».

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Si le trouble nomophobique touche toutes les catégories d'âge, les jeunes y sont particulièrement disposés par l'utilisation des réseaux sociaux. «Je l’ai absolument toujours dans ma poche», confesse Benjamin*, 25 ans. Voilà quelques mois, le jeune professionnel a subi un choc en consultant son temps d’écran quotidien : six heures par jour. Un beau score, alors que la moyenne nationale est de 3h30 pour les Français, en quinzième position après les Brésiliens, les Indonésiens ou encore les Sud-Coréens qui passent plus de cinq heures devant un petit écran.

Le jeune homme n'a pourtant guère réduit sa consommation depuis, car il ne considère pas ce temps comme perdu. Il en passe une bonne moitié à regarder de longs formats vidéo sur YouTube. «C’est ma nouvelle façon de consommer la culture. En revanche, moi qui avais toujours un bouquin à la main dans le métro, c’est fini», reconnaît-il à regret. «Quand je lis, cela provoque des connexions, des idées, et l'imagination finit par se fixer sur une question : tiens, je vérifierais bien ce point ! Hop, j’ouvre mon tél, je regarde la page Wikipédia, ou une vidéo, et le livre est oublié». Sans compter les vibrations dans la poche, «l'appel de la notif» : «On a beau se dire mentalement : je regarderai plus tard, cela trottine dans la tête. Et on finit par regarder».

Difficile sevrage

Dans la famille de Stéphane et Eugénie, leur fille de 8 ans mène bataille contre l'addiction de sa mère. «Moi, j'ai baissé les bras, soupire le mari découragé. Mais ma fille a eu l'idée d'instaurer des journées sans écran certains samedis ou dimanche. Pas de téléphone, pas d'ordinateur. Initiative d'une fille de 8 ans, il faut quand même le faire !». «Ils ont monté une cavale contre moi», déplore en réponse la mère, pour qui cette privation est une torture.

Certains tentent de petits ou de plus gros objectifs pour se désintoxiquer. Pour les y aider, chaque année depuis 2001 a été instaurée le 6 février la journée internationale sans téléphone portable. Liame, elle, a désactivé les alertes visuelles. «Maintenant, même sur la page de veille, elles ne s'affichent plus», explique l'étudiante, pas peu fière de cet effort pour reprendre le contrôle. «Je me force aussi, sur des trajets courts, à ne plus le sortir de ma poche... Petit objectif personnel».

Elsa*, 27 ans, tente de son côté de «couper» sur plusieurs jours. Lors de vacances en montagne par exemple, lorsque la barre de réseau ne dépassant par la 3G fournit le bon prétexte : «C'est très dur au début. Il y a ce vide soudain dans les moments creux, et cette accumulation de petites tâches à faire qui devient une montagne dans la tête : tel message à envoyer, tel billet à réserver, ou une information à vérifier. Cela hante d'une telle façon que les premiers jours, je ne peux pas m'empêcher de le rallumer de manière compulsive. Et puis, je me rends vite compte qu'il n'y a finalement pas tant de messages qui m'attendent, que le monde tourne très bien sans moi. Et moi sans lui».

*Les prénoms ont été modifiés.